Yolande Cervesato : Madame le patron

...axes majeurs de son management.

Sortie d'autoroute, direction Senthein. Une mince langue de bitume qui perce des forêts de sapins. Passage d'un premier village qui semble se reposer, bercé par une brise tiède et humide. Ciel de plomb. Point de cigogne. Arrivée dans un bourg à l'orgueilleuse église. Derrière les élégantes maisons éclatantes de couleurs, le Ballon d'Alsace attire le regard d'une manière presque magnétique. Une impasse. Au bout, posé sur un bâtiment de verre et d'acier, un nom : Dangel. Ce nom évoque immédiatement, du moins pour les amateurs d'automobiles, le 4x4 utile, le franchisseur discret et humble, vaillant et rigoureux, un véhicule qui a toute la confiance de son maître. Nous sommes bien loin du SUV urbain, clinquant et rutilant, avant tout engin de domination et d'apparence.

Curriculum vitae Nom :Cervesato Prénom :Yolande Age : 54 ans, mariée, un enfant 1980 : Secrétaire commerciale d'Automobiles Dangel 1988 : Responsable administration des ventes d'Automobiles Dangel 1996 : Assistante du P-dg d'Automobiles Dangel 2004 : Directrice générale déléguée d'Automobiles Dangel

Une fois les portes de l'entreprise de Monsieur Dangel franchies, apparaît le bureau de la directrice générale déléguée des Automobiles Dangel. Une pièce fonctionnelle, aux dimensions raisonnables, à l'ameublement standard et non ostentatoire, aux gris et bleus sobres. Un ordinateur, des dossiers et des chiffres. Pas d'œuvres d'art avant tout destinées à impressionner le visiteur, pas non plus de photos avec une quelconque personnalité. Yolande Cervesato est là qui vous accueille avec une chaleur teintée d'une légère timidité. La patronne de ce constructeur français qui produit plus de 1 200 véhicules par an semble presque étonnée que le journaliste venu la rencontrer ait effectué des centaines de kilomètres pour ce faire. Une vraie sérénité émane de ce capitaine d'industrie. Sa façon de s'exprimer, de vous regarder évoque une force tranquille mâtinée d'une certaine retenue. Elle est à l'image du roseau, souple et solide. Il émane de sa personne le sentiment que cette dirigeante doit savoir traverser les tempêtes sans tanguer et se faire respecter de façon naturelle, sans forcer.

Etre à l'écoute

Le principe même des réunions avec ses principaux collaborateurs donne une idée claire de sa philosophie managériale. Ces réunions se tiennent chaque matin, tout le monde restant debout. Pourquoi ? Pour aller à l'essentiel. Etre à l'écoute, ouverte à toutes propositions mais efficace, toujours. Les autres membres de l'équipe dirigeante semblent apprécier. Henri Dangel, fondateur et président en exercice de la marque, dit d'elle en premier lieu : "Ce que j'apprécie avant tout chez Yolande, c'est son professionnalisme de première classe, sa motivation, la qualité de son travail. J'ai toute confiance en elle." Dans un sourire, il formule tout de même un léger reproche en évoquant son "côté très affirmé propre aux Italiens". Dans une esquisse d'autoportrait professionnel, Yolande Cervesato souligne son goût pour le management, affirme être persévérante et sensible, assure savoir être à l'écoute aussi bien de ses proches collaborateurs que de l'ensemble des opérateurs.
"Comme je suis très prise, je ne passe plus tous les matins, comme je le faisais auparavant, faire un petit tour à l'atelier, mais je continue à le faire occasionnellement. D'une part, cela me plaît réellement et, d'autre part, les opérateurs apprécient qu'une personne de la direction s'intéresse de près à leurs activités. Ceci permet un dialogue avec le salarié très direct et convivial, explique la directrice générale déléguée des Automobiles Dangel. Tout en étant assez autoritaire, j'essaie de conserver une certaine convivialité sans toutefois perdre de vue les notions d'efficacité et de rentabilité."
L'un de ses souhaits, et il paraît difficile de remettre en cause sa sincérité sur ce point, est que l'ensemble des salariés qui travaillent chez Dangel se plaise au sein de l'entreprise. "Tout découle de l'encadrement. Sur ce plan, la hiérarchie déteint sur les niveaux inférieurs", estime-t-elle.
Yolande Cervesato a, selon ses propres termes, atterri chez Dangel par hasard, du fait d'une opportunité. "J'ai débarqué dans un secteur que je ne connaissais que très peu. Il est clair que je ne suis pas une fanatique d'automobile, mais je suis passionnée par mon travail et par mon produit", lance-t-elle. Elle fait son entrée chez Dangel il y a près de vingt-cinq ans, lors de la création de l'entreprise. Une structure à l'activité originale qui demeure sans concurrent direct en France. Secrétaire commerciale dans un premier temps, responsable commerciale ensuite, Yolande Cervesato se retrouve donc aujourd'hui au plus haut de l'échelle.

