"Les constructeurs ont accepté, tacitement, la présence d’un marché parallèle"
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Quelles sont les principales missions de l’EAIVT aujourd’hui ?
MARCO BELFANTI. L’association a été créée en 1993 avec pour objectif premier de représenter les distributeurs automobiles indépendants auprès de la Commission européenne. Nous sommes acceptés à Bruxelles en qualité d’organisation de “marché libre” et bénéficions de relais auprès de qui nous pouvons formuler nos problématiques, qu’elles soient d’ordre technique ou concurrentiel. Nous avons également pour autres missions de mettre en relation des professionnels de la vente automobile B to B, de réduire tous les obstacles qui s’opposent au libre échange de véhicules entre les acteurs indépendants, de nous assurer de l’harmonisation des process et des documents nécessaires à l’immatriculation des véhicules ou encore de veiller à la sécurisation et à la transparence des échanges entre les marchés.
JA. Quels sont les derniers sujets sur lesquels vous avez pris position ?
MB. Nous avons obtenu gain de cause dans un différend qui nous opposait à Mitsubishi, la marque ne souhaitant pas proposer la garantie constructeur sur les véhicules importés, ainsi qu’avec Suzuki qui ne proposait pas les mêmes prix entre le marché danois et le marché allemand. Nous sommes également actuellement en négociation avec Volkswagen, qui a durci les conditions d’accès aux véhicules de la marque pour les sociétés indépendantes. Selon que l’on soit un client final ou un professionnel, les délais d’attente ne sont pas du tout les mêmes et peuvent aller du simple au double entre un particulier et un intermédiaire. C’est particulièrement le cas en Allemagne et en France. Nous espérons trouver une solution rapidement avec Volkswagen sans passer par Bruxelles.
JA. Combien de membres appartiennent à l’association ? Qui sont-ils ?
MB. D’une petite dizaine de membres au départ, nous sommes passés aujourd’hui à plus de 130 adhérents(1), auxquels viennent s’ajouter des associations automobiles de divers pays d’Europe. Nous accueillons chaque année de nouveaux membres qui sont en quête de nouveaux contacts pour faire du business. Nous n’acceptons pas les sociétés qui ont moins de trois ans d’ancienneté sur le marché automobile et chaque nouvel entrant doit être parrainé par au moins trois membres. Le logo EAIVT est un gage de sérieux et de sécurité.
JA. Le marché russe représente-t-il des potentiels de développement pour les acteurs de la distribution indépendante ?
MB. Nous avons organisé un “road-show” à Saint-Pétersbourg, il y a deux ans, qui nous a permis de rencontrer quelques professionnels locaux et de prendre la température du marché. Nous avons également cherché à inviter ces sociétés lors des précédents congrès. La Russie est un marché intéressant, mais qui est très compliqué et particulièrement fermé aux importations. Mais nous avons bon espoir de voir la situation évoluer suite à son entrée au sein de l’OMC*. L’obligation de respecter certaines règles devrait libéraliser les échanges avec la Russie et il n’est pas impossible que nous puissions attirer des professionnels russes dès l’année prochaine.
JA. La lutte contre les escroqueries à la TVA intracommunautaire, qui pénalisent beaucoup de professionnels français, fait-elle partie de votre champ d’action ?
MB. Nos membres ne sont pas directement confrontés à ces fraudes car ils travaillent avec des sociétés sérieuses, qu’ils connaissent très bien. Au gré des informations et des remontées que nous obtenons, nous pouvons aiguiller les professionnels en leur préconisant de ne pas faire affaire avec telle ou telle société. Mais le cœur de ce problème relève avant tout de questions politiques, internes à chaque pays, sur lesquelles nous n’avons pas le pouvoir d’intervenir, pour le moment. Chaque pays repose sur un système différent et c’est aux organisations nationales de monter au créneau.
JA. La crise économique que traversent certains pays de l’Union européenne a-t-elle des impacts sur les échanges intracommunautaires de véhicules ?
MB. Ce n’est pas tant la situation économique de ces pays qui favorise, ou non, les importations et les exportations de véhicules, mais davantage la situation de surproduction industrielle. Dans ce contexte, les distributeurs indépendants interviennent comme des régulateurs de marché. Autant, en 2011, les approvisionnements étaient très compliqués, autant depuis janvier le marché est saturé de véhicules. Des marques comme Fiat, Peugeot ou Ford sont très faciles à trouver un peu partout en Europe. De fait, nous observons une pression très grande sur les prix.
JA. Votre organisation est-elle bien perçue des constructeurs ?
MB. Ils tiennent un double discours. A l’égard de leurs distributeurs, leur discours officiel est de dire qu’ils n’approuvent pas ce marché. En revanche, quand les constructeurs ou les importateurs rencontrent des problèmes de surstock et d’écoulement de leurs véhicules, ils font appel à nous. S’il existe aux quatre coins de l’Europe autant d’acteurs indépendants qui commercialisent des voitures neuves fabriquées dans leurs usines, c’est parce que les constructeurs ont accepté, tacitement, la présence d’un marché parallèle. Ils nous ont intégrés dans leur schéma de distribution.
JA. Ne craignez-vous pas que les constructeurs reprennent la main sur leurs véhicules à un moment ou un autre ?
MB. Les constructeurs aimeraient contrôler le marché et maîtriser l’ensemble de la distribution de leurs véhicules. Mais leurs réseaux ont de plus en plus de mal à gagner de l’argent face aux investissements et aux standards très hauts demandés par les marques. Quand Hyundai a investi le marché européen, sa première préoccupation a été de gagner des parts de marché et d’augmenter sa visibilité. Les voitures sont arrivées en bateau par milliers et, logiquement, le réseau, encore naissant, n’a pas pu absorber tous les volumes. Par conséquent, Hyundai s’est orienté vers les sociétés indépendantes. Dans quelques années, quand ils jugeront leur pénétration suffisante, ils bloqueront les ventes aux acteurs indépendants. Kia a d’ailleurs déjà commencé à fermer les vannes.
JA. Quel regard portez-vous sur le marché automobile européen actuel ?
MB. Le marché automobile est très difficile, il est presque à l’arrêt dans certains pays européens. Mais les sociétés issues de la distribution indépendante résistent mieux à ce durcissement car elles sont plus flexibles, elles ont la capacité de s’ajuster aux aléas des différents marchés et d’aller rechercher de nouvelles opportunités. Nous ne sommes pas confrontés à la pression des objectifs de volume, contrairement aux réseaux de marque, qui ont des structures lourdes, des effectifs, des coûts fixes ou encore des stocks plus importants.
*La Russie a ratifié le 10 juillet le protocole d’adhésion à l’OMC.
(1) Par exemple : AramisAuto, Auto-IES, VPN, InterLease, etc.
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