Coqueline Courreges : Une militante en Courrèges
...mode. Courrèges conçoit et construit la voiture de demain,
celle qui réconcilie l'homme et la planète ! En faisant fi des coquetteries de la "petite" décoration… Rencontre avec Coqueline Courrèges pour une conversation qui suit le chemin de celle de Jacques le fataliste et de son maître. Où les discours s'enchâssent, où les traits d'humour et d'humeur virevoltent, et où les jeux de miroirs philosophiques questionnent.
Au bord d'une longue route droite et peu fréquentée, sur un parking perdu entre Sonoma et San Francisco, les véhicules du Challenge Bibendum Michelin s'accordent une halte. Au milieu des éblouissantes perles grises magnifiant la technologie, se trouve une petite perle blanche de type coque de noix. C'est la Bulle, le véhicule du Team Courrèges. Perle rare ou vilain petit canard, c'est selon… Piqué par une inextinguible curiosité, je décide, accompagné par quelques confrères, d'aller voir de plus près. C'est une voiture toute simple, un volume évident, un berceau de blancheur et de transparence mêlées. Allure presque démunie, mais portée universelle. Avec ses dimensions réduites et sa stricte finalité de mouvement, on perçoit son identité de petite fille des villes. Mais avec sa batterie au nickel cadmium et son volume sonore dérisoire, on devine aisément sa filiation avec les petites filles des champs. Au milieu des prototypes rutilants des plus grands constructeurs mondiaux, la Bulle ne dépare pas. Elle cherche aussi à réconcilier l'homme, l'automobile et la planète. A faire que ce triangle se lie enfin avec cohérence. Loin des nuages douteux et des émissions mortifères. Saisie au vol et au hasard de ses innombrables va-et-vient, Coqueline Courrèges lance alors, avec un regard perçant : "Notre voiture constitue la preuve que l'on peut changer d'énergie ! Si une petite structure non spécialisée dans l'automobile comme la nôtre parvient à fabriquer une voiture propre, c'est bien que tout le monde peut le faire. S'ils le veulent vraiment, les constructeurs peuvent donc le faire… Aujourd'hui, si on est de bonne foi, le seul cahier des charges recevable, c'est de changer d'énergie et de respecter notre planète. Une planète qui est fragile, rappelons-le…"
La Bulle a été conçue comme une réponse aux problèmes environnementaux liés à l'automobile
Le retour à Paris est chargé et dans ma voiture, au milieu des rues encombrées, tandis qu'une voix radiophonique indique soigneusement le niveau de pollution du jour, j'ai envie de retourner voir la Bulle. Pour comprendre ce que l'on pressent puis entrevoit. La Bulle n'est pas une lubie, un gadget, mais un message, une incitation. L'imposant immeuble haussmannien du siège de Courrèges se fond avec naturel dans son quartier huppé. La pièce d'accueil est déconcertante : aucun signe ostentatoire de "grande maison", un aménagement fait de circularité et, surtout, le règne du blanc. Margot, l'attachée de presse, vêtue de la fameuse minijupe et des célèbres bottes blanches Courrèges, vient m'accueillir. Nous montons dans une immense pièce irradiée de lumière et nous nous installons devant une interminable table en verre. Blancheur et transparence… Au milieu des patrons, des croquis de vêtements et des étoffes, on trouve des dessins et des objets liés à la Bulle. Coqueline Courrèges sort de réunion et nous rejoint, dynamique en diable. Avec une salopette blanche, des yeux d'oiseau jaugeant les airs avant l'envol et des mains vives et semblables à l'écorce, Coqueline Courrèges donne le ton : "Nous avons conçu la Bulle comme on conçoit quelque chose lorsqu'on est face à un problème et qu'on se demande : comment faire ? Nous sommes six milliards et demi d'humains et nous avons des problèmes d'environnement importants. La voiture en fait partie. A l'horizon 2010, nous serons grosso modo douze milliards d'humains. Quelle voiture devons-nous donc choisir de construire aujourd'hui ? Une voiture propre bien sûr !"
