Les constructeurs, le mirage de marque et les réseaux
...au moins autant que du succès durable des modèles offerts. En effet, la nécessité de faire baisser les prix réels au public (après négociation) nous accompagnera longtemps, au-delà des accalmies trompeuses qui peuvent bénéficier à une marque "à la mode" ou à un modèle particulièrement réussi. Il n'y a rien de bien nouveau dans tout cela, et il n'y aurait pas lieu d'en parler si la plupart des constructeurs ne continuaient pas à surinvestir dans leurs réseaux de marque tout en les incitant à investir, eux aussi, dans le même sens. Cette politique a une justification : le "Brand" et la stratégie qui est censée en découler. Laquelle dit à peu près ceci : comme le produit, le réseau doit contribuer à construire l'image de la marque à travers une identification extrême et efficace réseau-marque. L'ennui est que cette philosophie autrefois acceptable est devenue avec le temps un mythe destructeur de richesse. Si on continue sur cette voie, le sens du mot "Brand" passera simplement de l'anglais (la marque) à l'allemand (l'incendie). Rien de bien grave, en somme.
Une stratégie "perdant-perdant"
On sait que les concessionnaires ont tout à perdre de cette politique du "Brand". Je n'y reviendrai pas. Il se trouve cependant que les constructeurs ont, eux aussi, beaucoup à y perdre : en particulier de l'argent et des ventes. Voyons pourquoi : tout surinvestissement se traduit en coûts qu'il faut ensuite compenser par un surcroît de rentabilité des entreprises concernées. Cependant, personne ne voit à l'horizon un marché en expansion qui pourrait consentir à des entreprises de distribution alourdies par leurs investissements et handicapées par une approche monomarque de retrouver par les volumes de ventes une rentabilité acceptable. Un constructeur qui s'enferrera dans une politique de "Brand" comme celle que l'on a décrite se retrouvera donc avec un réseau qu'il lui faudra subventionner pour le maintenir en activité ; ce n'est pas exactement le meilleur moyen de réduire les coûts de distribution. En outre, le mirage de la marque fait perdre de vue la piste qu'il faut suivre : celle de la concurrence, notamment entre les réseaux. Tôt ou tard, en effet, les entreprises de distribution ou les groupes les plus solides feront jouer à plein (et non pas marginalement comme aujourd'hui) la concurrence entre leurs fournisseurs, c'est-à-dire entre les constructeurs des marques qu'ils représenteront : le syndrome de l'électroménager n'est pas très loin. Dans de telles circonstances, un constructeur devrait, de son côté, être en mesure de mettre en concurrence les entreprises qui distribuent ses produits, que ces entreprises soient monomarques ou multimarques, et qu'elles soient ou non traditionnelles dans leur approche du marché.
Et les consommateurs ?
Les consommateurs donnent à la marque l'importance qu'elle a : aucune autre source de légitimité n'existe. Il est donc parfaitement inutile et même contre-productif de vouloir forcer le jeu en faisant miroiter des avantages de marque qui ne seront pas reconnus comme tels. Ainsi, un réseau badgé X, cloné à des centaines d'exemplaires à travers l'Europe, peut avoir une utilité sur le plan de la densité perçue et de la notoriété de la marque. Mais "si c'est trop cher" pour le consommateur, celui-ci ira voir ailleurs. Un réseau identifié avec une seule marque ne présente, en soi, aucun avantage ; il ne corrige ni les éventuels problèmes de qualité des modèles vendus, ni les écarts de prix constatés avec d'autres sources d'achat. A terme, il s'agira même d'un handicap sérieux, puisque les consommateurs achètent tous les autres produits, hormis l'automobile, dans des négoces multimarques, où le choix est plus aisé et la concurrence plus immédiate. Dira-t-on que l'on accordera aux clients du réseau très badgé des avantages "exclusifs" ? Ce serait s'engager sur une voie assez dangereuse. Punir le client pour son infidélité à un réseau monomarque, c'est laisser les "adversaires" (intermédiaires, concessionnaires d'autres marques attirés par le multimarquisme subreptice), pas seulement les concurrents, occuper le terrain. Il vaut mieux suivre le marché.
Ernest Ferrari ConsultantSur le même sujet
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