Georges Douin : “Si on ne me l’avait pas imposé, je l’aurais choisi”
...décisions et sa capacité d'écoute ont étonné ses collaborateurs pour qui la gamme Renault ne serait pas ce qu'elle est aujourd'hui sans lui.
Rémi Deconinck connaît bien Georges Douin. Et pour cause : celui qui est aujourd'hui directeur du Plan Produit a travaillé directement sous la direction de Georges Douin de 1995 à 1997 avant que ce dernier ne prenne en charge la direction des opérations internationales en plus de la direction du Plan Produit. Rémi Deconinck est donc un parfait témoin de l'époque où Georges Douin avalisait ou non le lancement d'un nouveau modèle. Parallèlement, il a connu de l'intérieur son évolution professionnelle quand il a dû prendre en charge les opérations internationales, délaissant quelque peu son premier amour, le produit. "Georges Douin est un technicien, il est proche du produit. Alors, évidemment, prendre la tête de l'international au sein du groupe, c'est une voie différente. Lui, le polytechnicien, a dû passer à un aspect beaucoup plus business, à une dimension plus stratégique. Ce n'est pas pour autant qu'il n'a pas réussi. Bien au contraire", raconte Rémi Deconinck. Ce dernier ne tarit pas d'éloges sur l'homme qui fut pendant cinq ans le directeur du Plan Produit. "Georges Douin était avant tout un motoriste brillant. Il a toujours su comprendre un véhicule, l'analyser, le décortiquer. En outre, il savait être proche des ingénieurs et tirer le meilleur d'eux. Pour toute une équipe, imaginez le gain de temps, et la valeur pour des ingénieurs d'avoir un patron qui non seulement les écoute, mais surtout les comprend !", s'exclame Rémi Deconinck qui ne peut s'empêcher d'ajouter une anecdote à ses affirmations : "Nous sommes allés en Chine, il y a sept ans de cela, pour rendre visite à un partenaire. Georges Douin savait exactement quels ingénieurs il allait y retrouver, avec qui il allait travailler... Il a une mémoire, de la sympathie pour ses collaborateurs assez exceptionnelle."
Il déteste les discussions stériles qui font perdre du temps. Il faut aller directement au but
Inutile de demander des précisions sur une journée de travail : "Elle commençait très tôt le matin pour se finir très tard le soir." C'est sans aucun doute l'aspect humain de Georges Douin vis-à-vis de ses collaborateurs qui a le plus marqué Rémi Deconinck. Loin d'être autoritaire, il laisse une liberté totale à son équipe et s'appuie sur les réflexions faites lors des réunions, écoute et tranche. "Je n'ai jamais servi de tampon entre lui et l'équipe. S'il avait besoin d'une information, il allait directement la chercher ou la demander sans perdre de temps. La confiance que nous placions en lui, il nous la rendait." En revanche, pas question de se lancer lors des réunions dans des discussions stériles, dans des pertes de temps qui n'aboutissent à rien. "Il se levait, prenait un feutre, se dirigeait vers le tableau et se lançait dans une application sans faire traîner les choses pour aller directement au but", se souvient Rémi Deconinck. C'est avant tout lors de la prise de décision pour le développement d'un produit que Georges Douin devait s'engager, quitte à prendre des risques qui auraient pu s'avérer déterminants pour la suite d'un produit et pour les chances de Renault sur tel ou tel marché. Ainsi, Rémi Deconinck se souvient d'un voyage au Brésil, à l'usine Ayrton Senna de Curitiba plus exactement. Le site devait y produire essentiellement la Mégane berline 4 portes. Tout le monde était persuadé qu'il n'y avait pas d'autres modèles possibles que celui-ci pour répondre à la demande du marché brésilien. Georges Douin n'était pas convaincu. Sa connaissance des marchés et sa force de travail l'ont amené à décider son équipe que c'était pourtant le Scénic qu'attendait la clientèle brésilienne. La suite lui a donné raison. Mégane et Scénic. L'ensemble de la famille Mégane lancée en 1996 reste sans aucun doute le point d'orgue de la période Plan Produit du temps où Georges Douin y était aux commandes. "Le centre de gravité de Renault est la Mégane", nous confiait-il lui-même dans un entretien qu'il nous a accordé en 1999. D'un seul véhicule, la Mégane, Renault en a développé plusieurs : la Mégane break, la Mégane coupé cabriolet, la Mégane 4 portes, le Scénic, le Scénic 7 places, le Scénic 4x4... et a constitué ainsi une véritable gamme au sein de sa propre gamme. Une considérable réussite "matérialisée par les volumes et la rentabilité", ajoute Rémi Deconinck.
