La Turquie à bras ouverts
...d'une économie redevenue propice à leur développement local. Et malgré quelques craintes pour le proche avenir, tous les indicateurs du marché restent au beau fixe.
Objets de craintes exacerbées de part et d'autre de l'Europe, la Turquie et ses 73 millions d'habitants sont depuis quelques mois pointés par nombre "d'Alter-Européens" pour la simple raison qu'ils symbolisent l'Europe dont ils ne veulent pas. Rejetés qu'ils sont par ces militants d'une autre Europe qui clament à qui veut l'entendre que le libéralisme économique ne doit en aucun cas présider aux destinées des peuples du Vieux Continent. Pourtant, la Turquie s'avère depuis longtemps déjà un terrain fertile aux marges des grands industriels, parmi lesquels d'ailleurs se trouvent de grands noms de l'automobile. Et c'est précisément sur cette relation économique que se sont basés les échanges commerciaux qui lient aujourd'hui
ZOOM1996 : le tournant douanier Développée au début des années 70 avec l'implantation de Renault et de Fiat par le biais de joint-ventures, l'industrie automobile turque était orientée vers le marché local et protégée par des barrières douanières. On la taxait alors volontiers d'industrie d'assemblage. L'entrée en vigueur de l'accord douanier avec l'Union européenne en janvier 1996 a provoqué une mutation rapide du secteur. La Turquie s'est ouverte et son marché intérieur a pris une tout autre dimension ces quatre dernières années. |
Une production nationale en hausse de 250 % depuis 2001
Afin de mieux saisir l'attrait actuel du peuple turc pour l'automobile, il convient de ne pas distinguer la dimension industrielle de la partie commerciale car le développement des sites de production sur le territoire national a eu pour effet principal de baisser le prix des modèles mis en vente dans les concessions locales. Ainsi, l'implantation des industriels de l'automobile se veut être un facteur déterminant dans la santé qu'affichent aujourd'hui les ventes constructeurs au sein même du pays. Entre 2001 et 2004, la production turque de voitures particulières a, en effet, subi une croissance de plus de 250 %, passant de 175 000 à près de 450 000 unités. L'automobile est ainsi devenue la deuxième activité exportatrice du pays, derrière le textile. Notons, de plus, que la production automobile représente désormais 4 % de la production industrielle nationale. Aujourd'hui, la capacité de production du pays est d'un million d'unités, dont 700 000 pour les seuls véhicules particuliers. L'an dernier, ce sont ainsi 862 035 véhicules motorisés qui ont été fabriqués en Turquie, soit une progression de 53 % par rapport à l'année précédente. Le potentiel est en constante évolution. Et les bassins industriels où germent les usines automobiles se font de plus en plus nombreux. Bursa, Istanbul, Koaceli, Adapazari, autant de destinations où les constructeurs se sont installés, y ont attiré équipementiers, constructeurs concurrents, et ont ainsi redynamisé le tissu économique local. Dernièrement, Renault annonçait même un investissement substantiel de 216 millions d'euros afin de préparer son usine de Bursa à commencer la production de la future Clio III, pendant que PSA et Fiat déclaraient, de leur côté, le renforcement des liens avec Tofas, leur partenaire local, pour la fabrication d'un petit véhicule utilitaire d'entrée de gamme à partir du quatrième trimestre 2007. L'enveloppe globale de cette opération atteint ici les 350 millions d'euros et illustre parfaitement cette tendance qu'ont les grands constructeurs à faire de leur plate-forme turque un outil prépondérant dans leur stratégie internationale. Notamment en terme technologique, puisque la réfection des sites ou la création de nouvelles plates-formes donnent un visage des plus modernes à cet ensemble. Renforcement des partenariats, développement des sites, le panorama automobile poursuit son expansion. Aujourd'hui, l'industrie automobile turque emploie 500 000 personnes à travers tout le pays. Et pour dissiper quelconque fantasme, il convient de rappeler que seuls Renault-Oyak, Toyota, Ford Otosan, Tofas-Fiat, Hyundai, Honda et Karsan (Peugeot) ont installé une usine sur le sol turc. Quelques constructeurs poids lourds, tels Isuzu, Man, Mercedes ou Iveco, les ont imités, mais, pour l'heure, la Turquie n'a rien d'un refuge. C'est une opportunité. Et les importations d'automobiles démontrent que l'équilibre commercial n'est pas si tranché. Selon les statistiques douanières locales, la Turquie a importé, en 2003, pour 23,5 milliards de dollars de véhicules. Et, avec 585 millions de dollars (17 % des importations), la France est le 2e fournisseur derrière l'Allemagne.
