"Les futures générations refuseront de renégocier à la baisse la liberté offerte par l’automobile"
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Depuis la présentation du concept GT, vous n’avez de cesse de répéter qu’il représente la prochaine marche à gravir pour Kia, qu’entendez-vous par là ?
Peter Schreyer. Il s’agit d’un concept-car, mais il indique en partie les nouvelles orientations du design de la marque. Il permet aussi d’élargir les perspectives du futur, car si notre gamme est plutôt vaste, nous avons encore des possibilités d’extension. Nous voulons aussi faire bouger les lignes de notre image de marque et de notre positionnement. Ainsi, un concept comme GT existe déjà dans l’automobile, mais exclusivement dans le segment Premium. Or nous avons voulu l’intégrer dans notre univers de généraliste, en démontrant de manière décomplexée que c’était possible. D’ailleurs, si nous devions commercialiser un modèle de ce type, nous le ferions à un tarif accessible.
JA. Est-ce à dire que vous étudiez l’opportunité d’une application de série de ce concept ?
PS. La décision n’est pas encore entérinée, ni dans un sens ni dans l’autre… Nous continuons donc notre tour du monde des Salons pour prendre le pouls des marchés. Après Paris, le concept mettra le cap sur Toronto. Un concept de ce type renforce aussi l’attrait de la marque, surtout qu’il n’est pas irréaliste. Comme vous avez pu le constater, pour un concept, ses dimensions sont très raisonnables.
JA. A propos de marchés, un tel concept n’est-il pas prioritairement adressé aux clients américains ?
PS. Ce concept est effectivement davantage taillé pour les Etats-Unis que pour l’Europe. Surtout qu’en Europe, la prégnance des trois constructeurs Premium allemands s’avère difficile et longue à contourner. En Corée et dans d’autres pays asiatiques, ce modèle aurait aussi sa place.
JA. Quelles étaient les grandes lignes du cahier des charges du concept GT ?
PS. L’objectif consistait à revisiter les belles GT des années 70, synonymes de trajets au long cours, de liberté et de puissance, mais dans une veine “gentleman”. L’aéronautique a été une forte source d’inspiration, avec un travail très minutieux sur l’aérodynamisme notamment. Enfin, nous avons mis en exergue quelques touches de modernité technologique, comme les caméras en lieu et place des miroirs par exemple.
JA. Le concept Pop, qui écume les Salons depuis deux ans, préfigure-t-il vraiment une mini-citadine électrique ?
PS. Vous connaissez notre feuille de route sur les énergies alternatives. D’une part, nous maîtrisons d’ores et déjà l’hybridation, comme en témoigne l’Optima. D’autre part, le lancement d’un véhicule 100 % électrique est programmé en Corée, dans un premier temps. Enfin, nous investissons beaucoup sur la technologie de la pile à combustible. Pour revenir à la Pop, disons que c’est un concept de design avancé, même si une application de série serait naturellement très différente. Mais un concept-car n’est jamais gratuit, c’est toujours une épreuve d’entraînement, un jalon pour des modèles à venir. Dans cette perspective, la Pop est donc un jalon par rapport à une éventuelle mini-citadine. La Pop a tout de même du chien ! Imaginez un service comme Autolib’ avec des Pop, cela aurait quand même plus d’allure ! Imaginez des Pop de toutes les couleurs dans les stations Autolib’ de la région parisienne, le succès serait immédiat !
JA. A ce propos, quel regard portez-vous sur Autolib’ ?
PS. On peut critiquer mille et une choses, mais le concept est bon et il a indéniablement de l’avenir. On peut aussi critiquer Monsieur Bolloré, mais force est de reconnaître que c’est bien lui qui a franchi le pas le premier. De plus, les choses peuvent s’accélérer plus vite qu’on ne le croit dans ce domaine. Il faut garder à l’esprit l’incroyable rapidité de diffusion de l’iPhone. En tant que constructeurs, nous devons nous préparer à d’importants changements, même si le timing est encore incertain. J’ajouterais volontiers que les nouvelles mobilités urbaines ne riment pas avec la fin de l’automobile ou d’une certaine idée de l’automobile, comme on l’entend parfois. En outre, il y aura toujours des voitures de rêve, des sportives, des véhicules 7 places etc. Changements de modalités, oui, mais fondamentalement, les futures générations refuseront de renégocier à la baisse la liberté offerte par l’automobile.
