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"En termes de services, l’automobile doit se réinventer"

Publié le 24 mars 2011

Par David Paques
10 min de lecture
Lionel Meyer, directeur général de Luxury Attitude - En croisade contre certains comportements contre-productifs, de nombreuses marques tentent aujourd’hui d’orienter leurs premières lignes vers des comportements plus empathiques et érigent ainsi l’esprit de service en incontournable préalable à la relation clients, fidélisation comprise. Une démarche que Luxury Attitude met en œuvre depuis plus près de quinze ans dans l’univers du luxe. Rencontre avec Lionel Meyer, son directeur général.
Lionel Meyer, directeur général de Luxury Attitude - En croisade contre certains comportements contre-productifs, de nombreuses marques tentent aujourd’hui d’orienter leurs premières lignes vers des comportements plus empathiques et érigent ainsi l’esprit de service en incontournable préalable à la relation clients, fidélisation comprise. Une démarche que Luxury Attitude met en œuvre depuis plus près de quinze ans dans l’univers du luxe. Rencontre avec Lionel Meyer, son directeur général.

Journal de l’Automobile. Pouvez-vous nous expliquer quelle est votre activité et comment en êtes-vous venus à travailler avec certaines marques automobiles ?
Lionel Meyer.
Luxury Attitude est un cabinet de conseil créé en 1997 par Erik Perey et moi-même. A l’origine, il s’agissait d’accompagner les hôtels de luxe dans leur politique de services. Nous avons par exemple travaillé très en amont de l’ouverture du Fouquet’s Barrière. Ils souhaitaient être à la hauteur de la concurrence mais avec leur identité propre. Ensuite, nous sommes intervenus dans plusieurs autres hôtels de renom, comme le Meurice, le Crillon, le Plaza Athénée… Rapidement, certaines marques de très haut de gamme nous ont contactés. Leurs clients étant les mêmes que ceux des hôtels avec lesquels nous travaillions… Mode, maroquinerie, joaillerie, horlogerie… cela a été la 2e étape de notre développement. Ensuite, nous avons eu des marques premium voulant monter en gamme. C’est là que nous avons eu notre premier client dans l’automobile, avec Audi. C’était en 2001, pour le lancement de la précédente génération d’A8. La marque voulait faire comprendre à ses forces de vente que l’on ne vendait pas une A8 de la même manière qu’une Passat. Je rappelle qu’à l’époque, la séparation des showrooms Volkswagen et Audi n’en était qu’à ses débuts. Il fallait adapter les comportements, être en cohérence avec le produit. Par la suite, nous avons travaillé avec Mercedes ou certaines marques du groupe Fiat. Depuis quelques mois, nous sommes même contactés par des marques qui ne sont ni haut de gamme, ni de l’univers du luxe, mais qui ont des aspirations qui s’en approchent. Avec Air France, Nespresso, ou encore le Club Med.

JA. Quelle est la nature de votre mission ?
LM.
L’idée est que quand une marque communique, qu’elle qu’en soit la manière, elle fait une promesse. Celle-ci est généralement bien tenue quand il s’agit d’éléments tangibles. Dans l’automobile, les véhicules sont généralement conformes à l’idée que s’en fait le client. Il y a rarement de surprise quant au produit, ou même au showroom. En revanche, dès que nous parlons de notions plus instables, comme le service, les promesses sont plus difficilement tenues. Nous devons faire en sorte que celles-ci le soient.

JA. Comment ?
LM.
Le haut de gamme repose sur trois aspects : le professionnel, l’humain et l’esthétique. Si on parle d’une fonction commerciale, la dimension professionnelle concerne les techniques de vente. Ce n’est pas notre domaine. Nous, nous intervenons sur l’humain et l’esthétique. Nous accompagnons donc nos clients pour que la notion de service soit intégrée au plus haut niveau des sociétés. Le service ne doit pas être la cerise sur le gâteau du vendeur, mais une vraie culture d’entreprise. Installer une qualité de service dans une affaire revêt donc un niveau opérationnel, puis une dimension managériale. Nous intégrons cela dans notre démarche. Que ce soit au niveau du conseil ou de la formation. L’idée est que le conseil, c’est le design du service. Il faut faire en sorte que le service porte l’ADN de la marque. C’est-à-dire être haut de gamme et différenciant, reprendre les codes des véhicules et l’esprit de la marque. Pour cela, il faut souvent raconter une histoire, jouer sur la dimension émotionnelle. Plus un produit est haut de gamme, plus il faut que la valeur émotionnelle soit forte, mais également complexe. Ce qui doit également transparaître dans le service.

