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Constructeurs

Des voitures dans la forêt

Publié le 20 octobre 2006

Par David Paques
12 min de lecture
Une seule intervention de Thierry Breton aura suffi à transformer les industriels de l'automobile en chantres de la mobilité verte, prêts à se défaire de la manne pétrolière. Impossible d'échapper à la frénésie environnementale ambiante, tous les constructeurs se sont mis au vert. En apparence… Sur...

...les collines verdoyantes, trône le blanc de la virginité. Ce blanc synonyme de pureté qu'ont revêtu les modèles de la marque au Lion. En contrebas des vallons, les allées de verdure accueillent les évolutions moteurs du constructeur. Pistons, bielles, vilebrequins et soupapes transformés en fleur des champs… Plus loin, des arbres. Et derrière les promeneurs rassemblés dans une clairière, la 908 RC, concept-car star de Peugeot sur ce Mondial. Cette dernière est au centre des déambulations bucoliques des visiteurs. Une partie de campagne motorisée ! Renoir revisité par Peugeot. A l'image du plan marketing du constructeur sochalien, le Mondial de l'Automobile était, cette année, outrageusement axé sur l'environnement : Du blanc chez Peugeot, chez Fiat, chez BMW ; des arbres chez Ford, chez Skoda, chez Renault ; un jeu écolo rigolo de questions/réponses chez Renault. Fort heureusement, l'environnement n'est pas qu'un concours de communication. Un sujet incontournable, il est vrai. Une évolution nécessaire, certainement. Mais derrière cette forêt d'annonces, de véritables espoirs. Des promesses que chacun s'empresse aujourd'hui d'évoquer. Avec une annonce portant sur la législation des bio-carburants, une semaine, à peine, avant l'ouverture du salon, Thierry Breton, ministre de l'Economie et des Finances, ne pouvait que faire monter la sauce. Et sauce, il y a eu.

Honneur aux berlines

Energie vedette : le bio-éthanol. Un vrai succès à l'applaudimètre… "Nous croyons en l'éthanol, nous investissons et travaillons pour être en mesure de proposer des modèles", explique Didier Maitret, président de BMW France. "Nous sommes extrêmement favorables aux biocarburants", clame également Frédéric Saint-Geours, directeur général de Peugeot. "C'est une piste très intéressante que Volkswagen approuve", reconnaît lui aussi Thierry Lespiaucq, directeur de Volkswagen France… Chacun a son avis et chacun le donne volontiers. La confidence est, en effet, de rigueur. Mais entre la confidence et l'offre commerciale, il y a souvent un monde. Un "uni-vert" dans lequel beaucoup nous ont fait rentrer durant ce salon. PSA, notamment. Le constructeur a d'ores et déjà annoncé son intention de commercialiser des véhicules flex-fuel durant le premier semestre 2007. "Dans un premier temps, ce sont 307 et C4 qui recevront cette technologie. Nous avons décidé de commencer à ce niveau de gamme parce que cette arrivée ne se cantonne pas à la France. Nous voulons également attaquer le marché suédois. Or, là-bas, ils n'utilisent pas de petites citadines. Ensuite, le projet est de monter en gamme", annonce Béatrice Perrier-Maurer, à l'intelligence technico-économique de l'énergie chez PSA. La 206 flex-fuel, vendue au Brésil et présentée sur le stand de Passion Céréales n'est donc pas une priorité. Du reste, la réflexion devrait être la même chez Renault. Le constructeur dévoilait en effet, sur son stand, la Mégane 1,6 110 ch fonctionnant au bio-éthanol, qu'il lancera au printemps prochain. "Très vite, Clio, Modus et Kangoo devraient être adaptés", précise Alice de Brauer, directrice du plan environnement de Renault. Les divers constructeurs favorables à l'E85 semblent donc avoir porté leurs premières ambitions sur les berlines. Sur la Focus, chez Ford, pionnier du genre. En France, la marque avait en effet commercialisé ses premiers modèles en octobre 2005, sans attendre que l'Etat légifère sur le sujet. Fort de ses 24 000 ventes flex-fuel en Europe depuis 2001, Ford entend donc profiter de son statut d'éclaireur pour s'approprier un certain succès. John Flemming, P-dg de Ford Europe a par ailleurs annoncé, à Paris, un investissement de 1,4 milliard d'euros pour le développement des technologies environnementales, afin de poursuivre dans le domaine. Une somme non négligeable dont une autre marque du groupe pourrait bien profiter : Volvo. Le suédois, lui aussi engagé dans cette brèche commerciale du bio-éthanol.

