Un pavé dans la mare ?
...veut clair : les constructeurs peuvent mieux faire.
Depuis quelques semaines, Greenpeace France met en ligne une campagne, relayée par toutes les antennes européennes de l'association, et visant les publicités des constructeurs automobiles. BMW, Daimler, Fiat, Ford, PSA, Renault et Volkswagen sont la cible de cette opération intitulée : "Voitures vertes = publicités mensongères". Greenpeace s'attaque aux marques en s'appuyant sur les émissions moyennes de CO2 émises par leurs modèles. L'association étaye ses propos en soulignant, pour chacune des marques, des stratégies qui lui semblent contraires à une réelle ambition environnementale. Elle propose également à chaque internaute de créer sa propre publicité automobile et de l'envoyer directement sous forme d'e-cards à tous les présidents des marques incriminées (voir focus). "Aujourd'hui, il est de bon ton de montrer patte verte, dénonce sur le site, Anne Valette, chargée de campagne Climat à Greenpeace France. Ce sont les beaux jours de ce que l'on appelle le "greenwashing". Pour les constructeurs, les changements climatiques se réduisent à une opportunité marketing. Derrière cet engagement de façade, en coulisses, ils font pression tous azimuts pour torpiller la réglementation qui doit limiter les émissions de CO2 des voitures neuves que l'Union européenne doit adopter cette année". La France, qui doit présider le Conseil de l'Union européenne au cours du second semestre 2008 (voir zoom), validera pendant son mandat l'accord européen sur la réglementation relative aux rejets de CO2 des VP. Greenpeace s'est donc lancé dans cette campagne en amont de la présidence française afin de déclarer, à sa manière, l'état d'urgence. Anne Valette a accepté de répondre aux questions du Journal de l'Automobile sur les raisons d'une telle action. Mais auparavant, un rapide retour chronologique des faits s'impose. Mi-décembre, la Commission européenne présente une version de son projet de loi pour réduire les émissions de CO2 des véhicules particuliers de 160 à 120 g de CO2/km en 2012. Coup de théâtre en février, le ministre de l'Ecologie Jean-Louis Borloo et son homologue Sigmar Gabriel proposent à l'occasion du Conseil franco-allemand des ministres de l'Environnement, une réglementation qui limiterait la moyenne des émissions des voitures neuves à 130 g de CO2/km, avec une réduction supplémentaire de 10 g de CO2/km, grâce à des mesures complémentaires comme les biocarburants. Les diverses associations environnementales ont aussitôt dénoncé le "lobbying" de l'industrie automobile allemande et son mépris face aux enjeux climatiques. Greenpeace a même lancé une opération coup-de-poing médiatique accusant la France et l'Allemagne de coalition : une parodie de mariage entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel est même organisée sur les Champs-Élysées, avec une dizaine de voitures s'arrêtant dans les showrooms des marques automobiles. Objectif : dénoncer une réglementation européenne sur les émissions de CO2 des voitures vidée de toute ambition.
ZOOMLa France, présidente de l'UE en 2008 |
150 euros par gramme supplémentaire et par véhicule dès 2012
Car les associations demandent comme prévu initialement, une moyenne de 120 g/km dès 2012 et un objectif de 80 g/km en moyenne pour 2020. Elles réclament également un critère basé sur l'empreinte au sol du véhicule (la surface entre ses 4 roues) et non sur le poids qui fournirait, selon elles, une trop grande opportunité aux constructeurs d'alourdir encore leurs véhicules. Enfin, elles exigent une pénalité de 150 euros par gramme supplémentaire et par véhicule dès 2012. De son côté, la Commission européenne propose une réglementation plus flexible sur le poids du véhicule. Ce dernier serait pris en compte à hauteur de 60 % dans le calcul de la norme applicable à chacun. Cette mesure doit garantir que les constructeurs des voitures plus grosses devront effectuer des réductions plus importantes proportionnellement aux fabricants de véhicules plus petits. Enfin, les pénalités financières en cas d'infraction seraient progressivement introduites sur une période de quatre ans après l'entrée en vigueur de la législation : 20 euros par gramme de CO2, par voiture et pour chaque émission supérieure à l'objectif de 2012… puis 95 euros en 2015.