Les ventes VP en hausse de 99 %
On l'aura compris, la croissance de l'économie turque a grandement joué sur les résultats favorables de l'industrie automobile locale. Consommations domestiques, exportations, importations, la balance des transactions penche nettement en faveur du pays. Les citoyens turcs, dans leur majorité, ont vu leur niveau de vie sensiblement augmenter ces dernières années. Le développement de l'accès au crédit et les mesures d'incitation prises par le gouvernement, tel l'octroi d'avantages fiscaux en cas d'achat d'un véhicule neuf en remplacement d'un ancien, ont fini par agir considérablement sur le renouvellement du parc automobile national. Au terme de l'exercice 2004, les ventes de véhicules particuliers affichaient ainsi
FOCUSElles sont produites en Turquie Renault Mégane Tricorps, Renault Clio Tricorps, Dacia Logan, Toyota Corolla Tricorps, Toyota Corolla Verso, Ford Transit, Fiat Doblo, Fiat Palio, Fiat Albea, Hyundai Starex, Hyundai H100, Hyundai Accent, Honda Civic Tricorps, Peugeot (Karsan) Partner. |
Renault et Fiat en tête
Du côté des véhicules particuliers, Renault et Fiat bénéficient d'une cote certaine auprès des automobilistes turcs. Pionniers en la matière, les deux constructeurs se sont installés en Turquie dès 1971 et dopent aujourd'hui leurs résultats au diapason de leur notoriété. Un succès basé sur cet unique paramètre serait en réalité bien surprenant si l'on n'évoquait pas les partenariats qui lient ces deux marques à des groupes industriels du pays, dont Oyak, par exemple, partenaire de Renault. Créé dans les années 60, ce géant économique du pays est en réalité un holding sous contrôle de l'armée turque. Oyak est omniprésent en Turquie, de l'immobilier à l'agroalimentaire, et exerce une influence considérable sur la vie politique et socio-économique du pays. S'associer à un tel industriel est assurément une bonne opération pour la marque au losange. Rappelons ici que l'armée turque est toujours constituée de 800 000 hommes et 35 000 officiers. Désormais, Renault Mais, filiale commerciale du groupe, se taille la part du lion en ce qui concerne les ventes de véhicules. Loin devant Peugeot, importé par Karsan, Renault affiche une croissance de ses ventes de 150 % par rapport à 2003. Le constructeur français a en effet vendu l'an dernier 112 781 véhicules. Mais ce n'est pas le seul à afficher une croissance d'une telle ampleur. Hyundai annonce 300 % d'augmentation et Citroën 51 %. Du côté de la firme turinoise, c'est le même constat. Arrivé également en 1971 en Turquie, Fiat collabore pour sa part avec Tofas, constructeur local lancé en 1968. Résultat : l'alchimie entre les deux partenaires continue de fournir de beaux fruits et, l'an dernier, Fiat-Tofas affichait des résultats similaires à ceux de Renault en termes de ventes. A la différence près que cette alliance met à la vente des modèles siglés des deux marques et que l'alliance vend davantage de VUL que le constructeur français. Dans les rues d'Ankara ou d'Istanbul, Tofas apparaît même à tous les coins de rues. Entendez que la grande majorité des taxis utilisent un véhicule du constructeur, la plupart du temps une Tofas Dogan ou Sahin, sorte de Fiat 131 restylée.
Des perspectives en demi-teinte
Malgré cette santé que semble afficher l'ensemble des acteurs présents sur le marché turc, un grain de sable pourrait bien venir enrayer la belle mécanique. Durant l'exercice 2004, en effet, le gouvernement Erdogan a souhaité renforcer la taxe spéciale de circulation. Pour les VUL, celle-ci atteint désormais les 50 % et concernant les voitures particulières, cet impôt indirect passe de 30 à 37 % pour les véhicules inférieurs à 1 600 CC, de 52 à 60 % pour les 1600-2000 CC et de 75 à 84 % pour les plus de 2 000 CC. Ce qui pourrait bien refroidir les investissements des ménages et des entreprises consentis ces dernières années vers l'automobile. La menace est d'autant plus sérieuse que l'élévation de cette taxe de circulation intervient dans un contexte global qui n'épargne personne. La hausse des coûts des matières premières, l'approvisionnement des pièces, la disponibilité produit, les tensions sociales naissantes, la concurrence chinoise, autant d'écueils que l'industrie automobile nationale va devoir éviter pour équilibrer sa balance commerciale, déficitaire en 2003. A la vue de ces nouveaux éléments, certains professionnels du secteur annoncent d'ores et déjà la fin de cette époque bénie. D'autres, au contraire, préfèrent parier sur un ralentissement passager. Tous, pourtant, émettent des prévisions de 15 à 20 % inférieures aux résultats qu'ont connus les constructeurs ces dernières années. Un changement de rythme qui demande à être vérifié. Les premiers chiffres 2005 tendraient à leur donner raison et même à susciter quelques inquiétudes, puisque, à la fin du mois de janvier 2005, les ventes avaient reculé d'environ 160 % par rapport à la même époque de l'année précédente. Mais ce phénomène est-il vraiment propre à la Turquie ?
David Paques
3 QUESTIONS ÀNesrin Genç Yylmaz, Responsable de production Hyundai en Turquie Journal de l'Automobile. Comment pourriez-vous qualifier le marché automobile turc ? JA. Peut-on encore dire aujourd'hui que le marché turc s'apparente à une industrie d'assemblage ? JA. Quel genre d'opportunités une entrée dans l'Union européenne pourrait-elle apporter à la Turquie ? |
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