Urbanisation sans concessions
...en banlieue. Le phénomène se généralise peu à peu aux grandes villes et force distributeurs et constructeurs à composer avec cette nouvelle donne immobilière.
Est-il préférable d'acheter ou de louer ? La question peut paraître simpliste, mais elle a le mérite de susciter le dialogue. Dans une conjoncture immobilière qui fait la part belle aux propriétaires, chacun pourrait en effet s'empresser de prôner l'investissement. La donne intègre pourtant bien d'autres aspects. Les contrées françaises ne sont, à ce sujet, pas logées à la même enseigne que les avenues parisiennes. Par ailleurs, les filiales et les distributeurs ne disposent pas des mêmes moyens financiers. En réalité, bien difficile aujourd'hui de faire une généralité sur le sujet. "Que ce soit à Paris ou en province, les entreprises ont tout intérêt à acheter", ose pourtant Annabelle Joyaux, conseillère en immobilier d'entreprise chez Michel Marx expertises. "La principale raison est que les taux d'intérêt n'ont jamais été si bas. L'OAT* est, par exemple, à 3,40 %. Alors, évidemment, les prix sont assez élevés, mais avec des taux comme ceux-là, l'intérêt des entreprises est clairement d'investir", poursuit ainsi Annabelle Joyaux. Malgré l'escalade économique du secteur, l'heure serait-elle donc à l'opportunisme ? De concert, les professionnels de l'automobile s'entendront sans doute pour répondre par la négative. "Nous n'avons pas besoin de pousser nos distributeurs à acheter. Ils savent où est leur intérêt. Faut-il encore pouvoir le faire", explique Didier Gambart, chef du département développement réseau Toyota. "En ville, les surfaces dédiées à l'automobile ne sont pas très nombreuses. Qui plus est aujourd'hui, les municipalités cherchent à faire sortir les structures automobiles de la ville, contrairement à autrefois. De ce fait, il n'y a que très peu de locaux spécifiques sur le marché", poursuit Didier Gambart. Conséquence : les concessions se font rares en ville. Et celles qui restent doivent faire face à des loyers ou des investissements qui se montrent rapidement rédhibitoires pour certains. "A force de dire qu'on ne veut plus de voitures dans les villes, les concessions vont disparaître !", s'emporte ainsi Jean-Luc de La Ruffie, directeur commercial de Suzuki France. "Dans un périmètre de 25 km autour de la place de l'Etoile, la donne immobilière est la même. A l'instar de beaucoup de grandes villes européennes, les concessionnaires sont ainsi obligés d'aller s'installer loin des villes", témoigne à son tour Bruno Courtois, vice-président du CNPA et président du groupement des concessionnaires Peugeot. "Aujourd'hui, les pôles automobiles sont tous en périphérie. Et ça n'est pas qu'un problème parisien. Malheureusement, je pense que ces politiques d'urbanisme tendent à se généraliser", résume alors Jean-Luc de La Ruffie. Si cet état de fait est véritablement exacerbé dans et autour de la capitale, la problématique est ainsi davantage à relier à une tendance générale d'urbanisation.
Quand le concessionnaire se mue en rentier
Au-delà de ces orientations politiques sur la place de l'automobile dans le paysage urbain et des simples capacités des professionnels à investir, la véritable question posée aujourd'hui par tous les distributeurs concerne davantage la pertinence de cet investissement. Aujourd'hui, l'activité automobile apparaît en effet bien peu compétitive par rapport à l'exploitation d'un parc immobilier. Et, filiale ou pas, les propriétaires de tous ordres sont souvent tentés de céder aux sirènes de l'immobilier. Posséder un terrain est, en effet, une chance. Y entretenir une concession est en effet beaucoup plus discutable du simple point de vue de la rentabilité. "Nous sommes actuellement dans une période où les loyers atteignent un tel niveau qu'un concessionnaire ne peut compenser ce poste immobilier par l'activité automobile, témoigne en effet Bruno Courtois. Personnellement, j'avais une concession à Versailles. J'ai préféré construire un immeuble à la place pour rentabiliser davantage le terrain", poursuit-il alors. L'exemple est tout à fait symbolique de cette nouvelle donne immobilière. Les concessionnaires automobiles seraient-ils donc en passe de se muer en rentier ? Même exagérée, la question peut se poser. Les propriétaires sont, en effet, de plus en plus nombreux à suivre cette voie. Alors trancher entre l'achat et le bail se veut bien souvent fonction de l'implantation géographique du site. Cette tendance est, en effet, avant tout observable dans les grandes agglomérations.
