S'abonner
Constructeurs

Quand le Shell-Eco carbure à l’hydrogène !

Publié le 17 juin 2005

Par Alexandre Guillet
9 min de lecture
Immense sensation pour le Shell-Eco marathon 2005 ! Sur un circuit Paul Armagnac baigné de soleil, un véhicule à pile à combustible, la p@c-car développée par l'Ecole Polytechnique de Zürich, se hisse sur la première marche du podium et relègue même à des années lumières les concurrents fonctionnant...

...avec des énergies fossiles.


Force est d'avouer qu'on en parlait déjà dans les coulisses de l'épreuve… Puis le murmure est devenu rumeur. Rumeur à peine affaiblie par le premier essai de l'Ecole Polytechnique Fédérale de Zürich qui se solda par un échec. Mais dès le second test, la rumeur gronde et s'affirme : les suisses couvrent 3 772 kilomètres avec leur véhicule p@c-car. P@c comme pile à combustible ! Un véhicule fonctionnant à l'hydrogène bat sans coup férir les traditionnels top teams du lycée de la Joliverie et de l'université Paul Sabatier Insa de Toulouse. S'offrant du même coup le record de l'épreuve, un record encore amélioré lors du troisième passage en piste : 3 836 kilomètres, soit aussi le record du monde tous circuits confondus ! La rumeur se pare des atours de l'évidence et se transforme alors en onde choc : un véhicule classé dans la catégorie des énergies alternatives relègue les énergies fossiles, et notamment le supercarburant, au rôle de figurant. L'écart est même spectaculaire puisque l'université Paul Sabatier termine deuxième avec 2 560 km et le lycée de la Joliverie troisième avec 2 385 km. L'Ecole Polytechnique Fédérale de Zürich s'était déjà distinguée lors de sa première participation en 2003 et plus encore l'an passé avec un résultat de 1 956 km parcourus synonyme de 9e place au classement général. A l'instar des habitués du podium, l'équipe suisse ne joue pas dans le registre de l'amateurisme. Initialement issue d'une collaboration entre l'Université de Valenciennes et l'Ecole de Zürich, l'équipe peut par ailleurs s'appuyer sur le soutien et l'expertise du célèbre Paul Scherrer Institut de Villigen. Résultat, la p@c-car de seconde génération ne pèse que 32 kg et affiche des performances aérodynamiques hors du commun. Sous l'angle technique, et plus précisément sur la problématique de l'intégration de la pile dans le véhicule, l'équipe de Zürich a tout simplement obtenu le prix de l'innovation Bosch de l'épreuve. "Le choix de la pile à hydrogène a été bien calibré, mais les étudiants ont su de surcroît optimiser son fonctionnement, en travaillant notamment avec ingéniosité et efficacité sur la performance de transmission des deux moteurs électriques très légers", soulignent à l'unisson les membres du jury de l'innovation. D'ailleurs, à l'issue de l'analyse de l'énergie produite par chaque carburant, les techniciens du Shell Eco-marathon ont mesuré que le moteur électrique du prototype suisse avait été alimenté par 1,75 gramme d'hydrogène pour effectuer sept tours de circuit, soit 25,272 km. D'une manière générale, les moteurs électriques se révèlent plus performants que les moteurs thermiques. Le résultat de l'Ecole Polytechnique Fédérale de Zürich a donc fait forte impression, mais les dirigeants de l'équipe, Jean-Jacques Santin, professeur français détaché de l'Université de Valenciennes, et Gino Paganelli, spécialiste de la pile à combustible et principal papa de la p@c-car II, ne sont pas rassasiés. "La performance réalisée à Nogaro correspond à nos espoirs après les tests les plus récents. Néanmoins, le véhicule a été construit pour être optimisé sur l'anneau de vitesse de Rockingham", lancent-ils.

