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Constructeurs

“Une question préjudicielle maladroite et non-conforme”

Publié le 14 juillet 2006

Par Alexandre Guillet
5 min de lecture
L'entrée en vigueur du règlement n°1400/2002 justifiait-elle le recours au préavis d'une année ? Alors, que la jurisprudence a répondu massivement par l'affirmative, un tribunal danois a posé le 15 mars 2005 une très longue question préjudicielle à la CJCE. Dans le cadre de...
L'entrée en vigueur du règlement n°1400/2002 justifiait-elle le recours au préavis d'une année ? Alors, que la jurisprudence a répondu massivement par l'affirmative, un tribunal danois a posé le 15 mars 2005 une très longue question préjudicielle à la CJCE. Dans le cadre de...

...la procédure préjudicielle, la Cour de justice n'a pour mission que d'interpréter le droit ou d'apprécier sa validité. Son rôle est d'éclairer les juridictions des Etats membres sur une règle de droit et non de trancher un litige particulier. En ce sens, les onze questions danoises sont problématiques car ce que le juge danois demande à la Cour, c'est en définitive de trancher à sa place et de dire si l'entrée en vigueur du règlement n°1400/2002 justifiait le recours au préavis d'une année. Ses questions auraient dû être reformulées entièrement. Ce travail d'orthodoxie juridique reviendra in fine à la Cour de justice.

La faculté de résiliation pour réorganisation constitue-t-elle une condition de l'exemption ?

La question préjudicielle danoise apparaît contraire à l'objet d'un règlement d'exemption. Le tribunal demande à titre principal si le règlement n°1475/95 impose que la résiliation fasse l'objet d'une motivation détaillée. Or, comme la Cour l'a dit pour droit dans son arrêt de principe VAG France/Magne dès 1986, un règlement d'exemption "n'établit pas de prescriptions contraignantes affectant directement la validité ou le contenu de clauses contractuelles ou obligeant les parties contractantes à établir des conditions qui, si elles sont remplies", font bénéficier l'accord ou certaines clauses de l'exemption. La vraie question est donc plutôt de savoir si la résiliation doit répondre à certaines conditions pour que l'accord puisse bénéficier de l'exemption. Pour cela, il faudrait d'abord que l'exercice de la faculté de résiliation pour réorganisation constitue une condition de l'exemption, alors qu'aucune disposition du règlement n°1475/95 n'indique expressément que l'exemption est subordonnée et que l'on peut douter que la durée des préavis soit comprise dans l'habilitation de la Commission. Au cas où il s'agirait d'une condition valable de l'exemption, il faudrait s'interroger sur le sort de la clause et du contrat à défaut d'exemption catégorielle : le contrat pourrait sans doute bénéficier d'une exemption individuelle au titre de l'article 81-3 et si cette exemption était impossible, il faudrait en tirer les conséquences et constater la fin des relations entre les parties.
Si l'on reformule la question dans la logique du droit communautaire, les conditions de la résiliation pour réorganisation ne sont pertinentes que pour savoir si les conditions de l'exemption par catégorie sont remplies, au cas où il s'avérerait que l'exemption est réellement et valablement conditionnée par les modalités de résiliation pour réorganisation.

Une réorganisation "profonde" ou substantielle ?

Sur les divergences linguistiques : la version danoise prévoit la nécessité de "réorganiser profondément le réseau". C'est la seule à le faire. Dans ce cas, les versions établies dans les autres langues communautaires l'emportent. La question apparaît dès lors irrecevable ou au mieux sans intérêt dans sa composante linguistique puisque déjà tranchée. La position de l'avocat général qui considère que la nécessité de réorganisation doit être profonde paraît infondée, car contraire au texte même du règlement en vigueur dans toutes les versions linguistiques en vigueur sauf une.

Le courrier de résiliation doit-il être motivé ?

L'avocat général relève qu'aucune obligation de motivation n'est prévue par le règlement dans un tel cas. Il conclut cependant à l'obligation de motiver la résiliation ! Le préavis d'un an serait dérogatoire à la solution normale et le constructeur serait dès lors tenu de motiver sa décision par courrier pour démontrer que les conditions du texte sont réunies. Or, le règlement est d'interprétation stricte et les conditions de la résiliation peuvent être démontrées sans avoir à figurer dans la lettre de résiliation.
L'interprétation selon laquelle la nécessité de réorganiser devrait être justifiée par l'efficacité économique du réseau et être substantielle, et à défaut ne serait pas valable, déforme le texte du règlement. La finalité d'efficacité économique explique qu'une faculté de résiliation pour réorganisation soit ouverte au constructeur, sans la limiter à des raisons économiques ; le règlement précise expressément que c'est la réorganisation qui doit être substantielle et non la nécessité de réorganiser ; enfin, la non-conformité à un règlement n'affecte jamais directement la validité d'une clause.

Nécessité de résilier et charge de la preuve

La nécessité de résilier : selon l'avocat général, le constructeur ne pourrait pas procéder à des modifications pour optimiser l'organisation de son réseau. Cette interprétation est manifestement contraire au 19e considérant du règlement.
La charge de la preuve de la nécessité de résilier : l'avocat général considère qu'elle pèse sur le constructeur.

Le nouveau règlement est-il une raison suffisante pour utiliser le préavis d'un an ?

L'avocat général considère que l'entrée en vigueur du règlement ne constituerait pas en soi une circonstance économique rendant nécessaire le recours au préavis d'un an. Il reconnaît cependant qu'elle peut modifier le contexte économique à un tel point qu'il devient nécessaire de réorganiser le réseau et qu'il appartient au juge national de l'apprécier. Or, la nécessité de réorganisation qui guide la décision de la tête de réseau peut s'expliquer par un ensemble de raisons, sans exclusive : nécessité d'assurer une sécurité juridique au réseau, de maintenir ou d'augmenter sa compétitivité dans un environnement plus concurrentiel ou de poursuivre des réorganisations économiques en cours. Comme la Cour de Paris l'a confirmé par arrêt du 14 juin 2006, dès lors que le juge constate la réalité objective de la réorganisation et son caractère substantiel, sa nécessité est avérée sans qu'il lui appartienne d'apprécier l'opportunité d'une décision de gestion ou de stratégie commerciale. A cet égard, la position de la Commission selon laquelle la nécessité de réorganisation dépend exclusivement de l'appréciation commerciale du fabricant sans immixtion du juge dans cette appréciation ne peut qu'être approuvée.






FOCUS

Bilan du 1400/2002

Après leur premier ouvrage qui commentait, clause par clause, le règlement automobile 1400/2002, Louis et Joseph Vogel publie "Droit de la distribution automobile II", un bilan de l'application du règlement et une analyse de l'évolution jurisprudentielle.
Louis et Joseph Vogel,
avocats au barreau de Paris

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