Le principal intérêt de la Bulle réside dans l'universalité du message qu'elle transmet
La trame de mon entretien a d'ores et déjà volé en éclats mais, heureusement, Coqueline Courrèges reprend avec vigueur : "Pour la Bulle, nous avons tout fait tout seuls. Cette indépendance a été garante de notre liberté de penser. La Bulle se situe entre l'humour, comme un Disney philosophique, et le rêve. Elle est faite pour tout le monde tout en s'adressant plus spécifiquement aux constructeurs pour leur dire : il est temps que vous vous y mettiez vraiment !" L'indépendance de Courrèges n'exclut nullement des contacts avec les constructeurs. Citroën a ainsi étudié plusieurs projets présentés par Courrèges. Projets qui ne furent finalement pas retenus. Pourtant, le motif du levier de vitesses translucide, présent sur la Bulle, se retrouve à bord des C2 et C3. Courrèges a aussi eu des contacts avec feu Matra, Mercedes, Toyota ou encore Suzuki. "En général, c'est qu'ils ont besoin d'un designer pour faire évoluer les choses. Notamment au niveau des fonctions, comme celles qui sont liées à la vie des enfants à bord par exemple. Ces entrevues sont riches en discours et en intentions mais, in fine, les projets sont reportés", explique Coqueline Courrèges sans une once de regret ou de dépit. L'objectif de la Bulle n'est cependant pas de mettre en avant des accessoires ou quelques mignonnes petites trouvailles. "La sophistication actuelle des véhicules tourne vraiment au ridicule !", tonne Coqueline Courrèges avant de poursuivre en rythme : "L'enjeu auquel nous sommes confrontés est d'une autre nature ! Nous parlons de mobilité, de ressources énergétiques et de respect de la planète. Le moteur est au cœur de nos préoccupations, alors que la décoration, les rangements, pose-bouteille et tutti quanti, et les équipements de confort sont secondaires pour ne pas dire plus…" Il ne faut pas se méprendre : Coqueline Courrèges n'est pas une donneuse de leçons ; elle cherche viscéralement à saisir les problématiques essentielles. Respecter, voire sauver, la planète en est une. "Il ne faut pas baisser les bras ou se résoudre au fatalisme et, parfois, il faut savoir donner un coup sur la table", affirme-t-elle. De même, la Bulle n'est pas universelle. "La Bulle est plus qu'une citadine, c'est une parisienne", aime ainsi à dire Coqueline Courrèges pour laisser entendre qu'il n'y a pas de solution univoque et que notre diversité doit être prise en compte. En fait, c'est le message de la Bulle qui est universel, plaçant l'industrie automobile, mais aussi toutes les activités humaines, devant ses responsabilités. "La question des énergies et de l'environnement ne se limite pas à la voiture, bien entendu. Chez Courrèges, nous avons choisi la voiture parce que cela nous plaît et surtout parce qu'elle est visible", explique Coqueline Courrèges.
En octobre, nous découvrirons un nouveau véhicule Courrèges !
Reprenant le fil de mes questions, je me hasarde alors à lui demander ce qu'elle pense du design automobile actuel. La réponse fuse : "Comme pour les vêtements, le style automobile actuel est dégueulasse ! Il faut raisonner avant de dessiner. Et puis c'est noir et triste. Comme pour les vêtements d'ailleurs. Les gens doivent préférer les vêtements noirs en pensant que c'est moins salissant… Alors que je vois aussi bien une tache sur du noir que sur du blanc", s'exclame-t-elle. Je me recroqueville dans mon costume noir fraîchement sorti du pressing, ne trouve pas de bon mot pour m'oxygéner, cherche du réconfort en direction de Margot, tombe sur ses bottes blanches qui me renvoient à mes souliers noirs… Penaud, je reviens à la Bulle pour savoir si une fabrication de petite série a déjà été envisagée. "Oui, nous y avons déjà pensé et y pensons toujours", concède Coqueline Courrèges en précisant que cela ne se ferait pas avec un constructeur français. Au milieu des rues encombrées, calé derrière une Prius qui joue les apparitions romanesques, je pense au nouveau véhicule Courrèges qui va "succéder" à la Bulle lors du prochain Challenge Bibendum Michelin. Un véhicule propre bien sûr. Développé et construit entre Neuilly et le siège de Courrèges. Il se murmure qu'il embarquera une batterie au lithium. Un véhicule à l'échelle de la planète, au sens écologique et non mercantile. La voix rauque de Coqueline Courrèges retentit dans ma tête : "Nous devons raisonner à l'échelle des galaxies et nous exonérer du dieu argent." A propos, Coqueline Courrèges est une femme. Mais elle ne parle pas de femmes ou d'hommes. Elle préfère l'humain : "Que ce soit pour une voiture, une robe, de l'architecture, des robes architecturées ou que sais-je encore, l'enjeu reste invariable : l'humain."
Alexandre Guillet
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