GRC : A l’aube d’une nouvelle “R”
La gestion de la relation client (GRC ou CRM, en anglais) est à un tournant. A la sortie d'un virage serait-on même tenté de dire. Tout le monde possède aujourd'hui une stratégie claire dans le domaine et nourrit des projets ambitieux. Mais qu'implique réellement cette appellation ? Comment la définir à l'aube d'une nouvelle décennie ? Les avis des experts sur la question sont on ne peut plus partagés : le CRM est une dénomination qui veut tout dire… et rien.
A qui la faute ? Sûrement à un manque de clarté. Chez les constructeurs, les directions en charge de la relation client cumulent souvent, en effet, cette mission avec leur fonction première, généralement marketing ou commerciale. Rarement d'ailleurs avec une responsabilité liée à l'après-vente.
Dès lors, les discours sont tronqués et dérivent facilement vers un jargon de publicitaires ou de vendeurs. En clair, quand on leur demande d'évoquer la relation client, ils lâchent très vite les termes de "cibles", de "prospects", de "conquêtes" et "fidélisation", moins fréquemment ceux de "satisfaction" ou "dialogue". "La gestion de la relation au sens où on l'entend est un vaste sujet, reconnaît Alexandre-Reza Radji, directeur-fondateur de The CRM Mobil Corp, société éditrice de solutions ad hoc. On parle de programme de recrutement et programme de fidélisation, ce qui est un peu réducteur."
Un métier en voie de professionnalisation
En France, plus qu'ailleurs en Europe, le service client a pourtant son importance. D'après les dernières études réalisées dans le cadre de l'élection du Service client de l'Année 2010, ce critère recueille une part conséquente des suffrages. 80,8 % des sondés déclarent accorder "beaucoup" sinon "assez" d'importance à la qualité du service après-vente lors d'un achat. Ce qui en fait le deuxième facteur dans la prise de décision, derrière les garanties d'hygiène et de sécurité du produit en lui-même (85,3 %). Il a également son importance du fait qu'au cours des 12 derniers mois, 79 % des français ont eu recours à un service client.
Les marques automobiles se sont donc adaptées. En premier lieu, elles ont presque toutes rapatrié leur centre d'appel dans l'Hexagone, au plus proche de leurs sièges sociaux. Ensuite, elles l'ont professionnalisé. "Il y a beaucoup d'idées fausses à propos des ces structures. Elles sont dévalorisées alors qu'on y trouve 80 % de collaborateurs en CDI, d'une moyenne d'âge de 30 ans, diplômés, qui touchent un salaire de 1 600 euros net en moyenne", réagit Ludovic Nodier, directeur de Viséo Conseil, le cabinet qui réalise le concours du Service client de l'Année. D'après les études qu'il a menées, la main d'œuvre représenterait la plus grande part des investissements réalisés dans la relation client, à hauteur de 70 %. Données corrélées par les constructeurs eux-mêmes. Il est vrai que ces derniers investissent presque sans retenue. En 2009, le marché de la relation client a embauché 5 à 6 % de plus que l'année précédente et a dépensé également des sommes astronomiques : on parle d'une enveloppe de 7,5 milliards d'euros tous secteurs confondus. Entre tous, "l'automobile est un secteur vertueux", analyse Ludovic Nodier. Sa note respective s'élève à 15,67/20, quand la moyenne nationale est à 14/20.
Toyota : toujours le cas d'école
Comment évoquer la GRC sans prendre Toyota à témoin. Didier Gambart s'explique sur la réussite évidente du constructeur japonais : "Toutes les stratégies placent le client au centre de la réflexion, mais chez nous il l'est par des arbitrages adaptés et une structuration des ressources humaines en phase avec les objectifs". Pour preuve, notre interlocuteur est lui-même directeur de la relation client, son département est "totalement indépendant des services marketing ou commercial". Une autonomie acquise en 2005.
Pour rappel, Toyota a défini trois niveaux de traitement pour ses clients. D'abord, le call-center qui enregistre un turn-over proche de 0 % et une expérience moyenne de trois ans. Ensuite, une équipe de sept collaborateurs au siège de Vaucresson (92), dédiée à la réception des courriers et des mails. Enfin, une autre plus petite consacrée aux "problèmes graves", soit quelque 50 à 70 dossiers par an. Ce qui n'empêche pas la marque nippone de reconnaître des axes de croissance. Primo, la gestion de la relation par canal. "Le courrier reste important et on n'y répond pas comme à un mail", réfléchit Didier Gambart qui estime que la formation doit être nécessaire. Secundo et pas des moindres : "apprendre à coordonner les réponses fournies", annonce le directeur. Il soulève là une problématique réseau et souligne le décalage qui peut parfois exister entre le discours du concessionnaire et celui du constructeur à l'égard du client plaignant. "La direction du service client doit savoir arbitrer entre le client et le réseau. Elle doit surtout savoir argumenter sa prise de position, favorable ou non, projette Didier Gambart. Ceci est une preuve de respect du client et permet de gagner sa confiance même quand on n'accède pas à sa requête". Une évolution dans son organisation qui a fait l'objet d'un audit. "Nous allons dégager du temps par ailleurs en accélérant le traitement des dossiers plus classiques afin que les ressources humaines soient mieux employées à cette nouvelle tâche. Nous allons aussi recruter une personne de plus."