FOCUSDes clics et des cards |
Un secteur économique de poids
L'industrie automobile européenne produit 19 millions de véhicules par an, représente 2,3 millions d'emplois directs et plus de 10 millions d'emplois indirects. Son poids économique est incontestable. Les députés du Parlement européen craignent que des mesures trop drastiques et immédiates ne fragilisent ce secteur, entraînant de lourdes pertes d'emplois. Ils ont donc demandé à la Commission de ne pas fixer d'objectifs obligatoires en matière d'émissions avant 2015. Autre point d'achoppement, le poids des systèmes de sécurité. Ils pourraient alourdir les voitures particulières, entraînant ainsi une hausse des émissions. Les députés ont donc suggéré à la Commission d'autoriser les constructeurs à produire des émissions de CO2 supplémentaires si elles sont justifiées par ces mesures de sécurité. Voilà le contexte dans lequel intervient la campagne virulente anti pub auto de Greenpeace. "Ni les publicités automobiles, ni les quelques efforts prétendument consentis par les industriels ne vont sauver le climat, répond Anne Valette. Le parc automobile mondial croît très rapidement. Les véhicules particuliers représentent déjà 12 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau européen, 14 % en France. L'adoption de règles permettant une réduction massive des émissions de CO2 des voitures devient un enjeu majeur de la lutte contre les changements climatiques". Et de défaire un à un chaque argument avancé par les constructeurs. L'impossibilité technique tout d'abord. "Nous affirmons que les solutions technologiques qui permettent de réels gains d'efficacité existent. Les équipementiers comme Valeo, premier de son secteur en Europe, sont déjà prêts. La production de masse de ces nouvelles technologies assurerait par ailleurs un abaissement très significatif de leurs coûts. Avec le bonus dont bénéficient dorénavant les voitures peu émettrices, les technologies propres ne sont plus seulement disponibles, elles sont aussi accessibles". Anne Valette souligne également l'annonce récente du groupe PSA quant à la fabrication de moteurs avec un niveau d'émissions de CO2 inférieur à 100 g/km, sans technologie additionnelle (voir zoom)". Autre argument réfuté, celui des consommateurs qui refusent de payer un coût supplémentaire sur leur véhicule. "Les carburants constituent une dépense de plus en plus lourde pour les ménages, presque insupportable pour les plus modestes d'entre eux. Des moteurs plus efficaces sont aussi des moteurs moins gourmands. La demande des consommateurs pour des véhicules plus sobres en carburant n'est pas nouvelle. Mais avec un baril de pétrole à 135 dollars et des difficultés générales de pouvoir d'achat, elle devient urgente. Les consommateurs ont obtenu la sécurité et le confort pour les voitures, ils exigent légitimement le respect de l'environnement". Vient ensuite l'aspect sécuritaire des véhicules plus lourds. Des statistiques contraires prouveraient qu'augmenter le poids et la puissance des véhicules multiplieraient le nombre d'accidents et leur gravité. "Et de plus en plus de sociétés d'assurance offrent des contrats favorisant une utilisation plus sobre de voitures moins polluantes, synonymes également d'une réduction de la pollution de l'air". L'industrie française en péril ? "Nous nous étonnons de voir les constructeurs français s'opposer à un projet ambitieux de réglementation européenne. Alors qu'ils ont réalisé ces dernières années quelques progrès en la matière, une telle position revient à aligner leurs relatives bonnes performances en matière d'émissions de CO2 sur les constructeurs les plus pollueurs et les moins responsables, en particulier les constructeurs allemands. Nous considérons au contraire que les groupes PSA et Renault possèdent un avantage compétitif à soutenir des normes ambitieuses et contraignantes et que leurs modèles devraient mécaniquement bénéficier d'un marché automobile plus propre". Anne Valette souligne la position de l'Europe aujourd'hui en tant que première puissance économique et premier marché mondial. A ce titre, selon elle, sa réglementation a valeur de norme mondiale, à laquelle s'adapteront "forcément et rapidement l'ensemble des acteurs économiques mondiaux".
