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Constructeurs

Quel calendrier pour quelles électrifications des véhicules ?

Publié le 29 juin 2012

Par Alexandre Guillet
11 min de lecture
Marc Rinkel, analyste chez IHS, nous livre une vision panoramique de l’état de l’art des différents stades d’électrification dans l’automobile. Où il appert notamment que les problématiques entre généralistes et Premium diffèrent et que la route vers le full-hybride est longue.
“Actuellement, on ne parvient tout bonnement encore pas à faire tenir le business-case du VE sur ses deux jambes ; on est même loin du compte”, tranche Marc Rinkel.

Vers une généralisation de la micro-hybridation en Europe

“Les systèmes micro-hybrides, plus connus sous l’appellation Stop&Start, sont appelés à se généraliser car toutes les nouvelles générations de motorisations en sont d’ores et déjà, et en seront, équipées”, déclare Marc Rinkel. De même, les nouvelles boites de vitesses sont modifiées afin d’intégrer la fonction Stop&Start. Cette adaptation est plus simple sur une boîte manuelle qu’une boîte automatique (besoin additionnel de capteur et pompe à huile) ce qui se traduit par un déploiement plus lent sur ces dernières. La grande exception est le marché russe duquel le Stop&Start restera quasiment exclu pour plusieurs raisons : carburant très peu cher, aucune incitation des pouvoirs publics pour les solutions environnementales, le problème des basses températures et l’utilisation principale de motorisations anciennes.

Deux technologies Stop&Start sont actuellement disponibles, mais elles ne sont pas toutes promises à la même diffusion. Le starter dit “renforcé” est maîtrisé par la majorité des grands équipementiers (Bosch, Continental, Denso, Valeo…) et s’affirme comme la solution gagnante pour les six ou sept prochaines années. Tous simplement parce que le surcoût qu’il induit est très faible, de l’ordre de 100 euros. Par ailleurs, l’alternateur démarreur à courroie apparaît dans le portefeuille de plusieurs constructeurs (Daimler, Nissan, Hyundai, PSA…). “S’il génère un réel avantage par rapport au starter renforcé en termes de raffinement et la possibilité d’utiliser la fonction Stop&Start quand le véhicule descend sous 10 km/h, son développement massif pourrait bien buter sur son surcoût, que l’on peut, grosso modo, estimer à 350 euros. De plus, son avantage “concurrentiel” pour les gains de CO2 sur le cycle d’homologation actuel n’est pas très significatif le moteur n’étant stoppé qu’à partir de l’arrêt du véhicule”, explique Marc Rinkel. Enfin, on peut encore citer la solution développée par Mazda, à savoir un démarreur avec début de combustion, avec contrôle de la position optimum des pistons lors de l’arrêt du moteur. Toutefois, il y a fort peu de probabilités que cette solution innovante s’impose en Europe.

Un élargissement de l’offre full hybride et l’arrivée des “plugin”

“En 2014, tous les constructeurs européens, à part Fiat et Renault, auront un modèle full hybride dans leur gamme. Le développement des hybrides et la mise en place de partenariats stratégiques se sont vraiment accélérés entre 2010 et 2012”, indique Marc Rinkel. Le cas de Toyota est même assez remarquable, car au-delà de la Prius, l’offre gagne l’Auris et la Yaris et descend donc jusqu’au segment B. “En général, l’offre se déploie en niche sur le segment C et un peu plus largement sur les segments supérieurs, car elle devient alors maîtrisable en termes de coûts”, indique ainsi en contrepoint Marc Rinkel. De fait, il n’y aura pas d’introduction majeure du full hybride sur les segments A et B dans les années à venir.

Toyota parvient à relever ce défi en capitalisant sur son expérience de l’hybridation et en proposant deux moteurs électriques et un système de dérivation de puissance, ce qui lui permet notamment de supprimer la boîte de vitesse mécanique. Ford va aussi dans cette voie, mais demeure un peu en retrait, car son système ne peut pas se priver d’une boîte CVT. Notons aussi que l’architecture à dérivation de puissance ne se couple pas avec des blocs Diesel contrairement aux autres architectures hybrides de types parallèles qui laissent au constructeur le choix du type de moteur thermique. La batterie NiMH est la plus répandue sur le full-hybride, offrant le meilleur rapport coût / densité de puissance aujourd’hui, mais elle se voit challengée par les densités énergétiques du lithium-ion, surtout sur les véhicules rechargeables.