Au 1er avril, Didier Gambart comptera également un collaborateur consacré au service technique. Cette fois, en vue de réduire les délais de réponses sur ces cas précis. "Toyota doit être capable de répondre en moins de 5 jours pour éviter que l'insatisfaction grandisse chez l'usager", argue-t-il. La réactivité était pourtant déjà largement saluée par Viséo Conseil lors de l'élection du Service client, puisque Toyota avait reçu la note de 18/20, "loin devant le 2e", révèle le directeur.
A demi-mot, il reconnaît que la connaissance du client reste une lacune, comme partout ailleurs. "On ne suit pas assez son évolution", admet-il. Il œuvre donc en ce sens, notamment en croisant les bases de données des organismes Toyota Financement et Toyota Assurances et des services commerciaux et après-vente.
Sur la Toile, Toyota progresse aussi. Son site Internet, le Club Toyota, va développer un service d'espace personnel où seront dispensés des conseils pratiques (GPS, Bluetooth,…). Et Didier Gambard de clore le chapitre : "La gestion de la relation client représente un investissement lourd de plusieurs millions d'euros que nous allons accroître de 13 % encore cette année."
Peugeot : Autour du Webstore
Le constructeur japonais est suivi à la trace. La concurrence rivalise de créativité. Eu égard à ce qui se fait et ce qui se prépare, la révolution CRM sera on-line ou ne sera pas. C'est une évidence maintenant. Peugeot en est un exemple frappant. Pierre Garnier, directeur marketing de la marque et interlocuteur privilégié en matière de relation client, expose une vision très interactive de ce poste. Il affiche dès lors une confiance dans l'avancement de son projet, celui de "créer une interface entre le client et le réseau" grâce aux différents sites Internet dédiés.
Entre tous les supports, l'accent sera mis sur Peugeot Webstore, le site commercial, en raison de son impact marketing évident. En moyenne, il attire effectivement 440 000 visiteurs par mois, selon les chiffres du constructeur. Ce qui encourage Pierre Garnier à revoir sa politique en matière de gestion de base de données. Peugeot référence actuellement 11 millions de contacts, d'une qualité toute relative, se détériorant avec le temps. Désormais, ils seront gérés différemment : chaque mois, une base sera constituée avec les contacts recensés le mois précédent sur le site Peugeot Webstore. "Ainsi, nous ne travaillerons que des leads avérés", affirme le directeur marketing. Une stratégie dont il attend beaucoup, compte tenu du fait que 15 % de ces contacts en provenance du net passent commande, selon le responsable, contre 0,4 % aux grandes heures du télémarketing.
A ceci viennent s'ajouter pléthore d'innovations en 2010, promet Pierre Garnier. D'abord, le "web call back", une fonctionnalité d'appel direct d'une concession de son choix, par Internet, pour être mis en relation avec le conseiller commercial. "Les gens ne veulent pas perdre ce contact humain car ils ont besoin d'être confortés dans leur choix", commente le directeur. Un pendant de Peugeot WebStore sera également créé, d'une part pour le VU, et d'autre part pour les accessoires. Ensuite, le directeur marketing annonce le déploiement de e-Dealer dans toute la France. Il s'agit d'un outil en ligne par lequel il est possible de prendre rendez-vous à l'atelier en s'inscrivant sur le planning. Au terme d'une phase de pilotage à Nice (06), la direction s'est en effet dite satisfaite et prête à instaurer le concept à grande échelle. Elle préparerait même une version pour le service commercial.
Est-ce tout ? Non. Les portails d'accès personnalisés, My Peugeot et Blue Frequency, seront revus pour être plus efficaces dans leur communication et dans leur découverte des membres. Le rapport "one-to-one" atteindra un niveau supérieur. "De quoi voulez-vous qu'on vous parle et à quelle fréquence ?", voilà la question que Pierre Garnier veut poser à ses membres par cet intermédiaire. Pour rappel, ils sont environ 152 000 particuliers sur My Peugeot et 95 sociétés sur Blue Frequency. Ce dernier site doit d'ailleurs changer d'appellation pour devenir My Peugeot Pro. Le "web 2.0" pourrait trouver aussi de l'importance.
