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Constructeurs

L’Inde, un nouvel Eldorado ?

Publié le 23 juin 2006

Par Alexandre Guillet
10 min de lecture
Avec 6,3 % de croissance en 2005, l'Inde est le dernier marché en vogue où il faut être vu. Le constructeur de poids lourds Man s'y est installé en joint-venture avec la marque locale Force pour y produire 24 000 véhicules par an, dont la moitié pour l'export. Tout commence...

...un samedi matin à Indore, à 850 kilomètres au Sud Ouest de Delhi, dans l'aéroport international spécialement habillé pour l'événement auquel nous sommes conviés. L'Inde est devenue le lieu de tous les possibles : une douane internationale et les équipements nécessaires à l'accueil des passagers peuvent être personnalisés et opérationnels en… moins 3 mois. Surprenant contraste quand on voit des éléphants, chevaux et autres danseurs réquisitionnés pour assurer une arrivée triomphale à une délégation allemande ébahie. Après huit heures de vol, dix minutes suffisent pour rassurer les hôtes qui ne craignent déjà plus de croiser des sangliers ou des buffles sur le parking et s'étonnent de leur léger dédain. Alors l'aventure peut commencer, initiée par le transport en Tata Indica sur les routes indiennes. Un mot d'abord sur la voiture, une automobile, 100 % indienne, de la conception à la fabrication. La petite, qui fête ses 14 ans et continue de séduire 60 000 automobilistes par an, est certes rudimentaire mais heureusement climatisée. Et maintenant, la route ! Ou plutôt ce chemin, entre vélos et motocyclettes, camions ou charrettes, voitures et vaches sacrées. Un chemin malgré tout goudronné, en perpétuels travaux, étroit, à la signalisation virtuelle comme, d'ailleurs, l'éclairage la nuit. L'union improbable de la Tata Indica et de la route est inoubliable.

Première visite

Il fait 33°C à 10 heures du matin - 10°C de moins qu'à Delhi - et la visite de l'usine d'équipements automobile Pinnacle commence. A l'origine, Pinnacle est née de la demande en fourniture de banquettes de bus, le principal moyen de locomotion. Forte d'un savoir-faire en conception et découpe de mousses de haute densité, l'entreprise s'est progressivement mise à la fabrication des sièges de camions, des volants et aussi des canapés. Rapidement, Pinnacle livre également la structure métallique soutenant la mousse et acquiert ainsi les méthodes de torsion, de soudure et de conception des moules, le travail de la fibre de verre… Pourquoi alors, ne pas ouvrir le catalogue et proposer tableaux de bords et vitres ? Il suffit juste d'agrandir les locaux, ce qui, en soi, ne pose aucun problème et s'inscrit dans une démarche nationale de développement accéléré.
En effet, dans une économie en croissance de 6,3 %, la demande existe et soutient l'évolution d'un parc de plus de 8 millions de VP financé à 75 % par le crédit à la consommation. Il faut également préciser, pour bien prendre la mesure de la croissance, qu'il "sort", chaque année, plus d'ingénieurs indiens que de bacheliers français, toutes filières confondues. Tous sont bilingues (au moins !). En plus de l'hindi, la langue officielle, - sans évoquer les 17 autres langues reconnues - environ 5 % du milliard d'habitants parle l'anglais, soit l'équivalent de la population française. Et cela n'est que la partie visible du potentiel d'une population qui croit en l'avenir de son pays, dans lequel, par exemple, 6 % des fils de pères issus des basses castes travaillaient en 1996 dans le salariat supérieur et 16,3 % dans les travaux qualifiés.