Automobiles Dangel Société qui a vu le jour à la fin des années soixante-dix, est spécialisé dans la transformation de véhicules de série en véhicules quatre roues motrices. Aujourd'hui, la société travaille exclusivement sur les petits et gros utilitaires de PSA et de Fiat. Automobiles Dangel, qui compte 73 salariés, a réalisé un chiffre d'affaires de 7,5 millions d'euros sur les sept premiers mois de l'année, soit une progression de près de 100 % sur la même période de 2003.

S'imposer sans en imposer

Quel est le métier de Dangel ? "Nous réceptionnons des véhicules de grandes séries du groupe PSA, et désormais également de chez Fiat, que nous transformons en quatre roues motrices. Nous déposons certains organes mécaniques pour ensuite monter les nôtres, comme notamment une boîte et un pont arrière spécifiques", explique-t-elle. Les véhicules qui passent sur les chaînes de montage de Dangel sont aujourd'hui les Peugeot Boxer et Partner, les Citroën Jumper et Berlingo, et enfin le Fiat Ducato. Mais Dangel s'est fait connaître, au début des années 80, par les emblématiques Peugeot 504 versions break et pick-up. Beaucoup d'amoureux de la chose automobile s'en souviennent encore. "Certes, nos véhicules ne peuvent être comparés à des 4x4 comme le Land Cruiser ou le Defender, mais ils réalisent tout de même des performances qui se révèlent très spectaculaires", tient à souligner Yolande Cervesato.
Sa carrière a connu une vraie évolution en 1995, quand Dangel a commencé à travailler avec Fiat. "Je pratique l'italien, ce qui est d'ailleurs un vrai plaisir pour moi. Je suis devenue une interlocutrice privilégiée de Fiat tout en continuant le travail avec PSA. Il m'a fallu acquérir des connaissances assez techniques car ce sont les directions techniques des constructeurs qui valident nos produits, qui font les essais et homologations", note-t-elle.
Son quasi-quart de siècle passé au sein de l'entreprise de Senthein a été ponctué de périodes pour le moins délicates. "J'ai vécu des hauts et des bas comme dans bien d'autres sociétés. En 1986, nous avons rencontré d'énormes difficultés parce que nous sommes passés de la 504, qui était alors en fin de vie, à la 505, qui n'était pas encore homologuée. Donc, nous ne pouvions pas produire. Nous avons également connu une période de production très réduite durant six mois", se souvient-elle. L'entreprise a dû procéder à des licenciements économiques. Cette période a été vécue d'autant plus difficilement par Yolande Cervesato que, à son poste d'assistante de direction, elle se trouvait particulièrement impliquée dans la vie de l'entreprise. L'incertitude sur l'avenir même de la société prévalait alors. Cette époque est heureusement révolue. Dangel est aujourd'hui une société qui se porte bien et qui, surtout, a de bonnes perspectives. Elle a réussi l'an passé à doubler son chiffre d'affaires par rapport à l'année précédente.
Chez Dangel, sur 73 salariés, une douzaine sont des femmes. "Le milieu automobile dans son ensemble demeure très masculin, mais j'ai la sensation qu'il devient de moins en moins machiste, estime-t-elle. Seule une ou deux fois, lors du Mondial de l'Automobile, j'ai perçu un certain scepticisme chez des messieurs lorsque je leur répondais sur des questions pointues de technique ou de mécanique. Je pense qu'être une femme peut faciliter les relations. J'ai toujours été bien accueillie quelles que soient les circonstances." Pourtant, comme bien d'autres femmes, Yolande Cervesato est tout à fait consciente qu'elle a dû faire davantage ses preuves qu'un homme à un poste similaire. "J'estime que les femmes ont sans doute davantage de facilité à s'imposer sans en imposer", glisse-t-elle.
Sur le plan professionnel, son rêve est de posséder sa propre affaire. "C'est sans doute pour cette raison que je me suis épanouie car j'ai toujours réagi, en toutes circonstances, comme si je travaillais au sein de ma propre entreprise. J'ai un caractère compatible avec cette envie", conclut-elle.

Cyril André

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