L’année 2012 sera d’ailleurs aussi marquée par l’introduction de l’hybride rechargeable, notamment sur Opel Ampera, Toyota Prius, Volvo V60 et “Ford, Audi et BMW suivront très rapidement” précise Marc Rinkel. L’enjeu pour la plupart des constructeurs est de préparer 2020-2025 mais ils ne comptent pas sur l’hybride pour remplir leur objectif CO2 de 2015.

Les diverses promesses du mild-hybride et d’un réseau 48V

Dans un environnement 48 volts, avec un alterno-démarreur de 7 -10 kW, on estime actuellement le gain de consommation à 15 %. Pour seulement 1 000 euros, ce qui rend cette piste très compétitive ! Elle est donc aujourd’hui évaluée par l’ensemble des constructeurs européens, c’est même un dossier névralgique dans tous les états-majors. Cette option implique un développement du “torque assist” pour optimiser la gestion du moteur. En effet, cela permet d’avoir des batteries beaucoup plus petites et par extension, des coûts beaucoup plus maîtrisés. “Dès lors, on peut aussi affirmer que le mild-hybride sera aussi légitime sur le segment B”, lance Marc Rinkel. On peut aussi relever que le Diesel se retrouve en difficulté sur les petits segments, du fait du prix de ce carburant à la pompe et des normes Euro 6 à venir, sans oublier l’objectif des 95 g de CO2/km qui se profile à horizon 2020.

“Dans ce domaine, il faut aussi tenir compte du fait que les stratégies vont différer selon le positionnement des constructeurs, avec un clivage entre Premium et mainstream”, précise Marc Rinkel. Dans leur approche, au-delà de l’enjeu du CO2, les constructeurs Premium regardent aussi avec intérêt l’ajout d’un réseau 48 volts en parallèle pour alimenter les auxiliaires. Mais cela nécessite au préalable de retravailler l’ensemble de l’architecture électrique. “Aujourd’hui, on recense environ 50 ECU “electronic control units” dans un véhicule de segment C et plus encore en montant en gamme. Cela devient économiquement intéressant si l’on bascule au moins 10 à 15 des charges auxiliaires, les plus gourmandes électriquement ! D’où la contrainte pour les constructeurs Premium d’approcher ce développement sous l’angle des plates-formes véhicules et très certainement en commençant par leurs modèles les plus luxueux”, souligne encore Marc Rinkel, avant d’ajouter : “En revanche, basculer les auxiliaires sur du 48V apparaît moins pertinent pour les constructeurs généralistes, avec comme intérêt premier la réduction d’émissions. Ces derniers peuvent donc approcher le mild hybrid, sous l’angle des plateformes moteurs, on peut d’ailleurs s’attendre à un déploiement plus rapide sur plusieurs segments de véhicules”.

Les challenges du tout électrique

Dans ce périmètre, la dualité entre Premium et mainstream est aussi valable. En effet, la clientèle des généralistes n’est pas prête à payer plus pour de nouvelles technologies, hybridation ou autres, surtout dans le contexte économique actuel qui met le pouvoir d’achat sous pression. Dès lors, on doit mesurer l’envergure du pari fait par Renault de chercher à conquérir une toute nouvelle clientèle, en misant sur le mécanisme des “early adopters”. Ce n’est pas sans risques… “Les constructeurs Premium sont clairement en meilleure position, car la clientèle est aisée et peut assumer un surcoût pour de nouvelles technologies”, résume Marc Rinkel.

