L’Algérie sort de l’oubli
...dommages créés par la tectonique des plaques géopolitiques. Aujourd'hui, le pays change. Le secteur automobile en tête, l'Algérie bascule vers une économie de marché et attire de nouveau les industriels.
Longtemps, le pays a porté les stigmates des drames qui ont jalonné son histoire. Ceux de son indépendance, ceux de la terreur, ceux d'un couvre-feu qui a cessé il y a deux ans à peine. Timidement, le pays tout entier s'est lancé dans une mutation. Amorcée par le gouvernement Bouteflika, la grande reconstruction est en marche. Les entrepreneurs se souviennent, s'intéressent. Les entreprises se multiplient. Alger la blanche, comme aiment à l'appeler ses habitants, est même le symbole de cette santé florissante. Pas une rue n'échappe au chantier. La moindre impasse donne à voir des ouvriers qui s'affairent. Tous cherchent à faire revivre l'éclat du blanc. Ce blanc, si cher aux Algérois, terni par une économie tombée jadis dans un carcan étatique. Partout, les petites sociétés sont à pied d'œuvre. Et les échafaudages qui s'enchevêtrent traduisent la nouvelle peau que se donne la capitale. Au détour des places et des allées escarpées, une concession, un garage, un petit revendeur de pièces, un agent multimarque. L'automobile se fond dans un nouveau décor. Celui d'Alger, de sa ferveur. Celui des rues et d'un parc, lui aussi en renouvellement. Dans un pays qui renaît, toute l'économie de l'automobile vit des heures enivrantes. Un chiffre, plus que tout autre, traduit cette atmosphère : le marché algérien vient de terminer l'année 2004 avec une croissance de 67 % par rapport à 2003. L'image de la 505 break Peugeot finissant sa vie sur les sentiers algériens prend de l'âge. L'heure n'est plus à l'occasion et aux importations sauvages. Les constructeurs sont bien présents. En témoigne, d'ailleurs, le succès du 9e Salon de l'automobile qui vient de fermer ses portes dans la capitale. Constructeurs, distributeurs, importateurs, réparateurs : le marché de l'automobile se donne une nouvelle structure. Une charpente occidentale dans laquelle se joue un match des plus musclés. Celui de l'Asie face à la France. Celui d'une concurrence qui en dit long sur l'activité qui foisonne dans le pays. L'Algérie revit, tout simplement.
Nouvelle terre de conquête
"L'embellie financière du pays profite à tout le monde." La mine réjouie, Mokhtar Mahdjoub, directeur de la communication Renault Algérie, goûte son plaisir. Dans un pays en chantier, l'automobile reprend des couleurs qu'elle ne semblait plus en mesure de connaître. Mais aujourd'hui, le pays est sorti de sa torpeur et l'Algérie s'ouvre. Elle communique, elle reçoit les entrepreneurs. Elle est même devenue un terrain fertile aux ambitions des constructeurs. L'Algérie plane aujourd'hui sur une douce allégresse qui gagne tous les acteurs de l'économie. A commencer par ceux de l'automobile. Le parc de véhicules n'est pas des plus jeunes, il est vrai. Mais la tendance est nettement au renouvellement. Aujourd'hui, il dépasse les trois millions de véhicules. Et 80 % d'entre eux ont plus de 10 ans. C'est dire si le potentiel du marché est conséquent. "Le besoin actuel pour renouveler réellement le parc devrait dépasser les 200 000 véhicules par an", assure avec conviction Ahmed Beroui. Chargé de mission et de synthèse pour le grand importateur Achaibou, l'homme est sûr de son fait. L'automobile a de belles années devant elle en Algérie. D'ailleurs, certains signes ne trompent pas. Les agents se multiplient, les réseaux se renforcent, les consommateurs achètent. Bref, la physionomie du secteur tend de plus en plus vers un modèle global. L'an dernier, le volume des importations est passé à 115 000 véhicules, contre 70 000 en 2003. Et tous les constructeurs ont pu goûter aux joies de la croissance. Au premier plan : Renault. Avec plus de 22 000 véhicules vendus, le constructeur français est devenu leader du marché algérien. Une place que Peugeot avait l'habitude de truster depuis un grand nombre d'années. Mais l'an dernier, Renault a pu compter sur l'excellent bilan commercial de la Clio et notamment celui de la version Classic, modèle 4 portes de la petite citadine. Ce qui permet au losange de tenir le lion à distance. Car, avec seulement 900 véhicules vendus de moins sur 2004, Peugeot reste en embuscade. Avec un peu moins de 18 % de croissance contre près de 75 % à Renault, Peugeot n'a pas évolué au même rythme que ses concurrents durant l'année dernière. Ce qui ne l'empêche pas de rester sur la deuxième marche du podium. En effet, aujourd'hui, la firme sochalienne bénéficie toujours d'un attachement certain de la clientèle algérienne. Si bien d'ailleurs que 206, 307 et 407 raflent la mise sur leurs segments respectifs. La 206 est même la