Une distribution catalysée
...de place au grand banquet de la rechange pour rassasier l'ensemble des convives ?
"Ces produits sont le cœur de gamme des centres-autos". Jean-Marie Jeunehomme, responsable des achats de l'Autodistribution, sait combien filtres, bougies et échappement sont des familles essentielles aux activités de la nouvelle distribution. Sur ces produits, les centres-autos ont acquis une longueur d'avance grâce à une certaine flexibilité de leur appareil mis au service d'une mécanique légère. C'est notamment sur ce type de produits et sur les interventions y afférant que la nouvelle distribution a en effet assis son succès. Aujourd'hui, pourtant, son leadership peut-être remis en question. "Les constructeurs sont de plus en plus présents sur le marché de la rechange", confirme-t-on chez Feu Vert. Que l'arme se cache derrière un réseau multimarque ou dans des forfaitisations discountées, les constructeurs automobiles semblent en effet décidés à étendre leur mainmise. "C'est bien qu'ils se rendent compte qu'ils ne pourront garder indéfiniment leur hégémonie technique et qu'ils doivent aussi entrer dans une logique compétitive", estime Charles Baïeul, responsable d'achat du groupe Starexcel.
La chasse aux forfaits
Durant la période de garantie d'un véhicule, le remplacement d'un filtre, d'une bougie, d'un pot ou même d'un catalyseur, la problématique est évidemment minime. Et c'est ainsi précisément sur les véhicules un peu plus âgés que l'enjeu se situe. "Nous sommes dans un pays où les consommateurs de véhicules anciens ont pris l'habitude d'aller dans les centres-autos ou chez les garagistes", livre pour sa part Serge Boillot, responsable des achats de Groupauto Union. "Les offres discountées de Peugeot sur des prestations de véhicules âgés se sont rapidement arrêtées", rappelle-t-il même. Alors, quand le réseau Volkswagen met en place une série de forfaits pour les véhicules du segment 2, cela n'inquiète pas outre mesure le réseau aux 250 distributeurs. Pourtant, François Ruppli assure avoir regagné 30 % de clientèle sur les centres ayant fait ce type d'offres destinées aux véhicules de plus de 4 ans (voir page 44). Alors, que penser ? Ces initiatives, avec ou sans succès, ont au moins le mérite de mettre en lumière l'intérêt des constructeurs pour ce marché qui leur échappe. Comment ? En s'inspirant des méthodes appliquées notamment, à outrance, par les centres-autos : une fréquence promotionnelle accrue et une politique de forfaitisation pour maintenir les ventes. "Aujourd'hui plus qu'avant, tout dépend du degré de délégation du consommateur. La gestion de son portefeuille est assurément beaucoup plus réfléchie qu'auparavant", estime en effet Laurent Moret, administrateur marketing de Roady. Des produits tels que les filtres ou les bougies sont, de par leur nature, fortement impactés par les offres globales. Le forfait climatisation pour les filtres à pollen, les forfaits vidanges, allumage… Ainsi, pour Jean-Marie Jeunehomme, "il s'agit de ne pas être pris entre l'agressivité commerciale des centres-autos et l'approche marketing des constructeurs". Les stockistes se trouvent dans une position des plus originales. Depuis longtemps, les réseaux de distribution de pièces ont bien saisi l'intérêt d'intégrer un atelier en marge de leur rayonnage. Mais en réalisant eux-mêmes des interventions, ils sont à la fois concurrents et fournisseurs de leurs concurrents. Pourtant, pour ces réseaux, la problématique est la même. Rendre les offres de leurs ateliers plus lisibles pour gonfler leur activité de négoce devient ainsi essentiel. Problème : "A ce niveau, la rechange indépendante n'est pas des plus dynamiques", explique Charles Baïeul. L'exemple des filtres d'habitacle est à ce sujet saisissant. Aujourd'hui, 3/4 de leurs ventes échappent aux MRA. "Si l'OES a une part de marché de 80 % sur le filtre d'habitacle, c'est parce qu'on propose au client d'en changer systématiquement à chaque vidange. C'est même inscrit sur le carnet d'entretien", explique ainsi Christophe Speybrouck, responsable produits de Quinton Hazell. Un marketing que les centres-autos ont également parfaitement développé. "Si un client vient pour une autre prestation, on lui parle du filtre d'habitacle et l'opérateur lui remet un fascicule. La climatisation est encore nouvelle sur le marché et le client ne sait pas toujours que cela s'entretient", confirme Eric Engel, chef de produits filtration chez Speedy. La rechange indépendante n'a donc d'autres choix que de suivre ces nouveaux standards de commercialisation. "En ce qui concerne le service, nous sommes au moins à la hauteur des constructeurs", réagit pourtant Laurent Moret. "Mais en termes de positionnement, avoir une enseigne capable d'être à leur hauteur en matière de réactivité est très important. Nos concurrents de demain, ce ne sont donc pas les centres-autos, ce sont les constructeurs !", confie-t-il alors. Ce responsable du nouveau réseau des "Mousquetaires" pointe ici l'un des enjeux majeurs du marché : la logistique.