"Avec l'hydrogène, on obtient des rendements de l'ordre de 50 % alors qu'on ne frise que les 30 % avec les essences classiques"

Pour expliquer un tel écart de performances, les équipes de l'Université Paul Sabatier et du lycée de la Joliverie avancent des raisons différentes. Selon Yves Mégret de l'Université Paul Sabatier, "les véhicules utilisant des énergies alternatives ne jouent pas dans la même catégorie. Avec l'hydrogène, on obtient des rendements de l'ordre de 50 % alors qu'on ne frise que les 30 % avec les essences classiques". Le TIM 03, un véhicule de 24 kg réalisé dans une mousse de polystyrène à revêtement de soie imprégnée de résine avec des renforts de bandes de carbone, a cependant obtenu un résultat satisfaisant (2 560 km/l). Pour Philippe Maindru, responsable de l'équipe de la Joliverie, au-delà des aléas de la course, un spectaculaire tonneau le premier jour de course, la relative contre-performance de Micro-Joule s'explique par "l'adaptation que nous avons dû faire avec les pneus à carcasses conventionnelles imposés". Le véhicule avait en effet été conçu sur la base d'un cahier des charges faisant la part belle aux pneus radiaux. Par conséquent, il a fallu le repenser : restructuration de la partie arrière avec de nouveaux bras de suspension, adaptation des rapports de transmission, passages de roues avant élargis dans la coque pour un meilleur braquage. Ce changement de règlement a d'ailleurs suscité un certain émoi chez les concurrents habitués des premières places. L'abandon du distinguo pneus radiaux-pneus conventionnels témoigne ainsi de la réflexion qu'a mené Michelin, partenaire historique du Shell Eco-marathon, entre les éditions 2004 et 2004. Dans un premier temps, le pneumaticien a envisagé l'éventualité de se retirer de l'épreuve, avant de modifier la nature de son investissement et de se lancer dans l'aventure de la saison Shell Eco-marathon (voir encadré). Bref, le Micro-Joule est donc arrivé avec une préparation un peu "juste" sur le circuit nogarolien, mais il ne faut pas pour autant enterrer trop hâtivement un prototype qui peut se targuer d'avoir franchi le cap symbolique des 4 000 km en essais privés. Par ailleurs, selon certaines rumeurs insistantes, il se chuchote que la Joliverie étudierait l'opportunité de concevoir un véhicule mû par une pile à combustible.

L'arrivée de l'hydrogène au sommet du classement est à double tranchant car elle risque de couper plus encore l'épreuve de la réalité automobile

L'arrivée d'un véhicule à pile à combustible sur la cimaise du classement du Shell Eco-marathon ouvre des perspectives réjouissantes à l'épreuve. D'autant que ce succès ne tient pas uniquement à une équipe isolée de brillants étudiants puisque trois équipes exploitant cette énergie se sont hissées dans le Top Ten (voir classement). Au premier chef, elle renforce le caractère technologique et prospectif de l'épreuve en soulignant sa vocation de mini-laboratoire. Par ailleurs, elle met en scène de manière concrète et empirique l'efficacité d'une énergie alternative à laquelle les béotiens de l'automobile ne sont trop souvent sensibilisés que par le biais des simulateurs, c'est-à-dire du virtuel. Cependant, l'adoubement de l'hydrogène pourrait aussi se transformer en victoire à la Pyrrhus pour l'épreuve. En effet, les organisateurs du Shell Eco-marathon souhaitent que l'épreuve ne se disjoigne pas trop de la réalité automobile, afin qu'elle évite l'écueil de l'anecdotique pour rester dans la sphère de l'annonciateur voire du faisable. Or l'hydrogène reste encore à l'état d'hypothèse dans l'industrie automobile. Certaines voix s'élèvent même pour stigmatiser que la pile à combustible n'est sans doute pas la solution de masse d'avenir (voir notamment JA n°898 et 916). Le danger mérite d'être pris en considération car la lisibilité des résultats peut devenir délicate. Avec le système des km/l avec une projection sur la base de 7 tours de circuit, on reprochait déjà parfois à l'épreuve une abstraction un tantinet alambiquée. Alors, avec des grammes d'hydrogène convertis en litre et remis à l'échelle du règlement, le classement peut vite devenir abscons. Et l'idée du Shell Eco-marathon coupé de la réalité devenir une tautologie… Les responsables de l'épreuve et ses partenaires devront donc soigner leur communication pour démontrer aux participants que le développement spectaculaire des énergies alternatives est une chance et même un gage de notoriété. Au-delà de cette victoire suisse à sensation, le Shell Eco-marathon millésime 2005 a tenu toutes ses promesses. En premier lieu, le souhait de Christian Balmes, président du groupe Shell France, et de Serge Giacomo, directeur des relations extérieures de Shell, de faire de l'épreuve "le rendez-vous mondial de la moindre consommation" prend tournure. Cette année, 18 nationalités étaient ainsi représentées pour une soixantaine de véhicules battant pavillon étranger. Outre la traditionnelle présence massive des portugais avec 18 équipes, on peut relever l'arrivée significative des scandinaves, semble-t-il tous très marqués par le design Volvo, des tchèques, avec l'université technique d'Ostrava qui promet un système de bio-télémétrie destiné à l'étude du pilotage et à l'amélioration des performances pour les années à venir, ou encore des turcs, encore un brin désordonnés mais à l'enthousiasme contagieux. Et dès 2006, des chinois pourraient faire leur apparition à Nogaro, soit avec une grande université soit par le biais d'un échange entre lycées techniques. En attendant l'éventuel retour des japonais et des brésiliens.