JA. C’est-à-dire ?
LM.
Tous les vendeurs vendent. C’est un acte on ne peut plus fonctionnel. Dans le haut de gamme, plus qu’ailleurs, la manière de vendre est donc importante pour développer cette part émotionnelle. L’automobile a cette chance qu’elle revêt une importante part émotionnelle. La seule partie où cet élément est pauvre, c’est dans le service et le commerce. Là aussi, on ne fait pas la différence sur le fonctionnel. Même en temps de crise, le client a besoin de sa dose de plaisir.

JA. Concrètement, comment vend-on différemment ?
LM.
Aujourd’hui, par exemple, offrir un café au client n’est pas différenciant. Il faut donc faire très attention à la manière dont on le fait. Propose-t-on un gobelet avec une “touillette”, une tasse, un Nespresso, sur un plateau, dans une machine ? Je fais un choix. Je positionne mon service. Le café en lui-même ne fait pas la différence. On peut aller plus loin en demandant au client comment il préfère son café. Ce café est un prétexte pour créer du lien. Voilà pourquoi il est bon que le vendeur en prenne un lui aussi. On n’offre pas un café, on le partage. Cela devient un acte social et non pas commercial. La logique que nous suivons est que chaque chose doit avoir un impact.

JA. Le frein à une meilleure qualité de service est-il toujours humain ?
LM.
Pas nécessairement. Mais tous les jours, nous voyons des vendeurs qui disent aux clients “si vous voulez bien me suivre”, et qui tournent les talons. C’est une attitude caricaturale à l’antithèse d’un service premium. Ne serait-ce que sur le poids des mots. Pourquoi ne pas dire “je vous invite à m’accompagner” et se mettre à côté du client ? On peut reprendre des choses de l’hôtellerie à ce niveau. Quand on entre dans un bureau, on peut simplement orienter la chaise pour le client avant de s’asseoir sans aucune forme de soin. Typiquement, on est dans l’humain. Cela a un impact. Un client qui fait plusieurs showrooms premium, choisira celui qui lui a réservé le meilleur accueil, celui qui lui semble le plus professionnel et qui lui montre son intérêt sans trop en faire.

JA. Plus que les autres marques, les premium doivent donc fuir les caricatures…
LM.
Tout à fait. Dans cette même logique, on a le vendeur qui va prendre une plaquette et agrafer sa carte dessus pour le client. C’est tout sauf premium. C’est une attitude de vendeur basique qui a peur que si le client revient, quelqu’un d’autre que lui ne s’en charge. C’est vraiment un geste caricatural. Où est la valeur de l’agrafeuse ? Il faut oublier les gestes banalisant qui tirent vers le bas. Même chose sur la façon dont on parle des véhicules durant les essais. Evitons de parler de caisse, de pneus, de phares ou d’intérieurs. Parlons de pneumatiques, d’optiques, de selleries… Quand on dit intérieur cuir, je vois un robot dans une usine. Quand on dit sellerie cuir, je vois un artisan. De la même manière, le produit n’a pas de prix. Il a une valeur. Tout a une importance.