Pour les locataires, le problème est alors différent. "Les concessionnaires sont en général locataires parce qu'ils ont des baux de longue date avec des loyers pas trop élevés", explique Bruno Courtois. "Un bas loyer peut en effet s'avérer intéressant", confirme Annabelle Joyaux. "Mais inévitablement au renouvellement du bail, le loyer est revu à la hausse. C'est toujours à ce moment précis que nos clients font appel à nous", poursuit-elle alors. S'il est ainsi plus intéressant d'acheter, la location perdure donc grâce à des conditions négociées de longue date. Malheureusement, cela ne semble pas être amené à durer très longtemps. "Aujourd'hui, certains propriétaires préfèrent, en effet, payer une amende d'éviction que de garder des concessionnaires dans leurs locaux", constate ainsi Bruno Courtois. Une attitude qui en dit long sur l'écart de rentabilité entre l'activité immobilière et le secteur automobile.
Les concessionnaires réclament des aides
Malgré ces contraintes financières, quel constructeur peut, en effet, se séparer d'une vitrine dans les grandes villes ? "Avoir un simple showroom en ville ne marche pas. Ce n'est pas du tout rentable. Le client a besoin de suivi. Aussi, il est absolument nécessaire d'avoir un service après-vente. Le souci, c'est qu'au sein des grandes villes, les locaux sont souvent exigus", explique Jean-Luc de La Ruffie. Le problème reste donc entier. Ce qui fait dire à certains que l'intérêt des constructeurs pour les centres-villes devrait se traduire par une compensation. "Avec les marges d'aujourd'hui, je ne vois pas comment conserver une concession à Paris sans une aide financière des constructeurs", lance Bruno Courtois. Une demande à laquelle les constructeurs ne s'empressent pas de répondre. Tous ont une stratégie différente. Et bien souvent, la seule aide accordée à une concession sortie de terre porte sur la communication. Ces dispositions sont évidemment bien loin des besoins que peuvent afficher des entrepreneurs automobiles. Alors face à ces lourdes contraintes, constatées principalement dans les grandes villes, certains constructeurs s'organisent. A Paris, Renault a par exemple confié le soin à sa filiale, REA Group, de se charger de la distribution. D'autres constructeurs se sont mis également à l'instar de Peugeot (7 sites), Citroën (11), Saab (1), Chevrolet (1) et plus récemment Volkswagen (2) ou encore BMW (1). A Paris encore, Suzuki possède les locaux de ses distributeurs et leur loue ensuite pour éviter de leur infliger un loyer trop important (voir "Trois questions à"). Mais dans la majeure partie des cas, les constructeurs n'interviennent que peu ou prou. "Des demandes de ce type ont déjà été formulées auprès des constructeurs, mais rien n'est fait. Ces aides n'existent nulle part", témoigne encore Bruno Courtois. Quel montant suffirait-il à combler ces difficultés ? Quel type d'aide les constructeurs pourraient-ils apporter à leurs distributeurs ? A ces questions, les intéressés se montreront pour le moins frileux. Les conditions sont en effet telles que personne ne peut nier l'évidence. Les métiers de l'automobile sortent des villes. Plus généralement, c'est, par ailleurs, l'ensemble du secteur qui se voit touché par ces contraintes immobilières. Garages, distributeurs ou centres-autos se font, en effet bien rares dans les villes. "Ils ferment et ne sont jamais remplacés par des activités automobiles. Même pour trouver du carburant à Paris, il faut aller en sous-sol !", regrette ainsi Bruno Courtois. L'anecdote est extrême, mais elle est aussi symbolique des difficultés financières auxquelles les professionnels du secteur ont à faire face pour régler sans encombres leur poste immobilier. Les prémices d'une évolution certaine se font donc sentir aujourd'hui. L'avenir de l'activité automobile se situera-t-il en banlieue ?
David Paques
* Obligation Assimilable du Trésor. Il s'agit de l'instrument utilisé depuis 1985 par l'Etat français pour emprunter sur des durées comprises entre 7 et 30 ans, soit à taux fixe, soit à taux indexé.
QUESTIONS AJean-Luc de la Ruffie, Directeur commercial de Suzuki France. "Dès qu'il y a un terrain exploitable, on rase tout et on fait un immeuble, certainement pas une concession " Journal de l'Automobile. De quelle manière Suzuki vient-il en aide à ses distributeurs parisiens ? JA. Pensez-vous que, sans cette aide, un distributeur aurait des difficultés à survivre à Paris ? JA. La tendance se vérifie-t-elle donc moins hors de la capitale ? |
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