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Industrie

"Mettre le client face à un choix"

Publié le 26 mai 2011

Par David Paques
6 min de lecture
Stephan Guinchard, directeur au bureau parisien de Simon-Kucher & Partners - Depuis de longs mois, la course à la remise dans laquelle se sont engagées de nombreuses marques a renforcé une pression sur les prix initiée par la surproduction chronique des constructeurs, la prime à la casse et ses conséquences sur le mix produit. Alors que l’Etat a rangé ses habits de régulateur, Stephan Guinchard, directeur au bureau parisien de SKP, fait le point sur le phénomène.

JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Depuis la disparition de la prime à la casse, le 1er janvier dernier, les marques ont-elles pris des mesures pour stopper la dégradation du prix moyen des transactions ou ont-elles poursuivi leur course à la remise ?
Stephan Guinchard.
La question se pose d’autant plus naturellement qu’avec la réduction de la prime, les marques avaient déjà mis la main à la poche pour maintenir les volumes. Des remises de 25 à 32 % étaient même devenues courantes. Pourtant, aujourd’hui, les marques poursuivent l’offensive au travers d’avantages client ou de remises déguisées, comme lorsque l’une d’elle fait cadeau de la TVA. Mais certaines freinent sur le sujet. Les marques allemandes ne font déjà plus trop d’efforts sur les prix mais proposent, en revanche, des offres attractives, notamment sur le financement ou sur les packs. C’est aussi une façon de récupérer de la marge. Car, quand la marque offre gratuitement un pack dont le prix facial est de 1 500 euros, alors qu’il lui coûte 1 000 euros, elle ne perd que 1 000 euros de marge. A l’inverse, une remise de 1 500 euros, lui coûte véritablement 1 500 euros, soit 50 % de plus.

JA. Le principe de la remise n’est pas nouveau. Que stigmatise-t-il ?
SG.
D’un point de vue historique, il est vrai que l’industrie automobile a toujours été dans une approche favorisant le volume plutôt que la rentabilité unitaire. L’exemple de GM est assez symptomatique à ce sujet. En 2004, aux Etats-Unis, certains dirigeants de General Motors se promenaient avec un pin’s “29”, comme l’objectif de parts de marché à atteindre, accroché sur le revers de la veste, de manière à ce que la quête de pénétration soit un objectif constant.
Cela est parlant. Un jour, un dirigeant d’un des grands constructeurs allemands a aussi fait cette confession à un responsable de SKP : “Si notre rentabilité baisse, cela passe inaperçu. Si nos volumes dévissent, tout le monde nous tombe dessus”. C’est bien la preuve que le volume prime sur la rentabilité. D’ailleurs, le classement des constructeurs est bien basé sur la part de marché.

JA. Comment sortir de ce cycle ?
SG.
Le contre-exemple, c’est Porsche. Ils réduisent la production, mais ne touchent pas au prix. La marque peut se le permettre car elle maîtrise bien son positionnement. Dans une autre mesure, chez Dacia, la donne est également différente car tout l’appareil industriel est déjà amorti. Ce qui lui permet d’être rentable, même avec de la remise. Mais aujourd’hui, de manière générale, le problème est que la remise est affichée avant même d’aller chez le concessionnaire. Le client l’intègre donc dans son processus d’achat avant même de venir en concession. Notons que le mode de rémunération du concessionnaire incite lui aussi à miser sur le volume. Aujourd’hui, de nombreux modèles ne représentent souvent pas plus de 1 ou 2 % de marge par vente pour le distributeur. Ce ne sont plus les marges unitaires qui payent, mais bien les primes de volume.