Le Shell Eco-marathon confirme avec bonheur sa dimension interdisciplinaire

Par ailleurs, le Shell Eco-marathon confirme sa dimension interdisciplinaire et les équipes fonctionnant en mode "projet" sont de plus en plus répandues. Un élément précieux à l'heure des grandes discussions nationales sur la nécessité de décloisonner les spécialités et de faire dialoguer les filières. D'ailleurs, des ministères de l'Education Nationale d'autres pays européens réfléchissent actuellement à un possible investissement dans l'épreuve. Enfin, au-delà de son statut premier de compétition, le Shell Eco-marathon demeure un lieu privilégié de dialogue social. Les "bricolos" et les ingénieux côtoient les techniciens et les ingénieurs. Les élèves de CAP et de BEP tutoient les cracks des grandes écoles et n'hésitent parfois pas à leur faire avaler leur tricorne au moment du verdict de la piste. L'épreuve est aussi un excellent révélateur des préoccupations des étudiants. Au détour de quelques discussions à bâtons rompus dans les paddocks, on mesure leur enthousiasme pour l'épreuve, subtil mélange d'apprentissage, d'émulation et de fierté d'avoir fait quelque chose (dans le sens du facere latin), mais aussi leurs angoisses. Angoisses principalement sociales qui renvoient à la place de l'environnement dans la cité, à la menace toujours pesante du Sida (le succès du véhicule K-Pote en est une belle illustration), et au fléau du chômage. Le halo d'incertitude enveloppant leur avenir professionnel revient ainsi comme un leitmotiv. Et la présence croissante de chasseurs de têtes sur le circuit témoigne d'ailleurs de la tension du marché de l'emploi. Tension à laquelle devraient échapper quelques étudiants suisses reconnaissables à la mention p@c-car qu'on trouve sur leur curriculum vitae.


Alexandre Guillet


 





FOCUS

Une saison en Shell Eco-marathon

Comme nous l'avions annoncé l'an passé, le Shell Eco-marathon change de format en cette année 2005 pour se décliner en trois épreuves et constituer ainsi une saison. La prochaine étape, le Challenge Michelin du Shell Eco-marathon, se tiendra les 25 et 26 juin sur une piste du Centre de Technologies de Ladoux. La compétition rassemblera les 30 premiers du classement (25 prototypes et 5 UrbanConcepts) et reste ouverte à toutes les énergies. A l'occasion de cette épreuve, les pneus radiaux et les pneus à carcasse conventionnelle auront leurs courses respectives. Enfin, la dernière étape aura lieu les 6 et 7 juillet sur le circuit de Rockingham, en Angleterre. Il réunira les trois équipes lauréates pour une grande finale. Qui constituera aussi une occasion rêvée de battre le record du monde car le circuit est en fait un anneau de vitesse !

Voir aussi :

Vous devez activer le javacript et la gestion des cookies pour bénéficier de toutes les fonctionnalités.
Partager :

Sur le même sujet

Laisser un commentaire

cross-circle