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Constructeurs

Didier Leroy : un patron vraiment pas comme les autres

Publié le 18 avril 2019

Par Catherine Leroy
8 min de lecture
Derrière une fonction, celle de vice-président de Toyota Motor Corporation, se trouve un patron dont les performances ont séduit Akio Toyoda, le PDG du constructeur. Des performances acquises après un long apprentissage sur le terrain où il a pu tester ses capacités à convaincre, à manager et à transmettre son exigence.
Didier Leroy, vice-président de Toyota Motor Corporation, sur le stand de la marque lors du Salon de Genève 2019.

 

«Homme de l’Année ? Mais pourquoi moi ? » : Didier Leroy, vice-président de Toyota n’en revient toujours pas et continue de s’interroger sur ce qu’il a bien pu faire pour obtenir ce trophée. « Très honnêtement, j’ai été très surpris et je me suis demandé ce que j’avais fait de particulier. C’est toujours un grand honneur et une grande fierté. Surtout au regard des personnes qui ont reçu le prix ces dernières années. Mais je me demande encore ce qui a suscité cette récompense », reconnaît-il. Affable, souriant, plaisantant volontiers, même pris d’un fou rire, « il faut que j’arrête sinon vous allez regretter de m’avoir élu ! », le numéro 2 de Toyota est d’humeur joyeuse au salon de Genève. Il est vrai que notre Homme de l’Année fait l’unanimité. Franc, honnête, loyal, ses pairs ne tarissent pas d’éloges sur ce Nordiste qui parcourt plusieurs fois par mois la planète d’ouest en est, en n’oubliant pas une pause salutaire à Lesquin près de Lille.

 

« Si je devais voyager avec des vols commerciaux, cela ne serait pas faisable. Là, je me pose près de chez moi et cela facilite les choses », concède-t-il tout en avouant que c’est quand même difficile physiquement. « Mais j’ai peut-être une caractéristique : la vie de tout le monde. Je ne vis pas dans un univers élitiste. Les quelques week-ends passés chez moi, eh bien, je tonds ma pelouse, je vais faire les courses. J’ai une chance inouïe : en France, je passe inaperçu », avance le numéro 2 de Toyota. C’est même un jeu pour lui ! Quand lors de dîners privés, des invités lui demandent ce qu’il fait dans la vie : « Je dis juste que je travaille chez Toyota et souvent, on croit que je suis vendeur dans la concession près de Lille », s’amuse-t-il.

 

Un parcours ouvrier incomparable

 

Ce n’est pourtant pas un hasard si aujourd’hui Didier Leroy évolue en première division, même s’il pense qu’une carrière se joue souvent sur des rencontres, des opportunités. Il a hérité de la bosse du travail ! « Je suis resté seize ans chez Renault mais j’ai surtout eu de la chance de rencontrer un chef de département à Douai qui m’a fait faire un parcours ouvrier incomparable à ce que les autres faisaient », se souvient-il. Incomparable car ce parcours devait durer deux ans au lieu des trois mois habituels lorsqu’un ingénieur démarre chez un constructeur. « Sans cette proposition, je ne serais sans doute pas là. Deux ans de stage d’ouvrier, un an de stage de chef d’équipe et deux ans de stage de contremaître. Au bout de cinq ans, certains avaient déjà commencé leur carrière. Mais moi, pendant cinq ans, j’étais en équipe du matin, d’après-midi, opérateur sur ligne et tout le monde pensait que j’avais fait une bêtise pour en rester là. Certains croyaient même que je sortais de prison ! » Pendant cinq ans, le futur vice-président de Toyota apprend, observe et se forme à tous les métiers. Un atout maître dans son management d’aujourd’hui.

 

"Mon boulot est d'aider les gens"

 

« Souvent, quand les stages d’ouvrier durent un mois, les collègues ne vous forment pas. Et du coup, lorsque l’on est vraiment considéré comme un ouvrier, on réagit de telle manière. Quand les machines étaient en panne, j’étais content de pouvoir m’asseoir parce que j’en avais plein les bottes. Et donc, on réagit autrement. On sait que l’on ne peut pas dire : "Tu fais un peu attention ou sois concentré." Du coup, toute votre démarche managériale est ensuite basée sur quelque chose de très simple : mon boulot est d’aider les gens. Je passe une grande partie de mon temps au Japon et je termine à chaque fois ma réunion avec les concessionnaires japonais en leur disant : "Quel est le top 3 des choses que je dois faire pour vous ?" Mais si vous ne le faites pas ensuite, vous êtes morts ! » Tout un comportement très influencé par les cinq premières années de sa vie professionnelle et un apprentissage pointu avec Guy Barrat pour créer un contexte de motivation dans une équipe. « J’étais au Mans lorsque je reçois un coup de téléphone du secrétariat de Carlos Ghosn qui souhaite me voir. Et il me propose de devenir pilote de groupe transverse en continuant mon activité au Mans. J’ai aussi beaucoup appris avec lui. » Mais l’ère Renault va bientôt se finir. De cette période, naissent des amitiés qui perdurent avec Carlos Tavares et Patrick Pélata. Mais l’expérience au siège de Renault tourne court. Toyota cherche à implanter une usine en France, à Valenciennes, et les chasseurs de têtes mettent Didier Leroy en haut de la liste.

