Pierre Janthial, Stellantis : "Nos fourgons hydrogène bénéficient d’une très forte baisse tarifaire"
Le Journal des Flottes : Comment se porte le marché des utilitaires légers en France ?
Pierre Janthial : L’année 2024 avait plutôt bien débuté avec une progression des prises de commandes au mois de janvier. En février, la tendance s’est inversée, les prises de commandes ont décliné. Cela ne se voit pas encore dans les immatriculations car les portefeuilles à livrer sont encore importants. En résumé, le marché est bon en immatriculations, mais nous commençons à ressentir les effets de la conjoncture économique avec certains secteurs d’activité qui souffrent assez fortement, comme celui de la construction.
JDF : Dans ce contexte, comment jugez-vous la performance de Stellantis ?
P.J. : Nous sommes en progression par rapport à l’an passé en immatriculations sur les deux premiers mois de 2024. Idem pour les prises de commandes. Nous sommes donc assez confiants pour la suite de l’année, même si nous attendons de voir quels seront les impacts des récentes mesures prises par le gouvernement. Je pense surtout à l’évolution du dispositif du bonus pour les flottes. La baisse de 1 000 euros du bonus pour les VUL électriques va certainement avoir un effet sur la demande, mais les conséquences seront encore plus importantes sur les dérivés de voitures particulières comme la Peugeot 208 Business'R. Ces modèles deux places à TVA récupérable sont désormais privés de tout bonus.
JDF : Le manque à gagner pourrait être important pour vous ?
P.J. : Absolument, la 208 à TVA récupérable représente une part importante de nos ventes. Cette nouvelle mesure est donc très contraignante pour les entreprises qui voulaient verdir leur flotte à moindre coût. Aujourd’hui, il s’avère qu’elles sont coincées sur cet aspect-là.
Nous sommes satisfaits de voir que de grands groupes de distribution se structurent dans le business des véhicules utilitaires légers
JDF : Les délais de livraison restent-ils un problème chez Stellantis ?
P.J. : Le premier élément de réponse est que nous avons un portefeuille à livrer qui est stable par rapport à l’an passé. Ensuite, nous avons beaucoup de véhicules en commande qui nécessitent des transformations et des aménagements. Cela nécessite un petit peu de temps, à cause notamment des évolutions réglementaires qui créent des goulets d’étranglement.
JDF : Pouvez-vous préciser ce dernier point ?
P.J. : Nous sommes ici dans le schéma des opérateurs qualifiés, un nouveau règlement français qui date de juillet 2023. Pour tout ce qui concerne les aménagements, cela doit désormais se faire obligatoirement dans des ateliers certifiés Utac. De ce fait, tout ce qui était fait précédemment dans les réseaux de concessionnaires, comme le montage de kits bois, ne peut plus l’être. Tout ce business bascule donc vers quelques entreprises qui ont du coup un surcroît de demande et ont du mal à suivre en production. Cela ralentit la livraison de notre portefeuille. Le but de cette nouvelle réglementation est de savoir exactement ce qui a été monté sur chaque véhicule et de connaître le poids exact de chaque équipement supplémentaire. Après un aménagement, il y a un certificat de pesée et une liste des équipements est réalisée. Derrière ça, on peut tout imaginer, comme la mise en place à terme d’un malus au poids pour les utilitaires légers.
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JDF : Quels délais annoncez-vous à vos clients ?
P.J. : Tout va dépendre des modèles, des marques et des énergies. Mais globalement, nous sommes revenus sur des délais classiques que nous avions avant crise. Ils sont de l’ordre de trois mois maximum pour les livraisons. Après, s’il y a des aménagements, nous pouvons rentrer dans des délais beaucoup plus importants.
JDF : Il y a quelques jours, le groupe Dubreuil a annoncé la création de Carren, une société spécialisée dans la transformation et l’aménagement de VUL avec cette fameuse certification Utac "opérateur qualifié". Quel regard portez-vous sur ce type d’initiative ?
P.J. : Nous sommes satisfaits de voir que de grands groupes de distribution se structurent dans le business des véhicules utilitaires légers. Ils sont quelques-uns en France à pouvoir se permettre ce type d’initiative. D’autres groupes que Dubreuil sont en train de faire la même chose. Pour nous, ce n’est pas une perte de business, au contraire, c’est un moyen de fluidifier notre activité. Je vous parlais à l’instant de goulets d’étranglement. Si nous avons la possibilité de faire faire des opérations sur des plaques de grands groupes, cela va forcément améliorer les délais de traitement. Et par conséquent améliorer la satisfaction client. Nous ne pouvons qu’encourager les groupes de distribution à prendre de telles initiatives.
Tous les jours, nous avons des concessionnaires qui se disent convaincus sur le fond par ce modèle du contrat d'agent
JDF : Toujours concernant les relations avec les distributeurs, où en êtes-vous au sujet des contrats d’agents, qui doivent aux dernières nouvelles concerner les VUL en 2026 en France ?