Objectif J + 1/2
Sur des produits de grandes consommations comme le filtre, la bougie et l'échappement, la logistique est une problématique essentielle. Pour les deux premiers, leur stockage est grandement fonction de l'explosion des références, conséquence de la diversification du parc roulant. "Avant, les 20/80 étaient très resserrés et les centres-autos en bénéficiaient. Cela facilitait le travail logistique. Mais aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Cela va devenir difficile pour eux", pronostique alors Jean-Marie Jeunehomme. "Aujourd'hui, un stockiste lambda ne peut pas stocker toutes les gammes de filtres ou de bougies. Il faut un appui logistique fort", confirme Charles Baïeul. Pour ce qui est de l'échappement, en revanche, ce n'est pas un produit très fluide à la vente. La rotation du stock est, en effet, sans commune mesure avec celle d'une gamme de bougie de préchauffage. "Ce sont des gammes extrêmement longues et complexes à travailler", précise Charles Baïeul. Sur une famille telle que l'échappement, le problème est, en effet, tout à fait différent. Dans les faits, un pot catalytique affiche un prix 6 fois supérieur à celui d'un pot traditionnel. "Alors stocker des catalyseurs coûte très cher. Et ce n'est pas évident pour tout le monde. Sur ces produits, je pense que ne resteront que les enseignes spécialisées", estime donc Frédéric Guyot, directeur marketing Midas. "Il n'y a donc pas de miracle. Celui qui a le stock, fait la vente", renchérit Charles Baïeul.
"La logistique est la clé de notre système. Si nous optimisons notre circuit d'approvisionnement de sorte de ne stocker que peu de références, tout en s'assurant de pouvoir être livré en J + 1, nous sommes gagnants. Cela est rendu possible grâce à nos partenaires qui sont soit des puissances d'achat, soit des logisticiens", explique Hugues Dumortier, administrateur des achats de Roady. "Nous effectuons 80 % de nos achats chez Doyen. Le reste du temps, nous traitons avec les plates-formes", explique-t-il encore. "Mais ce type d'approvisionnement reste cher. Cela doit rester du dépannage, parce que trop néfaste sur nos marges", précise-t-il. Quant au futur, la problématique va rester la même. Délicate pour l'échappement, soutenue pour les filtres et bougies. "A l'avenir, l'enjeu, c'est le J+ 1/2. Cela doit nous permettre d'avoir un fonctionnement au plus proche de notre consommateur", souhaite même Hugues Dumortier.