La deuxième collection Indienne

Le meilleur investissement est donc bien la famille, comme en atteste, lors de la deuxième visite prévue à notre programme, la fierté affichée de Sharad Sanghi, distributeur multimarque de la région, en nous présentant sa fille comme "the big boss", peu avant de nous dévoiler sa collection de plus de 70 voitures anciennes entièrement remises en état. Ce passionné a, en effet, chargé deux spécialistes de rendre roulantes toutes les automobiles, voire épaves, qu'il lui plaisait de collectionner. Des Rolls-Royce de Maharadjas aux voitures de diplomates en passant par des modèles légendaires, aucune excuse n'est envisageable : toutes les pièces doivent être trouvées. Les recherches les plus poussées sont alors menées et, s'il le faut, les pièces sont reproduites à l'unité.
Historiquement, les premières voitures importées en Inde étaient des Renault. Mais, de 1952 à 1984, les importations de voitures étrangères sont interdites, exception faite des véhicules diplomatiques et consulaires. En 1984, c'est Ford qui revient en premier, suivi après 1995, des principaux constructeurs mondiaux. Issu du joint-venture Etat/Etranger de 1984, le japonais Maruti-Suzuki, conservera une situation de monopole jusqu'en 1995, et détient encore, malgré le désengagement de l'état, 50 % du marché VP, devant Hyundai et Tata.

Et si on exportait ?

Avec son ouverture aux investissements étrangers, le secteur automobile s'est considérablement développé dans les années 1990. Il emploie directement 450 000 personnes et génère 10 millions d'emplois indirects. Dans un pays où plus d'un cinquième du PIB est agricole, la part de l'automobile est passée de 2,77 % à 4 % entre 1993 et 2004, avec un chiffre d'affaires de 18 milliards de dollars et de plus de 6 milliards pour l'industrie des composants automobiles.
Le marché a évolué pour être un marché acheteur à part entière, où marketing, satisfaction client et normes de qualité deviennent des maîtres mots. "Dans les années 80, notre marché était protégé par des barrières tarifaires, le marketing n'existait pas, et le service au client était médiocre, se souvient Nadir Godrej, patron du conglomérat Godrej Industries. Nous nous sommes restructurés lors de la crise des années 90. Puis nous avons eu un excès de capacité. Il a fallu alors penser à exporter". La conservation, ou la conquête, de parts de marché se fait donc alors par les prix, ce qui réduit les marges des distributeurs. En implantant plusieurs sites de distribution dans une même ville, les constructeurs s'appuient sur un réseau dont la rentabilité dépend du service, du contrôle du stock minimum, de la vente de pièces détachées et des extensions des contrats de garantie. Aujourd'hui, le principal enjeu pour l'industrie indienne est de devenir compétitive en s'alignant sur les standards de qualité internationaux. L'usine Pinnacle, par exemple, affiche donc d'entrée ses 4 certificats Veritas ISO 9001, 9002, 14 001 et OHSAS 18001. Malgré la jeunesse du marché, le contrôle technique automobile est obligatoire, même s'il est peu fréquent, et les niveaux d'émission sont contrôlés. Là encore les niveaux sont inférieurs à ceux pratiqués en Europe, mais la prise de conscience a eu lieu et la réaction est, comme d'habitude, rapide. Depuis la catastrophe de Bhopal le 3 décembre 1984*, la sécurité de la population indienne est une priorité nationale, comme en témoignent les réguliers renforcements de la législation. Parallèlement, de gros progrès législatifs ont été faits pour la protection des brevets. Depuis la réforme de 2005, ce sont non seulement les produits mais également les procédés qui sont protégés et ce pendant 20 ans. S'il faut attendre en moyenne 3 ans pour l'obtenir, la protection "rétroagit" au jour du dépôt du dossier, tandis qu'un accord de confidentialité est conseillé pour commencer à discuter et négocier avec d'éventuels partenaires.