P.J. : Nous travaillons activement avec les groupements et les réseaux pour analyser tous les cas qui peuvent se présenter à nous et fluidifier le tout. Nous prenons le temps de bien préparer le sujet, avec les bons outils et les bons process. Nous appuierons sur le bouton quand nous serons prêts, cela se fera peut-être avant ou après 2026. Tant que nous ne sommes pas sûrs à 100 % d’un côté comme de l’autre que tout est bien en place et bien organisé, nous ne démarrerons pas. Le travail se fait normalement, il y a de belles avancées. Tous les jours, nous avons des concessionnaires qui se disent convaincus sur le fond par ce modèle du contrat d'agent. Après, sur la forme, il y a encore du travail à faire.
JDF : L’autre grand sujet du moment chez Stellantis est le renouvellement de la gamme utilitaire avec, en têtes d’affiches, les grands fourgons électriques à plus de 400 km d’autonomie. Quelles sont vos ambitions dans cette catégorie ?
P.J. : Sur le segment des grands fourgons, par définition nous proposons plus de volume, ce qui se traduit aussi par plus de poids. Or le poids, plus que pour le thermique, est l’ennemi de l’électrique. L’autonomie est donc très importante et effectivement le fait de passer le cap des 400 km enlève toutes les barrières psychologiques liées à l’électrique. Nous sommes même à 537 km en cycle WLTP urbain. Les demandes des clients sont là, mais c’est encore un marché qui manque de maturité. L’électrique sur le VUL fonctionne beaucoup par pics avec quelques grands comptes qui font bouger le marché. La tendance de fond est là, mais il faut que le coût de détention devienne aussi compétitif que possible, et nous mettons en l’occurrence tout en œuvre pour qu’il se rapproche de celui des modèles thermiques. Cela se traduit d’ailleurs dans nos ventes, qui sont supérieures à la moyenne nationale.
JDF : Pour le coup, vous proposez des modèles dotés d’une batterie de 110 kW à des prix défiant toute concurrence…
P.J. : Tout à fait, comme je viens de vous le dire, nous essayons de rapprocher au maximum les coûts d’utilisation entre thermique et électrique. C’est uniquement de cette façon que nous allons faire basculer les utilisateurs sur ce type d’énergie. Les grandes flottes sont pour beaucoup engagées dans un processus de verdissement de leur flotte, maintenant il faut aller chercher les artisans, les TPE et les PME/PMI. À nous de leur prouver que leur business peut être fait au quotidien avec un véhicule électrique, sans aucun problème et sans aucun compromis. Un artisan en France fait en moyenne 150 km par jour. Toute notre gamme électrique est éligible au regard de cette donnée.
Nous proposons désormais les Peugeot e-Expert Hydrogen et Citroën ë-Jumpy Hydrogen aux alentours de 70 000 euros HT
JDF : Cette notion de TCO paritaire semble en revanche plus difficile à appliquer sur l’hydrogène. Des baisses de tarifs sont-elles à l’ordre du jour maintenant que la production est passée à l’échelle industrielle ?
P.J. : Tout à fait, nos fourgons hydrogène bénéficient d’une très forte baisse tarifaire. Nous proposons désormais les Peugeot e-Expert Hydrogen et Citroën ë-Jumpy Hydrogen aux alentours de 70 000 euros HT. Notre objectif est d’avoir un TCO sur l’hydrogène qui soit au niveau de l’électrique. Nous comptons pour cela sur les aides régionales et nationales qui peuvent atteindre 35 000 euros environ.
JDF : Vous êtes pratiquement le seul constructeur aujourd’hui à proposer de l’hydrogène et de l’électrique sur les mêmes modèles. Est-ce tenable à terme ?
P.J. : Nous croyons vraiment aux deux technologies. Sur l’électrique, si l’on souhaite de l’autonomie, il faut des grosses batteries. Et si on a des grosses batteries, on embarque du poids et cela réduit la charge utile. Il faut donc que nous trouvions la bonne équation. L’hydrogène nous permet de la résoudre, cette technologie nous libère de la contrainte du poids. Et en plus, nous pouvons faire le plein en cinq minutes. Évidemment, il n’y a pas de marché à ce jour, car cette technologie a longtemps été inabordable financièrement. Ce n’est plus le cas. Nous poursuivons notre apprentissage sur le sujet avec l’arrivée dans le courant de l’année des grands fourgons à hydrogène à plus de 500 km d’autonomie, 1,3 tonne de charge utile et jusqu’à 17 m3 de volume de chargement.
JDF : Quel est pour vous le potentiel de l’hydrogène ?
P.J. : Nous estimons que cette technologie représentera 20 % du marché des utilitaires d’ici cinq ans.
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