"La crédibilité technique ne se gagne pas à coups de prospectus"
"Ces trois familles de produits sont touchées par le problème de captation des constructeurs", explique Charles Baïeul. Le constructeur s'adjuge, par exemple, plus de 70 % du marché de l'échappement. "Cela nous force donc à avoir la nouveauté au bon moment et au bon prix pour se mettre à l'abri. C'est une remise en question permanente face à la nouveauté", ajoute-t-il. Un impératif pas toujours évident pour tout le monde. "Les centres-autos sont davantage des commerçants de pièces que des réparateurs. Ils ne font pas de mécanique lourde. Et je suis persuadé qu'à moyen terme, leur suprématie sur la réparation rapide ne sera plus si évidente", confie Charles Baïeul. Pourquoi ? Justement parce que les nouveaux véhicules impliquent une formation technique des personnels. Evolution technologique faisant œuvre, les clients se détourneraient-ils des centres-autos ? C'est une hypothèse. Valable, si les agents de la nouvelle distribution n'arrivent pas à mettre en place un programme de formation à la hauteur des mutations techniques. Mais dans pareille situation, qu'adviendrait-il donc ? Le chemin le plus naturel amènerait le consommateur dans les réseaux de marques, chez les constructeurs. Pourquoi ? Parce qu'ils sont en effet les plus à même d'avoir les données techniques pour intervenir sur les véhicules. C'est là tout l'enjeu pour les réparateurs indépendants, pour qui, obtenir des informations techniques est souvent un vrai chemin de croix. "Le constructeur a la main mais le marché indépendant est en train de développer tout un univers de conseil et de diagnostic, traditionnellement l'apanage des réseaux constructeurs", reconnaît quant à lui Frédéric Guyot. "Ainsi, dans 10 ou 15 ans, je pense que les gens qui ont tout misé sur la logique commerciale, dans le volume et la communication, seront limités car ils pourront vendre la pièce mais ne pourront plus la monter", estime encore Charles Baïeul. Une raison évidente pour faire de la formation une des clés du futur succès des réparateurs. "Ceux qui réussiront sur ces marchés, sont ceux qui auront le mieux appréhendé cette mission de diagnostic. Et l'échappement est assez symbolique de cet enjeu. C'est un produit qui, avec l'arrivée des catalyseurs et des sondes lambda s'est considérablement complexifié. Si bien qu'aujourd'hui, un client ne sait pas toujours qu'il faut changer son pot. Il y a tellement de termes technologiques sur les nouveaux produits que nous devons les expliquer au client si l'on veut le convaincre d'effectuer une intervention. Une partie de notre travail est clairement emprunte de pédagogie. Si nous voulons tenir ces marchés, nous n'avons pas à nous poser la question, nous devons maîtriser ce paramètre", explique Frédéric Guyot. "Et se positionner au même niveau de crédibilité technique que le constructeur ne se gagne pas à coups de prospectus", finit par lâcher Charles Baïeul.
Cet enjeu, les centres-autos semblent donc l'avoir saisi. "Nous ne craignons pas cette évolution technologique. A la fin de l'année, 70 % de nos points de ventes seront équipés en outils de diagnostic. Et 9 centres sur 10 le seront au début 2007. Pour nous, il est impératif de répondre à ces questions technologiques. Il est vrai que les centres-autos sont typés prestations rapides, mais pas nous. Nos agents peuvent aller jusqu'à la dépose moteur, l'embrayage…", explique Hugues Dumortier. "Il ne faut pas se limiter à des prestations simples et peu chères", ajoute Laurent Moret. Aujourd'hui, chacun mise donc sur la formation. L'AD, par son programme "Millénium", Speedy en conviant l'ensemble de ses techniciens à l'école maison pour un stage, (dit du froid) de trois jours. Bref chacun semble avoir saisi l'impératif. "Pour moi, les centres-autos et les Fast fit vont savoir négocier ce virage, ils ont les moyens pour le faire. En revanche, l'indépendant qui n'a pas d'accès à l'information technique, à l'intranet d'un réseau, aux formations… va avoir du mal à s'en sortir", estime Frédéric Guyot. Les pronostics vont bon train. Reste à connaître ceux qui ne prendront pas le bon wagon.
David Paques
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