JA. Beaucoup de constructeurs ont pris conscience de cet aspect comportemental. Dans la plupart des réseaux, il existe déjà des formations sur le sujet, n’est-ce pas ?
LM.
Bien souvent, le constructeur propose un travail sur l’individu. Or, le dispositif le plus efficace pour orienter une entreprise dans une logique de service, c’est d’être au plus près du terrain. Cela commence souvent par des visites mystères de manière à percevoir la réalité du service. Ensuite, nous mettons en place des formations, mais surtout des actions. Très souvent, ce sont d’ailleurs des choses très simples qui ne coûtent pas d’argent. La question du quoi est connue. Celle du comment l’est un peu moins. Bien sûr, nous avons certaines recettes, mais il s’agit souvent de bon sens. Revenir à une culture du client, à une philosophie d’entreprise faite de principes simples et de pratiques cohérentes. Certains veulent des résultats à court terme. Il y en aura, bien entendu. Mais c’est surtout une philosophie qui s’inscrit dans le long terme. La qualité commence souvent par coûter, mais elle finit toujours par payer.

JA. Selon vous, les distributeurs ont-ils vraiment conscience de cet aspect déterminant ?
LM.
Je suis convaincu que beaucoup de patrons se demandent quelle est leur valeur ajoutée. Et ils ont raison. Car le simple critère géographique ne suffit plus. Il faut se poser cette question. Qu’est-ce que j’apporte de plus que mes concurrents, mais également que ceux qui représentent la même marque que moi. Aujourd’hui, il y a beaucoup de concessions qui ne servent à rien. Ce sont de simples showrooms. Ils n’apportent rien de plus. C’est un danger. Car si l’automobile n’épouse pas cette logique, il ne faut pas s’étonner que les mandataires prennent des parts de marché. Nous sommes dans une ère où toute société de distribution et de service doit en permanence apporter une valeur ajoutée. Plus la marque a un réseau important, plus le distributeur devra s’interroger à ce sujet. Et plus je m’inscris dans la durée, plus je dois miser sur le service.

JA. Quel rôle peuvent donc bien jouer les concessionnaires à ce niveau ?
LM.
La fidélisation est déterminante. Or, un client ne se montre pas fidèle qu’à une marque, mais aussi aux hommes qui la représentent. Acheter un véhicule n’est pas un simple achat. On signe un contrat pour la durée de vie du produit. Aussi, il est important de tenir compte des trois niveaux de fidélisation : la marque, la concession et l’homme. Certains l’ont bien compris, comme les groupes Schumacher, Jean Lain ou Neubauer. Ils ont su créer un label qui a ajouté de la valeur et su capitaliser dessus. Chez eux, les clients ne demandent pas à ce qu’on leur retire le logo du concessionnaire alors que dans beaucoup d’endroits, c’est ce que demande d’emblée le client. C’est le signe que la culture d’entreprise est incarnée à tous les niveaux de ces concessions. Encore une fois, ce n’est pas le constructeur qui demande de proposer un 2e café au client. Il faut faire preuve d’imagination. Il n’y a pas de limite. Les notes de musique sont les mêmes pour tout le monde. Avec, je peux faire un rock ou un concerto. Chacun a son identité de marque et sa signature d’entreprise. C’est un ensemble. On peut réinventer le service en permanence.

JA. Considérez-vous que la distribution automobile est à la traîne sur le sujet ?
LM.
L’automobile est très en retard sur ces questions. Elle n’a pas cessé de se réinventer sur ses fondamentaux, mais pas sur le service. Ou très peu. Le garagiste du coin a par exemple inventé le véhicule de courtoisie… Très bien. Mais le traitement est rarement haut de gamme. Souvent, on se dit que c’est déjà bien de fournir un véhicule de prêt. Non. Je rêve d’un concessionnaire qui prête un véhicule de gamme comparable, voire supérieure. Je ne mesure pas ce que cela peut coûter. Rolex l’a fait. SFR aussi. Nespresso a même fondé son modèle en disant qu’il remplaçait chaque machine sous 24h en cas de problème. Et pas par une Illy ou une autre marque. Il existe de très grands axes de progrès. Même chose sur les rendez-vous. Pour faire l’entretien de son véhicule, il faut poser un RTT. Dans le même temps, à la télévision, Carglass annonce qu’il se déplace partout pour un simple éclat sur une vitre. N’y a-t-il pas plus de champs à exploiter ? L’automobile est arc-boutée sur ses contraintes. En termes de services, l’automobile doit se réinventer.
 

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