JA. Pour revenir au design de Kia, ne pensez-vous pas que la prochaine marche à gravir sera plus difficile que la précédente, quand vous aviez tout à construire en partant d’une marque peu séduisante sous l’angle du style ?
PS. Il est vrai que nous avons beaucoup progressé ces dernières années, mais surtout, nous avons trouvé notre identité et notre direction. Désormais, le travail est sensiblement différent car il s’agit d’évoluer dans la continuité. Auparavant, nous raisonnions en grosses avancées, en ruptures. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous permettre de désorienter nos clients et tous les acheteurs potentiels qui nous mettent maintenant dans leur shopping-list. Nous devons faire preuve de cohérence et de consistance, sans rester immobiles naturellement !
JA. Comment travaillez-vous avec les équipes du design de Hyundai, afin de faire jouer les synergies “pièces et composants” tout en conservant des identités spécifiques ?
PS. En fait, nous ne faisons pas de réunions pour chercher à nous différencier à tout prix. Chaque marque a bien défini sa philosophie et en la suivant avec rigueur et authenticité, nous savons que nous évitons l’écueil de la collusion. C’est un fonctionnement naturel.
JA. A l’image du nouveau rôle de Jean-Pierre Ploué chez PSA, ne seriez-vous pas tenté par un poste supervisant à la fois le design de Kia et de Hyundai ?
PS. La question n’est pas d’actualité… Mais effectivement, je serais tenté, ce serait un défi passionnant !
JA. Dans le domaine de plus en plus prolifique du design au sens large et dans la sphère culturelle, quelles initiatives ont retenu votre attention récemment ?
PS. Oh… beaucoup de choses ! Arts, musique, aéronautique, architecture, tout est source d’inspiration pour moi. Parmi mes derniers coups de cœur, je citerais volontiers l’artiste coréen Do Ho Suh et l’architecte Eul Ho Suh, coréen lui aussi.
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ZOOM - Peter Schreyer en bref
Agé de 58 ans, Peter Schreyer figure déjà dans le Panthéon du design automobile. Il a d’ailleurs déjà été décoré par l’Allemagne ou le prestigieux Royal College of Art de Londres. Il fait ses débuts chez Audi en 1980, avant d’aller travailler chez Volkswagen, pour mieux revenir chez Audi comme responsable du design de 1994 à 2002. On lui doit de très nombreux succès de la marque aux anneaux, dont la TT.
En 2006, il relève un nouveau défi en acceptant de prendre la tête du design de Kia. Un vrai challenge dans la mesure où le style des modèles de la marque est peu apprécié, pour dire le moins, en Europe ou aux Etats-Unis. S’il ne peut apporter que quelques menues modifications à la Soul, les modèles qui ont suivi portent sa signature. Avec le succès commercial et la reconnaissance stylistique que l’on sait.
Basé en Allemagne, il supervise un réseau mondial de studios de design : Francfort, Irvine (Californie), Séoul et récemment Shanghai. Il est allé plus de 80 fois en Corée, essaye d’apprendre le coréen, mais reconnaît que “c’est difficile, cette langue ne ressemblant à aucune autre”. Comme dans la plupart des grands groupes, la langue de travail est l’anglais.
Passionné par mille et une choses, curieux et profondément pétri d’humilité, il se souvient de ses amours de jeunesse, Jaguar type E et Porsche 911. Sa première voiture marquante fut une Fiat X1/9. Peter Schreyer aime aussi piloter des avions, même s’il s’est résolu à vendre son Cessna, n’ayant que très peu de temps pour voler.
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