voiture la plus vendue en Algérie sur 2004. Derrière ce duo franco-français qui se dispute la tête des ventes, un autre binôme intervient. Celui formé par deux concurrents asiatiques : Toyota et Hyundai. Le constructeur japonais a, par exemple, joui d'une croissance à trois chiffres l'an dernier (115,69 %), voyant même les ventes de sa Corolla frôler les 250 % d'augmentation. Cette place, Toyota la doit, en grande partie, au succès de son pick-up Hilux, deuxième véhicule le plus vendu dans le pays. Derrière, Hyundai signe la surprise du chef ! Déjà très en vue ces dernières années, le coréen confirme sa progression, à l'image des résultats qu'il récolte sur le marché mondial. Certains annoncent déjà que 2005 sera son année. En fait, derrière la traditionnelle doublette française qui occupe les lieux depuis toujours, Toyota et Hyundai ont su se positionner sur des secteurs bien précis. La Yaris et l'Atos tentent de bousculer la hiérarchie des petits volumes. Le Hilux règne en maître sur le segment des pick-up et l'atout prix de Hyundai fait des miracles avec l'Accent. Ce dernier modèle s'est vendu à 5 290 exemplaires l'an dernier. Soit 5 à 6 fois plus qu'en France sur la même période.
Les constructeurs asiatiques s'installent
Renault, Peugeot, Toyota et Hyundai totalisent ainsi près de 70 % des ventes à eux quatre. Pour des raisons d'histoire, de prestige, d'utilité ou de prix, ce sont désormais les marques les plus reconnues par le grand public et cela se ressent sur les ventes. Derrière ces ténors, les places sont chères. Car il est à présent difficile de faire son trou dans un marché qui a pris ses habitudes. Malgré une belle progression en 2004, même Citroën n'arrive pas à percer. La marque aux chevrons souffre d'un mal qui touche également Volkswagen : le prix. "Ce sont des bonnes marques, mais il est difficile de les vendre", résume un agent multimarque du centre d'Alger. Car au-delà de la notoriété, le prix est une composante qui conditionne énormément le marché algérien. Un exemple : celui de la Logan. La Renault, siglée Dacia, débarquera en Algérie au mois de mai prochain. Problème : le prix de lancement. Il sera loin des 5 000 euros demandés pour ce modèle en Roumanie. "Chez nous, il en coûtera environ 650 000 dinars, soit un peu moins de 7 000 euros", annonce ainsi Mokhtar Mahdjoub. A peu de choses près, c'est le prix qui sera pratiqué en France. "Rapporté au niveau de vie algérien, cela équivaut à deux ans de salaire", poursuit-il. Politique tarifaire judicieuse ? L'avenir le dira. Renault annonce, en tous cas, que dès l'arrivée de la Logan, la Dacia Solenza cessera d'être vendue. La Logan remplace donc la Solenza sur un segment qui n'est finalement pas celui des véhicules les moins chers du marché. Car la concurrence est rude en ce qui concerne les modèles à bas prix. En Algérie, ce type de véhicule trouve un terrain propice à son développement. Et les importateurs ne s'y trompent pas. La profusion de marques asiatiques en témoigne. Maruti, par exemple, cette filiale indienne de Suzuki. Mais aussi Geely, Mudan et Uyjein, des marques chinoises. Des véhicules dont le prix dépasse rarement les 5 000 euros. Et niveau de vie oblige, ces petites citadines bon marché sont plébiscitées par les clients. Il n'y a qu'à regarder les chiffres de ventes des différents modèles pour s'apercevoir de l'influence du prix sur les achats. L'an dernier, par exemple, les ventes de Clio et de 206 réunies représentaient 13 506 unités. Celles de la Hyundai Atos et de la petite Maruti confondues approchaient les 13 000 (12 782). Les deux constructeurs asiatiques arrivent à se hisser au niveau des leaders du marché grâce à une politique qui tire leurs prix vers le bas. Et les résultats sont là. Peut-être est-ce, d'ailleurs, ce facteur tarifaire qui explique également les faibles ventes de monospaces et des routières. On leur préfère généralement les berlines compactes ou les tricorps. En revanche, les ludospaces ont de plus en plus la cote. Kangoo, Partner's et autre Berlingo sont aussi appréciés pour leur aspect "utilitaire". Car c'est également une caractéristique du marché algérien, le VUL se porte bien. Et les constructeurs asiatiques sont les premiers à s'en rendre compte. Là où les ratios des ventes de VUL de Peugeot, Renault et Citroën par rapport à la totalité des ventes sont sensiblement les mêmes qu'en France, ceux de Toyota et Hyundai n'ont, au contraire, rien de commun. En France, par exemple, 4,7 % des ventes de Hyundai concernent des VUL. En Algérie, le taux du coréen est de 23,55 %. Et c'est Toyota qui remporte la palme. Les véhicules utilitaires légers représentent 3 % de ses ventes sur le marché français, alors qu'en Algérie, le japonais vend presque une voiture particulière pour un VUL (46,5 %).
