Les groupements face au déséquilibre des réseaux
...de la distribution figée pour une éternité devenue périssable sur le tard, les adhérents aux groupements de concessionnaires ne constituaient pas une population homogène. Au-delà des questions de taille des affaires, il y avait des différences marquées en ce qui concerne, notamment, le profil des chefs d'entreprise et leur appartenance ou non à des groupes mono ou multimarques. Les groupements pouvaient cependant exercer, pourvu qu'ils se gardassent de tout excès d'efficacité face à des interlocuteurs tout puissants, une activité faite de médiation, collaboration ou contestation, en des proportions variables selon les circonstances. La stabilité de l'environnement assurait une fluidité un tantinet routinière des relations entre, d'une part, les concessionnaires adhérents au groupement et, d'autre part, entre celui-ci et le constructeur. Cet équilibre apparemment stable reposait essentiellement sur l'exclusivité territoriale et le modèle unique de concession, à savoir les deux piliers de l'immobilisme commercial : chacun était maître chez lui, et chacun savait que le concurrent d'en face était un frère jumeau. Plus ou moins riche, plus ou moins turbulent, c'est entendu, mais jumeau quand même et fondamentalement prévisible dans ses actions. C'est tout cela qui est en train de changer, depuis quelques jours, avec l'abolition de la clause de localisation. Les groupements s'en trouveront à devoir affronter une tâche plus ardue.
L'instabilité prochaine…
Un rappel, tout d'abord. La liberté d'établissement née le premier octobre dernier va avoir pour conséquences principales sur le marché : une accentuation de la concurrence intra marque à travers l'ouverture de succursales de la part des concessions les plus dynamiques ; un développement du commerce (et de la concurrence) grâce à la possibilité d'ouvrir des points de vente multimarques pour les groupes représentant plusieurs marques ; une concentration progressive et forte des réseaux, et leur différenciation, en conséquence de ce qu'on vient d'énoncer. La transformation des réseaux est donc à l'ordre du jour ; elle le restera sans doute longtemps. Ceci d'autant que l'accroissement de la pression concurrentielle à laquelle nous allons assister ouvre la voie à une plus grande libéralisation du marché, à laquelle il est prudent de s'attendre pour 2010, date d'expiration du règlement européen actuel. Les grandes tendances du changement devraient être les suivantes : moins de concessionnaires ; moins de concessions, plus grandes ; une proportion croissante de concessions multimarque différenciées ; une expansion modérée des grands groupes, y compris internationaux ; un renouveau des ouvertures de succursales de ventes directes, ou des participations au capital des concessions, de la part des constructeurs inquiets de voir la distribution leur échapper ; une évolution aléatoire, imprévisible et instable (créations, fermetures et faillites, cessions à des tiers) des points de vente secondaires, indépendants ou pas.
Et quelques répercussions prévisibles sur les groupements
Les groupements vont devoir affronter les conséquences de l'instabilité, et en particulier le fait que les adhérents auront moins d'intérêts communs et plus de sujets de friction qu'aujourd'hui. D'abord, l'accroissement de la concurrence intra marque n'est pas faite pour améliorer les relations entre les concessionnaires. Le fait est qu'il y aura un fossé de plus en plus large entre les concessionnaires "agressifs", ayant les moyens d'une politique d'expansion ainsi que les qualités professionnelles nécessaires et les autres. A cette première ligne de fracture s'en ajoute une autre : le développement du multimarquisme entraînera, lui aussi, des divergences d'intérêts entre les concessionnaires, selon leur statut mono ou multi : qu'on pense par exemple aux critères qualitatifs requis par les constructeurs. Ceux-ci pourront être vus comme une protection indispensable par les uns, et comme une exigence trop onéreuse par les autres… Ajoutons à tout ceci le différentiel d'évolution qui se produira entre les grandes agglomérations (dont le marché est plus attractif pour les groupes, par exemple) et les petites villes de province. Toutes les raisons de ne pas s'entendre vont sans doute s'accentuer. La cohésion des groupements, en supposant qu'ils conservent toutes les catégories d'adhérents (voire l'ancien et le nouveau groupement Nissan) va donc dépendre, plus que jamais, de la capacité de médiation des responsables. Mais quand il y a trop de divergences, le problème de la forme d'organisation la plus efficace finit toujours par se poser. Vous avez dit Fédération ? Peut-être…
Ernest Ferrari, Consultant
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