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Constructeurs

Arcelor : L’Europe n’a pas su anticiper la croissance de la Chine

Publié le 17 février 2006

Par Tanguy Merrien
6 min de lecture
La Chine s'est réveillée d'un profond sommeil. Arcelor, second producteur mondial d'acier, reconnaît le manque d'anticipation des industries internationales pour assouvir l'appétit vorace de ce pays en pleine croissance. En Europe, Arcelor, deuxième producteur mondial d'acier...
La Chine s'est réveillée d'un profond sommeil. Arcelor, second producteur mondial d'acier, reconnaît le manque d'anticipation des industries internationales pour assouvir l'appétit vorace de ce pays en pleine croissance. En Europe, Arcelor, deuxième producteur mondial d'acier...

...derrière Mittal Steel*, est présent en Espagne, en France, en Belgique et en Allemagne, avec 20 sites de production dédiés à l'automobile. Sur les 45 millions de tonnes d'acier produit par Arcelor, 10 millions sont destinés à ce secteur. Le producteur détient 50 % du marché automobile en Europe, puisqu'il vend son acier à la fois aux constructeurs, mais également aux emboutisseurs et aux équipementiers (Valeo, Faurecia, Delphi, Johnson Controls…). "En Europe, explique Jean-Luc Maurange, vice-président du département automobile, la moitié des véhicules en circulation est fabriquée avec l'acier d'Arcelor". Revenant sur la flambée des prix des matières premières, Jean-Luc Maurange avoue que personne n'avait songé à un tel cataclysme. "Tous les spécialistes le prédisaient pourtant, et tout le monde savait que lorsque cela arriverait, cela fera mal. Mais quand ? Telle était la question. C'est arrivé en 2004". Cette année-là, le système chinois s'est emballé, selon les termes du vice-président, avec un taux de croissance affolant, notamment dans les secteurs de la construction et de l'automobile. "Même dans une économie aussi planifiée qu'en Chine, le gouvernement n'avait pas prévu une telle consommation, les usines ne pouvaient plus répondre à la demande". Sans parler des transports : "On ne trouvait plus de cargos pour transporter les matières premières. Mais pour fabriquer des bateaux, il fallait de l'acier, et pour faire venir l'acier, il fallait des bateaux !". L'histoire du serpent qui se mord la queue en somme. Les prix des matières premières et des coûts de transport se sont donc envolés. Divers scénarios avaient été dessinés depuis les années 80 ; le potentiel de développement du marché chinois était connu. "Mais il faut relativiser, estime Jean-Luc Maurange, nous avons mieux prévu le phénomène dans le secteur automobile que dans celui du textile. La donne change, c'est tout. Si auparavant les plus gros clients de minerais venaient des Etats-Unis ou d'Europe, aujourd'hui, ce sont les chinois. Il faut s'y habituer. Pour l'instant, le problème majeur de la Chine réside dans les capacités de ses infrastructures routières et portuaires. Imaginez que pour l'acheminement des matières premières dans les ports, le pays a dû limiter ses importations, incroyable", ponctue le vice-président.

Des durées de contrats plus courtes

Avec les constructeurs, les contrats négociés étaient jusqu'à présents pluriannuels, de l'ordre de 2 à 3 ans en règle générale. Arcelor s'était engagé sur les prix et les volumes. "Lorsque les prix se sont envolés en 2004, nous nous sommes demandés s'il ne fallait pas renégocier ces contrats. Nous ne l'avons pas fait car nous estimions qu'il fallait rester loyal. Nous avons honoré nos engagements, ni plus, ni moins. Aujourd'hui, la renégociation des contrats est achevée. Nous sommes sortis de cette logique de contrats à long terme. Dorénavant, ils seront d'un an pour la majeure partie de nos clients. Bien sûr, ils peuvent être négociés à plus long terme, mais ils seront alors indexés afin de nous protéger contre d'éventuelles variations de coûts". Chez les équipementiers, les contrats étant à court terme, Arcelor a pu les renégocier en 2005. Selon Jean-Luc Maurange, ce sont les équipementiers qui ont subi cette hausse de coûts, plus que les constructeurs, même s'ils ont, plus ou moins, pu répercuter cette hausse sur les pièces livrées. En revanche, la hausse fut nettement plus importante chez les sous-traitants qui travaillent avec les équipementiers. "Ces derniers fonctionnent encore différemment. Ils achètent l'acier au marché spot, c'est-à-dire au coup par coup. Le prix spot fluctue selon les années". Mais pour Jean-Luc Maurange, il faut relativiser le phénomène de la hausse des coûts des matières premières. "Que cela alimente les conversations, c'est normal. Il faut savoir que les coûts des matériaux, l'acier, l'aluminium, le plastique… sont en baisse régulière depuis des années en fonction de la productivité. Leur hausse soudaine et incontrôlable a forcé le secteur à revoir ses modèles bien établis. Le tout, dans une période peu propice, c'est-à-dire avec une fragilisation de la santé financière de certains".

Quelle sera la stratégie des constructeurs ?

L'anticipation d'un tel phénomène est-elle désormais possible ? Jean-Luc Maurange répond par une autre question "Serons-nous plus intelligents demain ? Restons modestes. Nous n'avons pas vu la vague arriver, même la Chine n'avait pas prévu un tel phénomène. Aujourd'hui, de nouvelles capacités minières se créent et les investissements nécessaires sont faits, ce qui devrait rééquilibrer l'offre et la demande. La croissance chinoise, même si elle est toujours à deux chiffres, va se stabiliser. Tout ceci prend du temps, deux à trois ans environ. D'ici 2008, nous retrouverons tous une situation normale". Peu de constructeurs avaient, semble-t-il, prévu une telle croissance du marché chinois. Ils ont commencé à s'implanter sur ce marché il y a seulement quelques années. "Volkswagen a été l'un des premiers à le faire, avec Peugeot, Citroën et General Motors. Et puis, les choses se sont accélérées au cours des 3 dernières années, avec Nissan, Honda, Fiat… PSA a même augmenté sa capacité de production là-bas. Des surcapacités qui interpellent sur la stratégie des constructeurs à long terme. Vont-ils faire fonctionner les usines en Chine et réexporter les véhicules ailleurs ? Fermeront-ils ensuite des sites de production en Europe ? En tant que fournisseur d'acier, nous les accompagnons, c'est pourquoi nous avons également créé notre propre site de production. Mais nous attendons tous de voir ce qui va se passer".
La croissance et la capacité de production de la Chine ne peut se faire que par l'import, puisque cette dernière n'est pas autosuffisante. Un phénomène inquiétant, selon Jean-Luc Maurange, car cela crée un déséquilibre. D'un autre côté, dans la mesure où la Chine doit importer la matière première pour la transformer ensuite, sa compétitivité reste moindre que celle de l'Europe. Dans ce contexte, quid de l'Inde et de la Russie, qui ont des ressources en matières premières inépuisables ? La Russie fonctionne avec des coûts de production peu élevés donc une compétitivité plus grande. Idem pour l'Inde. La situation sera-t-elle vraiment revenue à la normale en 2008 ?


 Muriel Blancheton


* Pour les détails de l'OPA lancée par Mittal Steel contre Arcelor, voir p. 38.

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