L'arrivée du financement dope les ventes
Les progressions des divers modèles et des différents constructeurs sont significatives et symbolisent la santé actuelle du marché. L'explication ? L'économie du pays, diront certains. "Il est vrai que tous les indicateurs sont au vert depuis un certain temps. La conjoncture internationale fait que le prix du pétrole augmente. Et le pétrole est la principale ressource économique du pays", explique Abdelhamid Yala, directeur général de Toyota Algérie. "Il y a eu également l'apparition d'une nouvelle classe sociale qui peut se permettre l'achat de véhicules", ajoute Pascal Morel, directeur général de Peugeot Algérie. Autant de facteurs conjoncturels qui peuvent expliquer la belle situation du marché algérien. Mais de l'avis de tous, c'est bien l'apparition du crédit à la consommation qui a fait décoller les ventes. Jusqu'à présent, l'automobile n'était pas concernée par ce genre de services. "Désormais, tout un chacun a la possibilité de contracter un crédit automobile avec un taux d'environ 4 %", se réjouit Mokhtar Mahdjoub. Et l'aubaine n'a pas tardé à devenir indispensable. Initiés par la Cnep, les crédits automobiles ont littéralement fait exploser le marché. Et lorsque l'on connaît la passion des Algériens pour la voiture, l'idée fait recette. On comprend aisément que les banques souhaitent exploiter le filon. Les constructeurs reconnaissent que les ventes faites par l'intermédiaire du crédit Cnep représentent, en moyenne, entre 10 et 15 % de leurs ventes totales. Malheureusement, la Cnep va prochainement se retirer de l'automobile. L'organisme préfère, en effet, se recentrer sur l'immobilier. L'expérience était pourtant concluante. Mais peu importe, d'autres financiers sont déjà sur les rangs. Et la baisse d'activités que craignent certains est peu probable. D'autant que d'autres initiatives ont fleuri ces derniers temps. Comme celle offerte aux enseignants, par exemple. Maruti et les œuvres sociales de l'Education nationale ont, en effet, mis sur pied un accord. Les enseignants ne doivent débourser que 30 % du prix de la voiture. Le reste est pris en charge par les œuvres sociales, auxquelles l'enseignant devra régler le résidu à un taux plus qu'avantageux. Initiative intéressante quand on sait que, sur le marché, les véhicules du constructeur indien valent moins de 4 000 euros. Mais l'essentiel est bien là : relancer le secteur automobile. Et force est de constater que cela fonctionne. Le marché évolue rapidement. Il mute, il croît, mais conserve, malgré tout, d'énormes besoins. Aussi, l'Algérie est aujourd'hui à l'image de son marché automobile. Il y persiste toujours un certain attachement envers les productions françaises. Mais pour combien de temps encore ? Lentement, l'Algérie de l'auto découvre le financement, mais surtout l'Asie et ses offensives tarifaires. Désormais assis entre tradition et évolution, le pays se "globalise". Tendance inexorable dont l'automobile se fait ici le témoin.
David Paques
ZOOMDébat autour des importations Le président Bouteflika l'a récemment annoncé : il compte mettre fin aux importations des véhicules de moins de trois ans dans son pays. Grogne des concessionnaires locaux, soutenus par certains constructeurs. Le sujet fait débat au sein du monde automobile. Les véhicules de moins de trois ans importés, principalement de France, représentent une part du marché non négligeable. En effet, ces ventes ont atteint environ 60 000 unités l'an passé, contre 75 000 en 2003. La tendance est à la baisse et devrait donc se poursuivre dans ce sens. Car ces importations jouent inévitablement sur le volume de ventes enregistré par les agents. Aujourd'hui, les concessionnaires sont en train d'investir, de créer de l'emploi et de moderniser le parc automobile national. Ils voient donc d'un très mauvais œil ce manque à gagner que constituent ces importations : or le président algérien tient à préserver les concessionnaires et leur action sur l'emploi. Bref, concurrence déloyale ? En tout cas, le gouvernement algérien a tranché. Ce type de transactions sera suspendu. |
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