Le véhicule électrique est, par ailleurs, confronté à d’autres embûches. La crise économique qui sévit en Europe de l’Ouest laisse peu d’espoir sur la capacité des gouvernements à investir massivement pour déployer les points de recharges et autres éléments clefs, même si les discours officiels ou certains lobbyistes font bonne figure et affirment le contraire. De même, on ne voit pas suffisamment d’engagements durables sur les primes à l’achat. En outre, l’enjeu clé du coût des batteries Lithium Ion demeure très sensible. Les coûts ont tendance à baisser, certes, mais ils restent élevés. En avril 2012, on a parlé de nouveaux prix historiquement bas, 650 dollars par kWh en moyenne. Plus bas qu’auparavant, mais multiplié par 25… “On ne parvient tout bonnement encore pas à faire tenir le business-case du VE sur ses deux jambes ; on est même loin du compte, c’est un pari sur l’avenir”, tranche Marc Rinkel, tout en poursuivant : “Et simultanément, certains fournisseurs de batteries Li-Ion se sont affaiblis. On a créé une situation de surcapacité qui force les fournisseurs de ces batteries à couper les prix et à s’endetter. Certains révisent même leur stratégie et cherchent à placer du lithium-ion auprès des constructeurs sur des systèmes Stop&Start ou mild hybrides… Dans les trois prochaines années, on devrait donc assister à un mouvement de consolidation pour que les fournisseurs ne s’étranglent pas”. Plusieurs pistes de réduction des coûts sont possibles avec différents timings : entre 2010 et 2015, on est en train de gagner beaucoup d’expertise sur le système de gestion des batteries et leur intégration dans les véhicules, mais les éventuelles économies d’échelle associées seront amoindries par l’obligation financière du fournisseur de devenir rentable pour compenser les pertes de départ. Selon Marc Rinkel, les prix moyens pour le constructeur devraient se stabiliser autour de 600 dollars/kWh pour au moins deux trois ans. Pendant la phase 2015-2020, les progrès sur les matériaux de cellules de batteries, la descente des prix et l’augmentation des densités énergétiques sont attendus. Même si l’objectif des 400 dollars/kWh en 2020 est réaliste, cela ne suffit toujours pas pour justifier un déploiement significatif du véhicule électrique. En effet, il faudrait atteindre 150 dollars/kWh pour aboutir à un TCO “total cost of ownership” global comparable aux véhicules à moteurs traditionnels. Un seuil, pour l’heure, inaccessible… “En revanche, sur le sujet crucial du TCO, les hybrides vont combler leur retard entre 2015 et 2020”, ajoute Marc Rinkel.
D’autre part, on ne saurait négliger l’impact de l’électrification sur la problématique des matières premières. “Le cuivre, en terme de poids, peut représenter un quart d’une batterie Li-Ion et un cinquième d’un moteur électrique, d’où une exposition aux fluctuations des prix du cuivre.” Les moteurs à aimants permanents utilisent des terres rares. “Or, c’est la Chine qui a le quasi-monopole sur les oxydes de neodynium et de dysprosium et qui contrôle de surcroît les prix, d’où une explosion des prix des magnets au cours de 2011 suite à une restriction des exports chinois”, glisse Marc Rinkel.

L’objectif des 95 g de CO2/km et le prix du pétrole

En élargissant l’horizon temps, pour assurer la transition vers l’objectif des 95 g de CO2/km, il est clair qu’un niveau certain d’hybridation sera nécessaire. On peut évoquer le chiffre de 15 % d’hybrides sur les segments D et E par exemple. Marc Rinkel en profite d’ailleurs pour battre en brèche un argument souvent avancé par les promoteurs du VE : “Hors incident géopolitique majeur, la pression sur le prix du baril de pétrole devrait se relâcher quelque peu. En effet, dès 2014-2015, nous disposerons d’une réserve additionnelle significative par le biais des gaz de schiste à l’échelle mondiale. Cela va mécaniquement relâcher la pression sur les prix et les spécialistes de l’énergie d’IHS CERA tablent aujourd’hui sur un baril aux alentours de 100 dollars pour la période 2015-2020”.
Au final, en Europe, il apparaît comme une forme d’opposition entre la volonté du législateur de favoriser la mobilité verte de demain et le choix du consommateur qui arbitre massivement selon son pouvoir d’achat. Même s’il n’en reste pas moins que l’enjeu du CO2 reste aujourd’hui un facteur clé de l’innovation dans l’industrie automobile.
 

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ZOOM  sur les constructeurs français

Renault a fait le pari ambitieux et risqué du tout électrique. Le choix du VE reste sujet à caution, principalement à cause du prix et de l’autonomie des batteries et du déploiement de l’infrastructure. Les récents ajustements du groupe dans ce domaine démontrent d’ailleurs l’existence d’un réel doute quant à la taille du marché à court terme. Le full hybride, qui serait accessible par le biais de l’Alliance avec Nissan, ne s’avère pas stratégique pour Renault, qui réalise, avec Dacia, la moitié de ses ventes européennes sur le segment B. Cependant, le mild-hybride, plus “low-cost” est très sérieusement évalué et on peut d’ailleurs avancer sans grands risques que cette offre figurera dans la majeure partie de la gamme à l’horizon 2020.
De son côté, si PSA traverse actuellement une situation difficile et a dû arrêter certains projets d’électrification, les prochaines étapes de l’électrification sont en pleine discussion afin de capitaliser sur les partenariats récents avec BMW et GM. A ce jour, la bonne différenciation des deux marques et la diversification vers le Premium a permis l’introduction d’une offre hybride claire au sein du groupe. La solution Hybrid4 permet d’augmenter la puissance de traction sur quatre roues motrices, tout en baissant la consommation. La modularité de ce système permet aussi l’accouplement avec bloc essence pour des véhicules plus sensibles en termes de coûts et pour le marché chinois.

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