ZOOMFiat en 1re place selon Jato |
Des "adaptations de métiers" plus que des pertes d'emplois
Enfin, les menaces de suppressions d'emplois dues aux restructurations industrielles opérées ces dernières années dans le secteur automobile, et parfois accompagnées de délocalisations, ne sont pas le résultat de contraintes environnementales, estime Anne Valette. "L'imposition de normes strictes renforcerait la capacité d'innovation de l'industrie européenne et la mettrait à la pointe des avancées technologiques dans le monde, forçant les constructeurs non européens, et notamment asiatiques, à s'aligner. Prendre un nouveau retard aujourd'hui placera ces concurrents en position rapidement dominante". Les syndicats européens sont conscients que l'évolution indispensable des modes de production pour faire face au défi climatique ne sera pas sans conséquence sur l'emploi et qu'elle conduira à des adaptations de métiers. "La Confédération européenne des syndicats estime que la stabilisation des émissions du secteur des transports d'ici 2030 pourrait créer jusqu'à 20 % d'emplois supplémentaires, notamment à travers le développement de modes de transport plus propres, comme le rail et les transports collectifs. La responsabilité des Etats et des acteurs économiques et sociaux à cet égard est d'anticiper et de faciliter ces transitions industrielles et les changements de métiers qu'elles impliquent. Nous dénonçons l'absence d'une telle réflexion dans le cadre de la réglementation européenne sur les émissions des véhicules, qui diminue d'autant l'acceptabilité sociale de cette réforme indispensable et offre aux constructeurs automobiles des arguments fallacieux".
Bien sûr, chaque groupe visé par la campagne a été contacté. Mais l'ignorance semble être la meilleure des armes. Chez PSA, on souligne les efforts soutenus des marques pour réduire les émissions nocives. Peugeot, en particulier, met en avant sa gamme vertueuse, la Blue Lion. BMW, de son côté, appelle Greenpeace à la discussion plutôt qu'au conflit et souligne également les avancées majeures effectuées par l'industrie automobile en général dans la dépollution de leurs moteurs. "Pour parler de BMW, qu'ils comparent les rejets de CO2 avec des modèles de puissance égale (voir comparatif). Qu'ils regardent combien les grands constructeurs allemands ont investi depuis des années dans les moteurs propres… ce qui fait que BMW décroche aujourd'hui le titre de voiture la "plus écolo de la planète" avec la 118 d. Qu'ils nous aident à promouvoir la Série 7 hydrogène. En l'essayant, ils constateront une absence totale de rejet de CO2. Ne tirez pas sur l'automobile qui est un moyen de transport indispensable et qui ne pollue pas plus que la marine marchande. Faisons tous des efforts, mais évitons les discours violents et les attaques sans risques. Faire peur a toujours été facile. Agir est autrement plus difficile. Or, les constructeurs ne cessent depuis des années d'agir pour améliorer la sécurité, réduire la pollution, augmenter le confort, employer et faire vivre des familles entières, bref quelles autres industries ont accompli de telles prouesses ?" La Commission européenne statuera à l'automne prochain. Nul doute que les décisions prises provoqueront des réactions.
Mais une chose est certaine. L'industrie automobile est déjà rattrapée par une triste réalité économique. Les récents bouleversements rencontrés sur la scène internationale ont en effet déjà modifié les comportements d'achat : l'affolement du prix du baril de pétrole (135 dollars le 22 mai dernier), la crise du crédit aux Etats-Unis, la flambée des prix, la baisse du pouvoir d'achat en France, l'incertitude générale face à l'avenir… autant de facteurs décisifs ayant une incidence directe et immédiate sur la consommation des ménages et leur mobilité.
Photo : 26 mai dernier. Des activistes de Greenpeace manifestent devant le Parlement européen de Bruxelles et dénoncent ce qu'ils nomment "un retour à l'âge de pierre" de l'industrie automobile. En France, au même moment, d'autres membres ont interpellé les actionnaires de PSA lors de l'AG annuelle du constructeur.
FOCUS+ 26 % en 15 ans pour les transports |
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