En attendant la 2e génération

Prochainement, Volvo lancera des versions flex-fuel pour ses modèles S 40 et S 80. Quant à la C 30, celle-ci accueillera l'an prochain un moteur 1.8 flex-fuel. A terme, la marque annonce que la moitié de sa gamme sera équipée de ce système. "Avec cette technologie, nous ne parlons pas de concept ou de promesses. Les biocarburants ont cet intérêt d'être une technologie du présent. Il est important d'avoir de suite une solution. Les gammes des constructeurs vont être, à ce niveau, de plus en plus larges", confie Niklas Gustavsson, aux affaires environnementales chez Volvo. Plus étonnant en revanche, les efforts de Fiat en la matière. Surprenants car, l'Italie possédant des ressources en gaz sur son sol, le constructeur transalpin favorisait jusque-là le GNV. Sur le salon, Fiat proposait pourtant un espace "Natural Power" dans lequel trônait un ovni. Un Multipla Tri-fuel. Un concept car accueillant un moteur à triple alimentation essence-gaz naturel-éthanol. Toujours plus




FOCUS

De l'eau sous le capot

"L'hydrogène est le seul système qui réponde au problème énergétique", assure Dominik Kubowitsch, à la communication moteur chez BMW. L'an prochain, le constructeur lancera 100 Série 7 accompagnées d'un moteur à hydrogène. Un système mis à l'honneur sur le stand de la marque allemande. "L'E85 n'est pas une solution pour le marché européen. Mais cela nous fait passer le temps avant une production massive des moteurs hydrogène. Si le groupe travaille tout de même sur l'E 85 et les biocarburants de 2e génération, nous ne commercialiserons pas de véhicules au biodiesel", explique Dominik Kubowitsch. Peugeot présentait Epure. Un concept car qui, sous les traits de la future 207 CC, présentait les avancées de la marque en matière d'hydrogène. Avec notamment cette fameuse Genepac 20, la dernière évolution de la pile à combustible mise au point par Peugeot.
loin, toujours plus fort : Saab, un autre adepte de longue date du bio-éthanol. Alors que la marque commercialise aujourd'hui des Saab 9.5 Biopower dans son réseau, celle-ci présentait sur le salon un véhicule Hybride - Biopower. Un modèle 9.3 cabriolet nourri par un moteur électrique et un moteur thermique pouvant accepter de l'E 100, un carburant composé à 100 % d'éthanol. Pas besoin d'un petit réservoir d'essence traditionnel pour démarrer le véhicule (comme au Brésil), c'est le moteur électrique qui s'en charge. "Ce qui en fait la voiture la plus propre du monde", s'enthousiasme Laurent Butaye, chef de gamme Saab. Pour l'heure, ce n'est qu'un prototype. Mais cela démontre la vision que Saab porte sur l'avenir des biocarburants. "L'idée est de faire battre en retraite le seul point négatif lié au bio-éthanol, à savoir, la surconsommation", explique Laurent Butaye. D'autres placent davantage d'espoir dans la 2e génération de biocarburants. Des carburants à base de biomasse sur lesquels beaucoup de constructeurs travaillent aujourd'hui. Moins coûteuse et surtout moins polluante à produire que l'éthanol, cette solution est attendue pour 2015 - 2020. Alors en attendant, d'autres partis-pris s'affichent.

Où est le biodiesel ?