Le poids lourd, un secteur très prisé

Entamées sur ces fondements, les discussions entre Man AG et Force Motors ont conduit à l'inauguration de leur usine commune. De concerts en shows bollywoodiens, la cérémonie d'inauguration a mis en scène "deux partenaires forts, une vision", en présence de plusieurs ministres et personnalités de l'état. Fier de rappeler qu'il y a 6 ans, il fallait trois fois plus de temps pour aller de l'usine de Pithampur à l'aéroport d'Indore et que la région est désormais autonome en énergie, messieurs Firodia et Mehta, respectivement Président-directeur général et directeur général de Force Motors, et Messieurs Samuelson et Weinmann, respectivement P-dg de Man AG et Man AG Nuttzfahrzeuge, ont dévoilé leurs objectifs et leurs chaînes d'assemblage. Ce ne sont pas moins de 24 000 unités qui en sortiront tous les ans, dont la moitié sous la marque Force pour le marché indien et l'autre sous Man pour l'export. En effet, et ce n'est plus une surprise, les investissements consentis en Inde doivent servir de base pour l'Afrique, le Moyen-Orient, la Russie et l'Asie, comme c'est déjà le cas, pour Hyundai notamment. Cet ensemble, sorti de terre en quelques mois, devrait atteindre son rythme de croisière dès le dernier trimestre 2006. Le joint-venture, nommé Man Force Trucks Private Limited, détenu à 70 % par Force et à 30 % par Man AG, vise 30 % d'économie sur les coûts de production allemands. 80 ingénieurs allemands ont dû s'expatrier pour apporter leur savoir-faire et leur compétence, notamment au nouveau centre de recherche et développement en design pour cette partie du monde. La gamme sera, en effet, spécifiquement développée et l'étude d'une nouvelle coopération sur les bus est en cours. Face à une telle diversité culturelle, une inconnue subsistait cependant : pourquoi l'inauguration avait-elle lieu un dimanche ? Rien à voir avec une démonstration des capacités des employés locaux à s'adapter à toutes les contraintes, même horaires devant les visiteurs allemands. Pour comprendre la date, il suffisait de marcher dans les rues de la ville et d'admirer toutes les processions de mariage : c'était un jour béni qui avait été choisi. En effet, l'appartenance à une région est un fait déterminant et chacune honore et pratique ses croyances de façon particulière. Cela détermine que certains jours seront placés sous de bons auspices : les "hospicious days", durant lesquels sont célébrés plusieurs milliers de mariages dans chaque ville. C'était donc un jour idéal pour célébrer cette union industrielle et la satisfaction, l'assurance des industriels se lisaient sur le visage de ceux qui vont jouer un rôle important sur un marché où désormais 85 % des véhicules sont des petits modèles. A noter, 420 équipementiers représentant 85 % de la production nationale de pièces du pays confirment que le tissu des 10 000 autres entreprises du secteur forme à la fois un filet de sécurité et une base de développement pour les conquêtes à venir. La construction d'autoroute, comme celle tracée entre Delhi, Calcutta et Madras, assiste le développement. D'autre part, les constructeurs sont demandeurs de coopérations occidentales. Si l'on en croit le club Inde/ASEAN, les avancées qualitatives au niveau de l'organisation de la production chez des équipementiers tels que Bahrat Forge, Mumax ou Tata Auto Plastics, fortement inspirés des méthodes japonaises, sont remarquables. Par ailleurs, l'avancée quantitative de la production laisse dubitatif puisque de 400 000 unités produites en 2000, ce sont aujourd'hui 1,2 million d'unités qui sortent chaque année des usines de montage.

"Souriez plus, parlez moins"

Au final, c'est la capacité tout à fait nouvelle de Recherche et Développement qui est unanimement reconnue, notamment pour sa contribution à l'enrichissement des gammes. Le rattrapage sur les concurrents asiatiques est en marche alors que Tata s'apprête à lancer de nouveaux modèles de petites cylindrées X1, X2 et X3 en 2007, et que le joint-venture de Mahindra et Renault s'organise autour de la Logan. De l'avis général, la carte à jouer pour les français est celle de la petite voiture climatisée et automatique, perçue comme luxueuse. Le marché Indien appelle des petits modèles avec des équipements de luxe. L'association avec des partenaires de plusieurs nationalités étant possible, les français doivent accepter de composer avec des Japonais ou des Coréens déjà en place et rester prudents car la roupie est indexée au dollar, et que les différences culturelles sont délicates à appréhender comme la notion du temps à l'indienne. En conclusion, le conseil qui est donné est de sourire plus pour paraître moins arrogant, et de parler moins, pour prendre le temps d'apprendre et écouter poliment. Le jeu en vaut la chandelle.


Caroline Serval


*(L'usine de pesticides de la firme américaine Union Carbide a laissé s'échapper un gaz nocif qui a fait 3 000 victimes).


 

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