JA. A l’instar de ce que nous confiaient récemment Jean-Charles Herrenschmidt ou encore Olivier Lamirault, arrivons-nous au bout du système ?
SG.
Les solutions pour en sortir ne nécessitent pas de bouleversements majeurs. Il s’agit de remettre en place une dynamique vertueuse. Ce qui ne se fait pas en un claquement de doigts. Les constructeurs ont le temps d’atténuer peu à peu cette remise systématique. Et, pour moi, si la demande baisse de nouveau, ce n’est pas une nouvelle baisse des prix qui changera la donne.

JA. Mais comment contourner cet écueil ?
SG.
En évitant les comparaisons directes, par exemple. Grâce au
design, à l’identité, à la technologie… Un constructeur établit le positionnement tarifaire de ses véhicules en regardant le coût de production, la marge attendue et la concurrence. Il faut davantage penser à la valeur intrinsèque du véhicule. Sur les segments de masse, les constructeurs sont obligés de faire des compromis. Sur les autres, il s’agit de mieux appréhender les leviers de valeurs et de bien mesurer le surcroît de valeur offerte au client afin de différencier le véhicule. C’est l’exemple du Cayman. Typiquement, les modèles coupé sont vendus moins cher que les modèles cabriolet. En jouant sur les leviers de valeurs, le segment et la clientèle, Porsche a prouvé qu’il était possible de positionner le Cayman au-dessus du cabriolet. Aujourd’hui, il y a 5 000 euros d’écart entre les deux entrées de gamme.

JA. Quelles sont donc les armes dont les généralistes disposent ?
SG.
Ce sont les mêmes, mais exploitées de manière différente. La personnalisation des véhicules va dans ce sens. Même si cela a un coût pour les constructeurs, cela reste une opportunité d’échapper à la remise à tout prix. Quand on offre une entrée de gamme simple et que l’on propose des évolutions, chaque client peut exprimer sa volonté de payer plus, ou non. DS3 en est le dernier exemple. L’entrée de gamme est à hauteur de 23 000 euros. La DS3 Racing s’affiche, elle, à 30 000 euros. Citroën a ainsi su trouver les éléments de valeurs importants. Une autre opportunité clé, ce sont les nouveaux modèles. Car à l’occasion d’un lancement, on peut mettre le client face à un choix : acheter l’ancien modèle, ou payer plus pour le nouveau ; acheter l’ancien avec une remise, ou le nouveau sans. Il faut mettre le client devant sa volonté de payer.

JA. Un distributeur a-t-il, à son niveau, l’opportunité de lutter contre cette pression des prix vers le bas ?
SG.
Bien sûr. Pour éviter d’être coincé sur l’axe du prix, pourquoi ne pas réévaluer les besoins du client ? C’est une chose qui se passe dans le showroom. Là encore, il faut le mettre devant un choix. Quand un constructeur a une gamme suffisamment large, chez Volkswagen par exemple, on peut orienter un client qui veut une remise sur Passat vers une Jetta sans remise. On peut aussi offrir du service, plutôt que de la remise. L’optique est la même : limiter l’impact négatif du prix sur la rentabilité et sur la perception que les clients ont de la valeur du produit. Et il ne faut pas non plus avoir peur de perdre le client. Il est difficile de déployer une approche froide et rationnelle de rigueur de prix dans ce contexte. Mais cela implique la formation des équipes de vente.

JA. De la même manière que les mandataires ou les portails de vente VN en ligne, les sites d’enchères inversées ne rendent-ils pas cet assainissement difficile ?
SG.
C’est un phénomène qui reste marginal. Mais ces sites d’enchères sont un peu le retour du bâton tendu par les constructeurs. Car c’est souvent de cette manière qu’ils fonctionnent vis-à-vis de leurs fournisseurs. C’est un canal d’écoulement pour les distributeurs qui ne tiennent que par les volumes. Mais, d’expérience, les distributeurs qui se montrent stricts sur les prix, le sont aussi sur la bonne qualité du service, donc sur la relation client, donc la fidélisation. C’est un cercle vertueux dans lequel il peut être difficile d’entrer, mais le jeu en vaut la chandelle.

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