L'écoconduite, un allié pour décarboner les flottes ?
"C’est impressionnant !", laisse éclater une personne à la vue des résultats du parcours routier de son collègue. Ce dernier a acquis depuis une heure des notions d’écoconduite. "Tu as vu ? C’est vraiment bien. Là, au niveau de la consommation, tu économises un plein sur deux", indique avec satisfaction, à la personne concernée, le formateur d’Actua Formation. Avant de revenir sur cet effet "waouh !", rappelons l’essentiel.
Depuis 2018 et le vote de la loi d’Orientation des mobilités (LOM), puis de la loi Climat, les entreprises doivent répondre à des objectifs précis de verdissement de leur parc lors de chaque renouvellement. 10 % de leur flotte en véhicules à faibles émissions depuis le début 2022, 20 % depuis le 1er janvier 2024, puis 40 % et 70 % en 2027 et 2030. C’est notamment depuis ces dates que la notion d’écoconduite s’est peu à peu introduite dans une grande partie des entreprises.
L’écoconduite approuvée par les entreprises
La pratique de l’écoconduite a vu le jour dans les années 2000. Elle consiste à adopter une conduite particulière dans l’objectif de moins consommer. Dans le monde de l’automobile, "moins consommer" sous‑entend émettre moins de dioxyde de carbone (CO2), réaliser des économies, réduire les bruits et limiter les risques routiers. Autant de sujets qui interpellent les gestionnaires de flotte, ces derniers cherchant à respecter les démarches RSE et à maîtriser le TCO de leur parc. En particulier lorsque les totems des stations‑service affichent des prix au litre supérieurs à deux euros.
À titre d’exemple, La Poste s’est très tôt positionnée sur le sujet en formant ses postiers à compter de 2007. L’entreprise assure d’ailleurs qu’elle a formé plus de 80 000 d’entre eux depuis les débuts. Ce qui aurait eu pour effet de réduire de 10 % la consommation de carburant par an. Elle indique, sur son site Internet, qu’il est possible d’économiser 4 l/100 km pour un semi‑remorque.
Pour aider le plus grand nombre à adopter les bons réflexes, l’Agence de la transition écologique (Ademe) présente quelques conseils comme la conduite sans à‑coups, réduire sa vitesse de 10 km/h sur l’autoroute ou encore couper la climatisation. Des préceptes qui permettraient d’économiser jusqu’à cinq pleins par an, selon l’Ademe. Pour former leurs employés, les entreprises peuvent faire appel à de nombreuses sociétés qui se proposent de former en une journée ou deux les salariés.
Les formations peuvent être déclinées de différentes manières. La façon la plus classique est une journée composée d’une séance théorique et d’une séance de pratique. Mais certaines entreprises proposent des formations davantage tournées vers le digital ou essayent d’apporter un aspect ludique par le biais de jeux. C’est, par exemple, le cas de Drive Innov, une start‑up ayant récemment lancé une levée de fonds à hauteur de 3 millions d’euros.
Une formation obligatoire pour certaines entreprises
Mais quoi de mieux pour vérifier les bénéfices de l’écoconduite que de participer à l’une de ces formations ? Rendez‑vous à 8h sur le circuit de Marcoussis (91), perdu au beau milieu de la campagne du sud de l’Essonne, sous une brume hivernale matinale. Les organisateurs accueillent les participants qui arrivent au compte‑goutte dans le local floqué d’une banderole Actua Formation.
Autour d’un café, certains en profitent pour faire connaissance, quand d’autres retrouvent des collègues. En effet, ce jour‑là, un groupe d’une quinzaine de commerciaux arrive en force, envoyé par l’assureur Axa. Ces derniers se connaissent, du moins de vue.
À leurs côtés, un salarié de Volkswagen et une cadre d’Orange, uniques représentants de leur entreprise, participent aussi à cette journée. "Si je suis là aujourd’hui, c’est en réponse aux consignes de la direction pour former les employés à la bonne utilisation des véhicules à batterie, explique cette dernière. Là, je viens de réceptionner une voiture de fonction électrique et j’avoue que je la découvre encore. Cette formation ne fera pas de mal." "En général, le nombre de participants varie entre 8 et 20 personnes. Aujourd’hui, c’est un grand groupe", assure l’un des dix formateurs présents ce jour‑là.