 

Comprendre le système Toyota de l'intérieur

 

« À cette époque, le rêve de tout le monde était de comprendre le Toyota Production System. Et j’ai vu ma chance de pouvoir l’apprendre de l’intérieur. Guy Barrat est la seule personne à qui j’ai téléphoné avant de prendre ma décision. Il était à l’époque responsable de Renault Moscou. Il savait déjà que Toyota m’avait approché. Mais pas parce qu’on l’avait prévenu. En fait, il pensait que j’étais forcément dans la short list pour m’occuper de l’usine. » En 1998, l’aventure Toyota commence donc avec un poste de niveau inférieur à celui qu’il avait chez Renault. « Les gens chez Renault pensaient que j’avais été viré. Mais quelle importance ? L’essentiel est de continuer à apprendre. On a démarré l’usine et jusqu’en 2005, je n’ai pas changé de poste. Songez qu’à l’époque, Toyota était une référence et avant même d’avoir commencé, on avait essayé de me débaucher » s’amuse-t-il.

 

En 2007, Didier Leroy reçoit un appel d’Akio Toyoda, PDG de Toyota, qui souhaite le rencontrer. C’est la première étape d’une ascension fulgurante : « Akio voulait me confier la coordination des activités industrielles en l’Europe, en plus du site de Valenciennes. Je l’ai fait de 2007 à 2009. Puis, je suis entré au comité exécutif composé de 50 personnes. Deux ans plus tard, Akio me dit : "Tu devrais faire un peu d’activités commerciales !" » Le lendemain, la nouvelle feuille de route est décidée : dès le mois de juin, Didier Leroy prendra en charge les activités commerciales de Toyota et Lexus sur toute l’Europe.

 

Forcer le destin

 

« Je craignais de me retrouver face à tous les responsables du commerce et du marketing et qu’ils se demandent qui est cette personne n’ayant jamais passé une minute chez un concessionnaire à part pour acheter des balais d’essuie-glace et un bidon d’huile et qui va venir nous expliquer comment développer notre stratégie marketing. » Pas question pour autant de le mettre en danger. En réalité, Akio Toyoda prépare l’avenir et veut que son poulain français acquière de la crédibilité sur un métier inconnu. « Merci chef », répond Didier Leroy avec sa verve habituelle. Une fois encore la même stratégie de management est appliquée : écoute, compréhension, action et résolution de problèmes !

 

« Cela passe par cette phrase pour moi : qu’est-ce que je vais faire personnellement pour vous aider à régler ce problème et à partir de là, je peux commencer à être exigeant. » Didier Leroy gagne ses galons de commerçant mais en 2010, la situation de Toyota en Europe n’est pas bonne. « Je pensais que pour redresser la situation, nous avions besoin de leaders. Le soir, nous nous réunissions pour définir 10 exemples de ce que j’appelais des comportements de leader. Et nous avons rédigé les 10 dimensions du leadership », avance Didier Leroy en sortant de sa poche une petite fiche plastifiée avec les 10 points… « mais il faut que cela reste confidentiel sinon quelqu’un va les récupérer et trouver le moyen d’écrire un bouquin ! »

 

En 2015, Akio Toyoda continue de forcer le destin pour Didier Leroy : « Il faudrait que tu fasses la même chose mais au niveau de la planète. Je suis sûr que tu vas les secouer. Ça va leur faire un choc mais dans le bon sens du terme ». « Ce sont exactement ses mots », se souvient notre Homme de l’Année. Et ça a marché. Didier Leroy a réussi à séduire les concessionnaires japonais, notamment, qui militent pour que surtout leur patron ne rejoigne pas Renault. « J’espère que l’on n’entend plus ces rumeurs d’ailleurs. Aller chez Renault, pour faire quoi ? », en rigole encore Didier Leroy. C’était même l’une des trois questions posées par ces concessionnaires : « On voudrait que tu restes avec nous pour toujours. »

 

Une déclaration qui émeut encore ce patron vraiment pas comme les autres. Le périmètre de son activité ? Presque tout : « Il me manque les activités industrielles au Japon, donc les 3 millions de voitures produites dans l’archipel. Mais j’ai quelque part mon mot à dire car je suis en charge de la compétitivité. La R&D au Japon ne fait pas partie de mes domaines de compétence. Mais tout le reste du business sur l’ensemble de la planète que ce soit en Amérique du Nord, du Sud, en Asie, en Europe m’est rattaché directement. Pour faire simple, je dis souvent que sur les 10,5 millions de voitures vendues, je gère tout sauf la production de 3 millions de véhicules sur le sol japonais. »

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