Gilles Michel, directeur général du FSI
Journal de l'Automobile. Le FSI est-il en ordre de marche et en quoi se distingue-t-il d'autres fonds souverains ?
Gilles Michel. Après les 6 milliards d'e que l'Etat et la Caisse des Dépôts avaient apportés au FSI en numéraire, nous disposons désormais de 14 milliards d'e supplémentaires par l'intermédiaire de participations. Nous avons donc actuellement à disposition 20 milliards, dont 6 de liquidités à investir. Nous pouvons donc agir au service des entreprises, dans un cadre bien défini, et nous avons d'ailleurs déjà commencé à le faire. Nous prévoyons d'investir, en moyenne, entre 2 et 3 milliards d'e par an. Par ailleurs, pour répondre au second volet de votre question, nous nous distinguons des autres fonds souverains, notamment les fonds chinois et des Emirats, car nous mobilisons de l'argent public pour dynamiser ou pérenniser des entreprises privées. Notre horizon temps n'est donc pas le court terme, mais le long terme. C'est une différence fondamentale.
JA. Toutefois, les codes sont un peu brouillés avec de l'argent public mais une attente de rendement de 10 %, n'est-ce pas ?
GM. Je pense au contraire que les choses sont claires : nous sommes un investisseur responsable qui place des fonds propres et intègre le capital des entreprises à titre minoritaire. Nous n'investissons que si nous croyons au projet d'entreprise et au potentiel de la société. Et en tant qu'investisseur, nous attendons effectivement un rendement, de l'ordre de 10 %, ce qui nous permettra de réinvestir par la suite.
Les grandes dates
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JA. Dans une économie libérale et avec un gouvernement libéral, cela ne sonne-t-il pas un peu nanny-state tout de même ?
GM. A partir du moment où les banques ont failli, il faut bien réagir et le retour du politique dans le marché n'est pas un souci en soi. Même les anglo-saxons ont réagi de façon très pragmatique... Nous, nous réagissons de façon plus fine et le FSI présente, je le rappelle, l'atout d'être un investisseur qui s'inscrit dans la durée.
JA. Revenons un instant aux autres fonds souverains soi-disant différents : vous acceptez cependant une alliance avec Mudabala, fonds d'Abu Dhabi...
GM. Il n'y a pas de dogme à avoir. Mudabala est un fonds fiable qui a la particularité de voir loin et de souhaiter co-investir en France. Je ne vois pas où est le problème dans la mesure où nous faisons effet de levier pour augmenter nos ressources. Donc, d'autres accords du même type sont à venir, oui.
JA. Pourquoi avoir investi dans Heuliez et quelle a été l'ampleur des pressions politiques dans ce dossier ?
GM. Mettons-nous à l'aise : des pressions politiques, il y en a et c'est à la fois inévitable et normal. Mais ce ne sont pas les pressions politiques qui dictent nos choix et je répète que nous n'investissons que si nous croyons au projet et au potentiel de l'entreprise. Le cas Heuliez en est d'ailleurs une belle illustration. Nous n'avons pas souhaité investir dans le grand Heuliez. En revanche, même si la situation est difficile, nous avons identifié une piste prometteuse, à savoir l'activité véhicule électrique intra-urbain de type utilitaires. C'est seulement sur ce périmètre que nous investissons. Bien entendu, l'affaire n'est pas dans le sac, mais c'est un pari sur l'avenir. Etre un investisseur responsable ne saurait exclure le risque entrepreneurial.
JA. Concernant Valeo, confirmez-vous votre ferme intention de siéger au Conseil d'Administration ?
GM. Ce n'est pas encore fait, mais nous serons bel et bien présents au Conseil d'Administration. Et c'est bien que les problèmes de gouvernance aient été résolus, car nous pourrons travailler sereinement.
JA : La présence de Pardus ne peut-elle pas devenir très vite une source de conflit ?
GM. Pardus est un actionnaire tout à fait légitime et il n'y a aucun problème. Si Pardus continue à vouloir développer le groupe et à aider à créer de la valeur, nous serons à leur côté.
