Vers le design pour tous ?
...française, nous avons décidé de ne pas baisser pavillon en ouvrant une tribune à Jean-Yves Prodel pour mettre le design universel à l'honneur. Rencontre avec un homme d'exception, un homme en mission.
Et d'abord, la tristesse. Celle de constater que nombre de portes se ferment dès qu'il doit être question de parler de la problématique de la mobilité réduite. Celle de voir que la France est terriblement en retard dans ce domaine. Les Américains et les Japonais que nous raillons à loisir avec un zeste de condescendance peuvent pourtant nous donner des leçons, qui se révéleraient salutaires, sur ce point. Sans parler des Scandinaves, plus proches de nous. La tristesse, enfin, de découvrir qu'en France, au-delà de la compassion, cette compassion commode de confort dans son acception la plus tartuffe, voire la plus nauséabonde, les idées et, pis encore, les volontés ne sont pas légion. Hors associations spécialisées et quelques exceptions, ce n'est que discours convenus et mines compassées, ou alors grande omerta. Jean-Yves Prodel, président de JYP design consulting, rencontré une première fois dans le cadre des jurys de l'Institut supérieur de Design de Valenciennes, n'est pas surpris outre mesure par cette situation. Il brise même volontiers les garde-fous du politiquement correct : "La France a trente ans de retard en ce qui concerne les personnes à mobilité réduite ! Tout passe par la compassion que vous évoquez… Le Téléthon en est la plus parfaite illustration : il s'agit de faire pleurer dans les chaumières et de faire marcher la course aux dons, mais aucunement de réfléchir à une véritable politique d'intégration dans la cité." A ceux qui crieraient au sacrilège, Jean-Yves Prodel rappelle qu'il a participé à la création du Téléthon ainsi qu'à ses premières éditions, avant de s'en détacher, déçu.
Ne pas "rendre accessible", mais concevoir dès le départ un produit ou un espace accessible à tous
Toutefois, on aurait tort de penser que Jean-Yves Prodel ne fait que dénoncer. En effet, le consultant est avant tout force de proposition. Avec une doctrine globale et structurée : le design universel, plus communément appelé "design pour tous". Tout part d'un constat d'échec : "En France, nous en sommes encore au stade du design de l'accessibilité, c'est-à-dire qu'il y a deux budgets simultanés : l'un pour les personnes valides et l'autre pour les personnes à handicap. Or, cela ne fonctionne pas. En termes de mobilité et d'accessibilité, les personnes à mobilité réduite ne peuvent pas emprunter la voie de monsieur tout le monde, quand elles ne sont pas soumises à un vrai parcours du combattant." Nous fonctionnons donc à partir d'un postulat séparatiste, d'un côté les valides, de l'autre les handicapés, ce qui favorise l'émergence d'une communauté du handicap, et non d'une démarche d'intégration en tant que telle. Le design universel propose autre chose. Né aux USA dans les années 70 et brillamment théorisé par le célèbre architecte Ron Mace dans les années 90, le design universel vise à identifier les besoins du marché pour faire que les équipements et les produits soient utilisables par le plus grand nombre. Bref, on ne rend pas accessible au plus grand nombre, mais on conçoit dès le départ un produit ou un espace accessible à tous. Tout en prenant en considération argument majeur, le volet économique de la question. "L'objectif est d'éliminer une partie des coûts supplémentaires liés aux espaces et aux équipements pour les personnes à mobilité réduite en intégrant cette donnée dès la conception", explique Jean-Yves Prodel, avant d'ajouter, délibérément non revendicatif : "D'ailleurs, en tant que consultant, je ne suis pas au service des handicapés, mais des entreprises. Il y a un énorme marché pour elles si nous comprenons que ce qui est bon pour nous l'est pour tous."
Un marché français estimé à 25 millions de personnes et 300 milliards d'euros !
Le marché évoqué par Jean-Yves Prodel est effectivement gigantesque ! Selon l'OMS, 10 % de la population mondiale est légèrement ou gravement invalide. En France, selon une étude de l'Insee et du groupe de projet HID (Handicaps-Incapacités-Dépendances) faisant suite au recensement de 1999, le nombre de personnes déclarant souffrir d'un handicap, léger ou majeur, avoisine les 25 millions. Soit 41,2 % de la population, dont 13,4 % pour les déficiences motrices. Le marché du design universel est intrinsèquement total, mais surtout il ne se limite pas à une communauté donnée, intégrant les personnes souffrant d'un handicap léger et anonyme ainsi que les personnes âgées. Un atout précieux au regard du phénomène de vieillissement des populations qui s'esquisse dans de nombreuses sociétés. "En France, c'est un marché d'environ 25 millions de personnes, estimé à 30 milliards d'euros. Et compte tenu des indicateurs démographiques, il s'établira à 375 milliards d'euros dans un avenir proche", résume Jean-Yves Prodel. L'industrie automobile fait naturellement partie de ce marché. Même si le segment des véhicules pour personnes à mobilité réduite ressemble actuellement en France à une peau de chagrin. Faute de volonté politique et d'infrastructures adaptées… Faute d'une bonne promotion des produits, les entreprises généralistes ayant souvent peur que leur nom et leur offre soient associés au handicap… En restant dans l'Hexagone, de rares constructeurs sortent du lot, à savoir Renault et Volkswagen, voire PSA. Chez les carrossiers transformateurs, on peut citer sans prétendre à l'exhaustivité Gruau, Durissotti, Kempf, Okey, Somac, ou encore Dijeau. Pour l'innovation à proprement parler, qu'elle relève de la technologie ou du design, il faut se tourner vers l'étranger avec des sociétés incontournables comme Braun, Ricon, ou encore Paravan et Veigel. Le dernier Salon Reha de Düsseldorf a par exemple permis de constater des progrès considérables en matière de systèmes électriques ou sur le segment des petits scooters.
Alexandre Guillet
QUESTIONS ÀJean Cambiéri Senior Manager à la direction des ventes spéciales Renault. Journal de l'Automobile. Pouvez-vous nous dessiner les contours du marché français des véhicules pour personnes à mobilité réduite ? JA. Quelles sont les récentes évolutions de design que vous mettriez en avant ? JA. On dit souvent que le service après-vente n'est pas à la hauteur en France pour les personnes à mobilité réduite, qu'en pensez-vous ? JA. Quelle est la politique de formation du groupe dans le réseau par rapport à cette question ? JC. Depuis deux ans, tous les conseillers commerciaux disposent d'un CD pour traiter les demandes des personnes handicapées. Respecté, ce process aboutit toujours à une offre de produit final. Par ailleurs, nous avons aussi des vendeurs spécialisés au sein du réseau et une vingtaine de concessions organisent chaque année des journées dédiées à la mobilité réduite. Il y a eu de réels progrès dans ce domaine, car il y a encore peu de temps, les vendeurs en concession ne se bousculaient pas pour accueillir un client handicapé. JA. Dans ce domaine, votre communication reste très ciblée. Qu'est-ce qui vous empêche de passer à une communication généraliste présentant cette offre comme une forte valeur ajoutée ? JA. Que pensez-vous du concept de design universel ? JA. Etes-vous associés aux pouvoirs publics pour faire évoluer le problème des infrastructures ? |
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