Dans un brouhaha de discussions et de sirotage de café, un formateur sonne la fin de la récré et réclame l’attention. "Je vais vous demander de remplir ces fiches s’il vous plaît", déclare‑t‑il tout en distribuant le document en question. Un acte de présence où il faut renseigner nom, prénom, entreprise et adresse mail.
Les participants sont ensuite invités à s’installer sur les chaises disposées devant un mur blanc faisant office d’écran pour le vidéoprojecteur. L’un des formateurs prend le relais et, à l’image d’un professeur devant une classe d’étudiants, entame la partie théorique. "Qui vérifie sa pression des pneus tous les mois ?", lance le formateur. Si deux ou trois mains se lèvent, la question ne semble pas emballer l’audience.
Une partie théorique et une partie pratique
La première heure est consacrée aux pneumatiques. Avec un apprentissage sur la typologie des pneus : la différence entre un pneu hiver et quatre saisons, la définition des termes comme l’aquaplaning et l’adhérence de la route. Une partie théorique non négligeable puisque des pneus sous‑gonflés peuvent augmenter la résistance au roulement, responsable de 30 % de la consommation. Afin d’éviter d’accroître cette dernière, il est préconisé de ne pas opter pour des pneus larges, mais adaptés à son véhicule avec la bonne pression. Ce sont, en substance, les conseils prodigués durant cette heure.
Après une parenthèse sur l’aspect sécurité et notamment sur les bons gestes à adopter à une intersection et la tache aveugle, vient le moment de la pratique. Un moment bienvenu après une partie théorique que le formateur s’est efforcé de rendre vivante. Le temps de préparer les véhicules, l’assemblée prend une pause.
Concernant les collaborateurs d’Axa présents sur place, ces derniers n’ont pas eu le choix. "Cette formation est obligatoire pour nous. Pour ma part, je roule largement au‑delà des 25 000 km par an, avec des pointes à 800 km en une journée. Donc Axa a souhaité nous faire une petite piqûre de rappel", présente Pierre, l’un des commerciaux de l’assureur. Les véhicules sont désormais prêts. Ce sont des Toyota.
Le formateur annonce qu’à partir de maintenant, les groupes sont divisés en petits ensembles de trois. Ces derniers sont répartis dans les différents véhicules, avec un formateur en fonction de leur préférence pour une boîte de vitesses automatique ou manuelle. Actua Formation a signé un partenariat avec Toyota, ce qui lui permet de former les conducteurs sur des modèles du groupe nippon pour les véhicules électrifiés.
Du côté des thermiques, ce sont des Renault Clio 4 qui sont utilisées. Un groupe de deux commerciaux d’Axa a fait le choix de la boîte automatique. Dans un Lexus NX, un modèle hybride, le formateur d’Actua Formation lance aux participants, tout en fermant la portière droite : "Oubliez tout ce que votre moniteur d’auto‑école a pu vous apprendre. Vous allez voir qu’en général, il enseigne des pratiques qui ne sont pas compatibles avec l’écoconduite. Par exemple, il ne faut pas mettre ses mains à 10h10 sur son volant, mais plutôt à 9h15, ce qui est beaucoup plus pratique pour éviter les obstacles intempestifs."
Presque tous les formateurs présents sur place n’ont pas de diplôme d’auto‑école classique, mais un brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport (BPJEPS). Celui‑ci, dans l’automobile, permet de former les conducteurs sachant déjà conduire. "C’est vraiment le meilleur diplôme selon moi pour donner des cours d’écoconduite", soutient le formateur. Doté d’un ordinateur portable, il se connecte au boîtier télématique branché sur la prise OBD du véhicule.
Beaucoup d’informations à assimiler sur un trajet court
Avant de démarrer, le formateur remplit une fiche contenant nom, prénom, société et kilométrage annuel. Florent, les mains sur le volant et le coude sur la portière, indique 30 000 km par an. Une fois les données enregistrées, la voiture peut partir. Pour évaluer le conducteur, la séance est composée de trois étapes. Pour cette première étape, Florent devra rouler comme à son habitude sur un trajet de 6,4 km, préétabli par les formateurs.
