Théorie de la sénescence prénatale
...succès d'affluence du Mondial ne s'est pas (pas encore ?) traduit en un succès d'immatriculations, si l'on s'en tient aux chiffres d'octobre. Doit-on s'en étonner ? La grande foire aux nouveautés annoncées qu'est le Mondial témoigne simplement d'un emballement de l'offre, désormais incontrôlable ou, en tout cas, incontrôlée, mais toujours incapable de provoquer un sursaut durable de la demande. On juxtapose les nouveaux modèles, les nouveaux concepts, les nouveaux "dream cars", sans pour autant conquérir de nouveaux clients. On pourrait donc s'interroger une fois de plus sur l'utilité réelle des Salons, mais à quoi bon ? L'esprit festif du microcosme automobile est indestructible. Il vaut mieux consacrer quelques instants à un sujet plus sérieux, à savoir l'impact des nouveaux modèles sur le commerce automobile.
Les conséquences inattendues d'une brillante théorie
Selon la pensée marketing du siècle dernier, pour gagner sur le marché, il faut être plus rapide que les concurrents dans le renouvellement des modèles et l'élargissement de la gamme. Tout le monde ayant essayé de le faire, le classement des constructeurs, en termes de parts d'un trop faible marché, a subi quelques modifications. Point, à la ligne. C'est un peu décevant, sans doute. Mais tout le monde suivant la même stratégie onéreuse et pressante, on ne peut parier que sur une augmentation des coûts de chacun, assortie ça et là de quelques menus inconvénients en ce qui concerne, par exemple, la qualité des produits. On commence à dire qu'il y a des imprudences, dictées par la hâte, en ce qui concerne la commercialisation des dernières merveilles de l'électronique. Quant à l'alourdissement des coûts, c'est exactement ce dont on n'a pas besoin. Si on renouvelait avec un peu moins d'ardeur, en élargissant un peu moins généreusement les gammes, il resterait plus d'argent pour faire baisser les prix des voitures et stimuler ainsi la demande. S'agissant là d'un intérêt commun à tous les constructeurs, ils devraient peut-être, à présent, se demander si la frénésie de l'offre est toujours à l'ordre du jour. Il est cependant difficile de sortir de ce piège : quel constructeur oserait se démarquer des autres en ralentissant son rythme de renouvellement et d'élargissement de la gamme ? Il ferait le jeu des concurrents, sauf à les convaincre de faire machine arrière avec lui ! Et chacun, par conséquent, de continuer à investir pour offrir toujours plus de nouveautés, en raccourcissant encore les délais d'introduction sur le marché ("time to market", pour les initiés).
Les prodiges de la sénescence prénatale
Cette brillante théorie a généré un nouveau concept : celui de la sénescence prénatale. Chaque nouveau modèle naît vieux, il commence même à vieillir avant de voir le jour, tant sont grands l'angoisse des constructeurs et leur empressement à annoncer à l'avance les modèles qu'ils préparent. Il paraît que cette façon de faire est la seule à pouvoir faire obstacle à la vente des concurrents, selon le mécanisme suivant : la marque X lance un monospace (c'est une hypothèse) ; à la même date, les marques Y et Z annoncent qu'elles en préparent un autre, en laissant entendre qu'il sera bien meilleur ; on passe des photos à la presse… et les clients sont censés suspendre leurs achats. En fait, tout ce qui naîtra demain est déjà trop connu aujourd'hui. Le résultat obtenu par l'action combinée de l'emballement de l'offre (trop de nouveautés) et d'une politique de précommunication annonciatrice des splendeurs de la prochaine gamme (des nouveautés galvaudées) est délétère : la plupart des nouveaux modèles sont immédiatement accompagnés de remises plus ou moins déguisées ; la courbe des ventes de chaque modèle est pointue quand ça va bien, désespérément plate quand ça va mal, etc. On a peut-être, c'est vrai, étourdi le consommateur, ce qui est une nouvelle et audacieuse approche commerciale, mais on a dévalorisé ce qu'on offre aujourd'hui, puisqu'il y aura du nouveau et du meilleur demain. Et puis, on a oublié un détail : le prix. Les automobiles sont trop chères ; élargir l'éventail des modèles offerts tout en les faisant vieillir avant leur lancement ne fait pas augmenter le nombre des consommateurs disposés à surinvestir dans l'automobile.
Ernest Ferrari Consultant.
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