Peugeot a décidé d'investir dans la GRC, sur l'ensemble de la durée de vie, de la conquête à la fidélisation. Pourtant les budgets sont "dix fois moins importants que dans la publicité", calcule Pierre Garnier.
Fiat : rationalisation de groupe
Fiat opère une métamorphose similaire. La période hivernale aura été le théâtre de remaniements appliqués à l'ensemble du groupe, en vue de suivre cette tendance forte au "one-to-one" et de rationaliser les efforts entre les marques, Fiat, Alfa Romeo et Lancia. Comme nous l'avions sous-entendu lors de notre rencontre avec François Schapira, président d'Actel (cf. JA 1096), le partenariat entre les deux entités a été étendu à l'ensemble des marques et ce, en exclusivité nationale. Officiellement, le périmètre d'intervention d'Actel n'a pas encore été déterminé, "mais le choix du prestataire est arrêté", assure Julien Picot, responsable des méthodes commerciales. Actel aura donc la charge de suivre les dossiers des prospects Internet, d'assurer leur rappel dans les délais par les concessionnaires et d'enquêter sur leur satisfaction, comme elle le faisait pour Fiat.
En 2010, un nouvel outil CRM verra le jour chez l'Italien. Baptisé CMS (pour Customer Management System), il sera transversal aux trois marques. Il sera assisté par un développement Internet conséquent, notamment un site commercial, proche du modèle Peugeot ou Renault. Il est aussi question de perfectionner les process. "Nous devons raccourcir le temps de réaction, a décidé Julien Picot. A terme, les concessionnaires devront relancer un prospect en moins de 24 heures", contre 48 heures en 2009 et 5 jours en 2008. Pas à pas, Fiat se rapproche de son concept d'excellence, qui serait de recontacter dans un délai de 12 heures. "De telles exigences nous sont encore impossibles, prévient le responsable de Fiat. Nous devons laisser le temps à nos réseaux de s'adapter et de structurer en conséquence." Le dernier pas est toujours le plus dur, n'est-ce pas ?
"Tout n'est pas totalement réglé"
Peugeot, Toyota, Fiat, mais nous aurions pu évoquer Opel, Renault, Honda… Tous se démènent pour apporter des solutions à leurs réseaux respectifs. Si bien que dans certains milieux on s'inquiète d'une déresponsabilisation du concessionnaire. Il existe un outil constructeur pour chaque chose, pour chaque étape de la vie du client. "Certains de mes collègues jugent que la gestion de la relation client n'est pas de leur ressort, mais de celle de la direction", s'offusque un distributeur, impliqué pleinement dans cette mission. En même temps, il faut comprendre que les patrons d'affaires sont fortement incités à travailler de la sorte, par de substantielles rémunérations, spécialement en ce qui a trait au marketing.
En GRC, aborder les rapports entre les concessionnaires et leur marque, c'est se heurter à un sujet sensible. "Tout n'est pas totalement réglé dans le domaine", nous confie-t-on dans des concessions. Il reste un problème de propriété. Celle des bases de données. Lorsqu'une fiche client est renseignée dans un outil informatique relié au siège social, à qui appartiennent les informations ? En théorie, il y a un échange bilatéral. En théorie. Car la réalité nous est décrite tout autrement et il semblerait que les concessionnaires ne profitent pas pleinement du fruit de leur travail. "Les informations ne redescendent pas en totalité", déplore un distributeur qui, en conflit avec sa marque sur le sujet, préfère garder l'anonymat. Ce n'est pas tant la remontée de données qui inquiète, ni leur utilisation, mais le manque de transparence. Ce phénomène, très prononcé sur les bases de clients VN, tend à s'étendre à celles du VO et du SAV, chose à laquelle s'opposent fermement les distributeurs, en l'état. Voilà bien la prochaine grande bataille de la gestion relation client : la relation réseau-constructeur.
FOCUSLe marketing tient salon Du 30 mars au 1er avril prochain se tiendra le Salon du marketing sur point de vente. Un rendez-vous organisé dans le pavillon 4 de la Porte de Versailles, à Paris. A mi-janvier, l'ensemble des stands a été réservé (17 % d'exposants étrangers) et les demandes affluent encore. Cette année, quatre grands pôles ont été déterminés, dédiés respectivement à la PLV, à l'agencement, aux matériaux et au média numérique. Au programme, il y aura cinq conférences plénières et 2 conférences POPAI France (institut de la communication). Les thèmes abordés seront l'évolution des points de vente, l'éco-responsabilité, |
Photo : Alexandre-Reza Radji, directeur-fondateur de The CRM Mobil Corp
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