Réduire les biocarburants au seul éthanol serait bien simpliste. Beaucoup restent en effet sceptiques sur l'opportunité de lancer un tel carburant sur un marché français dont 70 % des immatriculations concernent des véhicules diesel. Depuis deux ans, la filière diester 30 (composé à 30 % d'ester méthylique d'huiles végétales) se met en place. Dans l'ombre de l'E85, le biodiesel fourbit ses armes. "Tous nos moteurs Diesel peuvent accepter jusqu'à 30 % de biodiesel", annonce par exemple Frédéric Saint-Geours. Renault s'est lui aussi engagé à proposer l'ensemble de sa gamme Diesel dans des versions acceptant le diester 30, dès 2009. "Notre gamme VU est déjà prête. Elle est d'ores et déjà commercialisée", précise d'ailleurs Alice de Brauer. La marque au losange a ici lancé son programme biodiesel par le biais de ses véhicules utilitaires. "C'est un carburant qui intéresse surtout les flottes d'entreprises", explique Gaël Petton, chargé de communication chez Prolea. "Nous avons une forte demande sur ce carburant. Nous avons d'ailleurs des accords de distribution pour celui-ci avec de nombreuses flottes", confirme Daniel Le Breton, au département raffinage et marketing chez Total. Sur le Mondial de l'Automobile, toutefois, la communication sur le sujet était bien maigre. Le biodiesel se faisant même voler le second rôle par des énergies telles l'électrique, le GNV, le GPL ou l'hydrogène.

Le coût de l'Hybride

Comme le GPL ou le GNV, les biocarburants ont l'avantage indéniable d'afficher un coût de la technologie mesuré. De manière générale, les moteurs flex-fuel ne devraient en effet engendrer qu'un surcoût de quelques centaines d'euros, tout au plus. "Nous n'avons pas encore fixé nos prix catalogues. Mais nous serons à des années lumière du surcoût qu'entraîne l'hybridation", témoigne par exemple Alice de Brauer. Un argument de poids pour les constructeurs européens et américains, dont la priorité est clairement portée sur ce type d'énergie alternative. Côté asiatique, c'est l'hybride qui domine les débats. Chez Honda, notamment, avec la Civic. Un prototype Hybride sport a d'ailleurs été dévoilé à Paris. Mais aussi et surtout chez Toyota et Lexus. La Prius, souvent la cible des attaques françaises, continue pourtant d'attirer les regards. "Aujourd'hui, l'actualité met en avant les biocarburants, soit. Mais ce n'est pas notre choix", réaffirme Michel Gardel, président de Toyota France. Quant au prix, celle-ci est affichée aujourd'hui, en entrée de gamme (110 ch), à 25 550 euros. Soit, grossièrement 7 000 euros de plus que l'entrée de gamme essence des 307 et Mégane, dans leurs versions 5 portes et 2 000 euros de plus que l'entrée de gamme essence des 407 et Laguna. PSA, lui même, reconnaît attendre 2010 pour commercialiser ses 307 et C4 Hybride Hdi, dévoilées en février dernier et présentées sur ce salon, afin de réduire un surcoût estimé encore à près de 5 000 euros par rapport aux autres Diesel des deux marques. Toyota n'a pas attendu. Au risque d'être cher, il est devenu pionnier dans le domaine. "D'ici peu nous allons diviser par deux le coût des composants hybrides. Produire ce type de véhicule sera ainsi moins coûteux", annonce Michel Gardel. C'est véritablement le challenge pour cette technologie. En attendant, certains se tournent vers le "micro-hybride". Le fameux système Stop & Start inauguré sur la Citroën C3, grâce à un partenariat avec Valeo. A l'heure actuelle, d'autres projets de cette nature sont sur le point de voir le jour. Notamment chez Ford, ou d'ici environ 18 mois, une Fiesta devrait être dotée du procédé. Au Salon, Renault présentait également une Modus équipée du système.

Et l'électrique ?