Ensuite, il devra refaire exactement le même trajet en appliquant les règles et en suivant les instructions du formateur. Puis, avec les données récoltées par le boîtier télématique, il y a un débrief final, visant à comparer les deux trajets. "Il ne faut pas leur dire, mais j’ai une Toyota Yaris comme voiture de fonction. Du coup, j’ai déjà suivi une formation d’écoconduite proposée par Toyota lors de l’acquisition du véhicule et c’était exactement la même chose, presque au mot près… D’ailleurs, je me demande si ce n’était pas le même formateur", glisse avec complicité Florent après sa session en mode écoconduite.
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Le conseil principal émis par le formateur : l’anticipation. Dès lors qu’une intersection ou un danger apparaît, il faut lever le pied de l’accélérateur et laisser le véhicule ralentir naturellement jusqu’à l’élément en question avant de freiner. "Il faut, dans la mesure du possible, éviter de trop toucher aux pédales d’accélération et de freinage. S’il y a une pente, il faut laisser le véhicule descendre de lui‑même", martelait le formateur durant le trajet.
L’Ademe précise qu’une conduite sans à‑coups, que couper le moteur lors des arrêts de plus de 10 s et ne pas rouler en surrégime permet de réduire de 20 % la consommation par rapport à une conduite agressive en ville. Précisons que le trajet de 6,4 km était caractérisé par des routes de campagne et des passages dans de petites communes propices aux intersections, mais sans routes excédant les 80 km/h. Toujours selon l’Ademe, sur l’autoroute, l’agence publique recommande de diminuer la vitesse de 10 km/h afin d’économiser 3,5 à 4,5 l de carburant pour un trajet de 500 km.
Des résultats concluants ?
Le boîtier télématique permet d’avoir une visibilité sur de nombreuses données, telles que les tours par minute, la durée du trajet, la durée et la distance de freinage, la vitesse maximale ou encore les passages de boîte de vitesses. Ayant aussi suivi la formation, pour ce parcours, entre le trajet sans notions d’écoconduite et avec, nous avons pu gagner 17 s et faire passer nos émissions de dioxyde de carbone de 125 g/km à 29 g/km.
Mais la donnée qui choque davantage les participants, c’est la consommation. En reprenant notre premier trajet, nous avons consommé 5,5 l/100 km, contre 1,3 l/100 km pour notre deuxième. Soit une diminution de 76 % de notre consommation, ce qui est loin d’être négligeable et qui est constatable pour tous les participants et ce, peu importe la motorisation.
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Néanmoins, il est essentiel d’apporter de la nuance. Ce trajet court n’est pas réellement une base de référence fiable pour mesurer l’impact réel de l’écoconduite. D’autant plus qu’il est très spécifique et ne reflète pas la réalité d’une partie des actifs considérés comme de gros rouleurs. En effet, ces derniers privilégient surtout les routes nationales et les autoroutes. D’autre part, cet enseignement en une journée est dense et les réflexes à adopter sont nombreux. "De ma première formation avec Toyota, j’ai tout oublié. Il est probable que ce soit une fois de plus le cas dans les prochaines semaines", sourit Florent.
Un autre salarié d’Axa avoue crûment à ses collègues qu’appliquer les méthodes d’écoconduite est "ennuyeux". Et pourtant, l’un des formateurs explique qu’une entreprise ayant envoyé ses salariés se former a vu son budget carburant baisser de 30 %. Parmi le panel de solutions sur le marché, l’écoconduite pourrait bien s’imposer comme l’un des moyens les moins coûteux pour décarboner sa flotte.
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La télématique au service de l’écoconduite
L’Ademe compte dans ses bons réflexes l’utilisation d’outils de suivi pour pratiquer l’écoconduite. Le coeur de métier des télématiciens finalement, comme Watèa (Michelin), Kuantic (Free2move) ou encore Geotab. Leurs logiciels affiliés à leurs boîtiers permettent aux salariés d’avoir une visibilité sur leur pratique d’écoconduite, donnant lieu à un score. Les données récoltées par les boîtiers permettent aussi de réaliser des challenges d’écoconduite avec à la clé des récompenses. Une manière de rendre ludique la pratique sans pénaliser ceux qui ont un score moins bon. De plus, les télématiciens n’en finissent pas de faire évoluer leur offre pour proposer toujours plus de fonctionnalités et de précision au niveau de leurs outils, capables d’identifier les freinages brusques, les accélérations brutales ou encore le niveau de consommation. Des outils précieux pour les gestionnaires qui peuvent avoir de la visibilité sur la conduite de leurs collaborateurs.
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