JA. Au-delà de ces cas très médiatisés, quel premier bilan dressez-vous de votre action ?
GM. Pour l'heure, nous avons réalisé 9 investissements représentant un total de 600 millions d'e, ce qui est déjà significatif. Nous avons énormément de travail car on nous sollicite beaucoup. D'ailleurs, 50 dossiers ont d'ores et déjà été refusés et 50 autres demandes sont en instruction active. Si on doit discerner une dominante, disons que les demandes émanent majoritairement d'entreprises de taille moyenne souvent non cotées. L'exemple de Daher est représentatif, l'entreprise ouvrant son capital pour la première fois depuis sa fondation il y a 143 ans.
JA. Le bilan est-il grosso modo similaire pour le FMEA ?
GM. Le FMEA mène une action de même nature que le FSI et selon des modalités très comparables. Actuellement, il s'agit plus de projets de consolidation que de plans de croissance pour les équipementiers concernés. Bien que distincts, les cas de Trèves, Michel Thierry ou FSD en témoignent. Je tiens à souligner le remarquable travail de Hervé Guyot qui nous permet de surcroît de dresser un état des lieux très précis des filières équipementiers en France. Sachant que l'un de nos principaux objectifs est bien entendu de privilégier les entreprises françaises.
JA. Lors du récent congrès du CNPA, "Planète Auto", René Ricol, médiateur du crédit, et Jean-Paul Charié, député UMP, ont dénoncé avec virulence le fait que les constructeurs automobiles et les grands équipementiers ne jouaient pas le jeu de la solidarité intelligente alors qu'ils avaient reçu des aides d'Etat et que cela ne pouvait pas durer. Depuis votre imprenable tour de contrôle, confirmez-vous la réalité de cet écueil ?
GM. Je ne manie pas la vindicte populaire... Cependant, chacun sait que les relations entre constructeurs et fournisseurs ont toujours été âpres, voire tendues. C'est un monde de brutes ! Néanmoins, la crise actuelle incite tout le monde à revoir ses arbitrages entre agressivité sur les coûts et fiabilité des échanges.
JA. On entend beaucoup de prévisions sur la date éventuelle de la sortie de crise : quelle hypothèse retenez-vous à l'heure actuelle ?
GM. Je n'ai pas de boule de cristal et je n'en connais pas de fiable. Toujours est-il qu'aujourd'hui, le niveau d'activité réel ne reprend pas. Il demeure très bas, ce qui génère des tensions et augmente de toutes parts les risques de faillite. Avec le second semestre 2009, on peut affirmer que nous entrons dans le dur. Or on ne peut pas retenir sa respiration indéfiniment... Une révolution structurelle reste à accomplir au-delà même du contexte défavorable.
JA. D'après Sergio Marchionne, la crise entraînera une forte concentration et seuls 5 ou 6 constructeurs demeureront à l'avenir. Partagez-vous cette analyse et le cas échéant, pensez-vous que les constructeurs français peuvent faire partie de la botte ?
GM. Je ne partage pas forcément cette analyse, même s'il y aura des phénomènes de concentration. Mais ce n'est pas très important car chacun sait que Sergio Marchionne est un excellent joueur de poker... Là, il a très bien joué... Par ailleurs, vu les atouts, Renault comme PSA peuvent très bien ne pas faire que subir.
JA. Pour conclure sur une note plus personnelle, ne regrettez-vous pas, rétrospectivement, d'avoir quitté PSA alors que vous seriez sans doute à la tête du groupe aujourd'hui ?
GM. Je n'ai aucun regret. La mission que j'ai acceptée à la tête du FSI est passionnante. D'ailleurs, quand on m'a proposé le poste, il fallait répondre très vite et je n'ai vraiment pas tardé à le faire.
Propos recueillis par Alexandre Guillet dans le cadre de l'émission "Face à la Presse", Auto K7, en compagnie de Pierre Mercier (Auto K7), Nathalie Brafman (Le Monde), Cyrille Pluyette (Le Figaro), Laurence Frost (Bloomberg News) et Bertrand Gay (Autostrat International).
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