Pour ce qui est des acteurs non constructeurs, Bolloré et SVE (Dassault et Heuliez), la route paraît encore longue. "Nous n'attendons plus que les constructeurs. Notre technologie est opérationnelle", annonce Fabien Gaben, responsable R&D sur le projet Cleanova de SVE. Renault pourrait d'ailleurs ne plus être longtemps le seul à bénéficier du système Cleanova. En revanche, chez Bolloré : "Si aucun constructeur ne souhaite bénéficier de nos travaux, il n'est pas exclu que nous lancions Blue Car nous-même", assure Laurent Bregeon, directeur marketing de Batscap, fabricant des batteries. "Il ne faut pas mélanger les rôles", prévient Claude Satinet, directeur général de Citroën. "Nous sommes des constructeurs automobiles. Il faut un consensus politique. Il y a quelque temps, c'était l'hybride. Aujourd'hui, c'est l'Ethanol. Nous, nous devons avoir toutes les solutions technologiques pour être préparés aux demandes du marché", poursuit-il. Un consensus qui doit également se dégager au niveau industriel. L'un des points fondamentaux du succès de l'E 85 découle en effet de la capacité des pétroliers à proposer un réseau de distribution suffisant.
Depuis de nombreuses années, en effet, chacun sait que les industriels de l'automobile vont devoir répondre au problème de la raréfaction du pétrole, et bien avant cette échéance, d'ailleurs, à l'augmentation de son prix. Et si depuis quelques années, les efforts en la matière semblaient anecdotiques, c'est aujourd'hui la profession de foi du plus grand nombre. A ce titre, le Mondial 2006 aura sans doute été le lancement officiel des hostilités. Des avancées commerciales, en tous les cas. Une mise au vert générale qui entraîne quelques petites interrogations pour les réseaux. Les standards constructeurs imposeront-ils, un jour, aux distributeurs, de planter du gazon dans les ateliers, des arbres au milieu des showrooms, de dessiner des nuages sur les murs, d'installer des fontaines dans les bureaux ou de disposer de bouquets de tournesols et des paniers de betteraves à l'entrée des concessions ?


David Paques


 





ZOOM

L'E85 pour les nuls


  •  La technique. Au Brésil, les véhicules flex-fuel peuvent recevoir de 0 à 100 % d'éthanol. Mais pour le démarrage, la loi autorise un petit réservoir annexe de 3 ou 4 litres, destiné à recevoir du carburant traditionnel. Pour l'Europe, cet apport est interdit. Les constructeurs ont donc dû refaire un nouveau développement.
  •  Le bilan écologique. Le bilan est contrasté. Son intérêt majeur est de réduire les émissions de CO2. Un gain estimé, selon diverses études, entre 20 et 80 %. De nombreux experts pointent pourtant les gros besoins en énergie que nécessitent la production d'éthanol, son transport, sa transformation et sa distribution.
  •  Le rendement énergétique. La forte présence d'alcool dans le mélange confère au bio-éthanol un rendement énergétique inférieur à celui des carburants traditionnels. Ce qui, pour le consommateur, entraîne une surconsommation de 20 et 30 %.
  •  La logistique. L'Ethanol attire l'eau. Il ne peut donc être transporté par oléoduc ou autre pipeline. Pour les pétroliers, cela impose donc une nouvelle logistique. Problème : la production d'éthanol est fortement concentrée sur la partie Nord de la France. Aux Etats-Unis ou en Suède, le transport d'éthanol s'effectue par train et camion. Les pétroliers mûrissent actuellement leurs solutions.
  •  Le stockage. Les normes de sécurité pour le stockage de l'E 85 ne sont pas les mêmes que pour les carburants traditionnels. Des dépôts spécifiques sont en train d'être créés. Total envisage, par exemple, l'ouverture de trois dépôts en 2007. Pour la Siplec, filiale du groupe Leclerc, ce sont 5 nouveaux centres qui verront prochainement le jour. Pour les dépôts existants, des investissements de l'ordre de 1 million d'euros doivent être à chaque fois effectués.
  •  La fiscalité. Pour sa future commercialisation, l'E 85 sera totalement détaxé sur sa partie alcool. La taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) ne devrait être alors appliquée que sur 15 % du carburant, à savoir la quantité de pétrole présente dans le mélange. Au final, cela fixerait le prix au litre à 80 centimes d'euros. Ce qui, au regard, du rendement énergétique moindre dudit carburant, place son tarif au niveau de celui du diesel. Certains fustigent déjà ce manque d'incitations fiscales.
  •  La politique. Trouver un débouché pour les nombreuses terres de France en jachère, dont les quotas sont fixés par la politique agricole commune (PAC), est assurément une belle opportunité pour l'Etat français de prendre soin de ses agriculteurs, quelques mois avant d'importantes échéances électorales et une difficile réforme de la PAC à venir.
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