L’automobile n’est pas le textile mais…
...les constructeurs asiatiques, qu'ils soient indiens ou chinois, ne sont pas non plus des artisans au rabais. Ils viendront prendre des parts de marché en Europe. Or, on ne parle pas beaucoup de l'impact qu'aura leur arrivée. On semble même donner pour acquis le fait que les investissements en Asie garantiront aux constructeurs européens une compensation (et même mieux que cela) pour ce qu'ils perdront en Europe. Comme il y a peu d'optimistes béats parmi les professionnels du secteur, il faut en déduire qu'on a choisi d'attendre les événements, en gardant son inquiétude éventuelle par-devers soi. On objectera qu'une autre stratégie est inimaginable, et c'est sans doute vrai… sauf à ne pas oublier que rien n'est acquis du tout, et que la défense du marché intérieur (européen), pourtant nécessaire, appartient encore au domaine du non pensé. A moins qu'il ne manque pas un bouton de guêtre et qu'on soit prêt à agir sans le dire… mais ça se saurait : on verrait déjà les modèles de la rescousse. Y en a-t-il ?
Pas d'apocalypse mais de gros problèmes
Contrairement à ce qui s'est passé avec les japonais, les nouveaux arrivants se présenteront sur un marché européen non (ou peu) protégé (heureusement), affligé d'une demande stagnante (malheureusement). Prendre des parts de marché dans ces conditions, c'est donc ôter des volumes aux concurrents, essentiellement européens, qui n'ont pas vraiment besoin de ça. L'industrie automobile européenne supportera évidemment le choc. Mais ceci ira au détriment de sa rentabilité, et on assistera sans doute à quelques drames ici ou là. Quelques bienfaits induits, comme la disparition des marques impossibles à rentabiliser sont par ailleurs probables. Donc, nous ne sommes pas dans un scénario de "destruction créatrice" classique : il n'est pas nécessaire d'imaginer d'abandonner le secteur automobile à l'adversaire, ni de créer, pour le remplacer, des activités ou produits d'avant-garde, plus rentables et plus difficiles à imiter. Ce qui ne signifie pas qu'il est bon d'attendre et de voir venir, bien au contraire. Une défense préventive, non protectionniste, du marché intérieur est indispensable, ne serait-ce que pour se prémunir contre deux aléas : une chute brutale, "à la brésilienne", des nouveaux marchés pleins de promesses ; et une politique de "dumping sans le dire" des nouveaux arrivants. On ne lutte contre ces choses-là que par le produit ; ce qui revient à dire que la "créativité" des constructeurs européens est la seule arme possible, même si aucune "destruction" n'apparaît à l'horizon.
Déplacer la demande
Pour bien illustrer notre propos, nous allons parler de nos amours anciennes. Lorsque le premier Renault Scénic est arrivé sur le marché, il a "ratissé" des clients venant de tous les azimuts, c'est-à-dire de toutes les marques et de tous les segments. Les créateurs du modèle (nous n'en étions pas) ont donc répondu à une attente non exprimée des consommateurs, ils ont "déplacé" la demande d'une marque à l'autre, d'un segment à l'autre parce que le nouveau modèle a fait émerger une clientèle latente. Sans le Scénic, les consommateurs en question ne se seraient pas évaporés : ils auraient sans doute acheté un véhicule traditionnel. L'avantage de Renault s'est estompé par la suite, parce que les autres constructeurs ont lancé, eux aussi, des monovolumes du segment M1. Si les constructeurs européens, y compris Renault, veulent couper l'herbe sous le pied de leurs concurrents asiatiques, il leur faut méditer cet exemple et inventer des modèles qui mettent les véhicules traditionnels en porte-à-faux, pour quelque temps. Les temps ayant changé, il faudrait à présent une série ininterrompue d'intuitions géniales comme le fut Scénic (mais était-ce une intuition ? Nous avons connu des personnes qui savaient innover sciemment, et toutes n'ont pas disparu) pour contenir l'avancée des nouveaux arrivants. Il s'agit par conséquent d'innover sans relâche. L'alternative n'est pas dans la quantité des "nouveaux" modèles, fussent-ils vingt-sept sur deux ans, si ceux-ci ne font qu'améliorer l'existant ou multiplier le nombre des cross-over. Autrement, on pourra recourir à des mesures protectionnistes. Au gré des autorités préposées.
Ernest Ferrari, consultant
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