FOCUSL'aventure Avantime Selon Rémy Deconinck, Georges Douin n'a eu que très peu de regrets lorsqu'il dirigeait le Plan Produit. Cependant, l'échec de l'Avantime l'aurait affecté. "Longtemps, il a été défenseur du projet et du produit en tant que tel car il y croyait. Georges Douin aimait beaucoup la voiture, mais également Matra. Il s'était investi pour leurs survies et leurs fins l'ont peiné." |
De tous les produits développés sous sa responsabilité, la Clio Tricorps, la Clio RS et la Clio V6 restent ses meilleurs souvenirs
Le "success story" de la famille Mégane n'est plus à démontrer. La Mégane II et ses dérivés l'ont encore prouvé depuis leurs lancements en 2002. Cependant, de l'avis même de Rémi Deconinck, ce sont d'autres véhicules dont Georges Douin serait le plus fier. A commencer par la Clio Tricorps. Celle-ci, méconnue sur le marché français, a pourtant connu la réussite sur d'autres marchés européens et mondiaux. "Alors qu'il devenait patron des opérations internationales, Georges Douin est allé visiter une de nos usines en Turquie, dirigée à l'époque par Jacques Chauvet, aujourd'hui directeur du commerce France. L'usine produisait toujours la R9 qui arrivait cependant en fin de cycle. Il fallait trouver un nouveau produit qui lui succède et qui corresponde une fois encore à la demande de la clientèle turque. Après des études approfondies du marché, Georges Douin a estimé que la Clio Tricorps était le véhicule qui correspondait le mieux aux besoins. Cela s'est avéré un véritable succès commercial, mais pas seulement en Turquie, également sur d'autres marchés européens (les Peco, l'Espagne...), au Maghreb, au Mercosur et même au Mexique où la voiture est commercialisée sous la marque Nissan", rapporte Rémi Deconinck qui poursuit : "Il en était très fier." Son amour pour les voitures de sport lui a également permis de décider du développement de certains modèles qui ne s'imposaient pas forcément, du moins dans la stratégie adoptée. "Son passage au Berex et sa passion pour les Berlinette et les Alpine ne l'ont jamais quitté. Nous lui devons les sorties des Clio RS et Clio V6, versions sportives de la citadine. Il a énormément donné de sa personne pour y arriver."
On lui doit la gamme Renault actuelle, mais également la future
Par discrétion et par respect pour son dirigeant, Rémi Deconinck ne dévoilera pas les projets qui ont achoppé. Il y en a eu quelques-uns, "mais très peu, concède-t-il, même si un projet en particulier lui tenait à cœur". Toutefois, Rémi Deconinck refuse de s'arrêter à la période 1992-1997 pour évoquer le plan produit sous Georges Douin. Il n'omet pas d'ajouter que, malgré son poste aux opérations internationales, l'homme a joué de son influence sur le plan produit Renault. "On lui doit la gamme Renault actuelle, mais également les produits à venir." Rémi Deconinck n'est pas étonné par la décision de Georges Douin de quitter la maison Renault et ose évoquer l'après : "Sa décision est mûrement réfléchie. Il a toujours su où il allait en vivant sa passion et il continuera à la vivre. Il ne sera jamais très loin de l'automobile. Aucune angoisse du vide ne le guette." Inutile de demander si sa personnalité lui manquera. "J'ai rarement connu quelqu'un d'une telle honnêteté intellectuelle. Si on ne me l'avait pas imposé, je l'aurais choisi", conclut-il en guise de bel hommage.
Tanguy Merrien
ZOOMSes meilleurs souvenirs Pour avoir travaillé avec Georges Douin pendant plusieurs années, Rémy Deconinck a bien voulu évoquer certains grands moments partagés. "Les quelques années passées à ses côtés ne m'ont valu que de beaux souvenirs, avec une personne pour qui j'ai une grande admiration. Sa pudeur et sa fraîcheur intellectuelle m'ont toujours marqué. Je me souviens notamment d'un voyage au Mexique, à l'époque où il venait de prendre en charge les opérations internationales. Il s'est investi dans la culture hispanique et mexicaine de façon étonnante. J'ai le souvenir d'essais en Spider avec lui, mais également de quelques échanges quand il se livrait en privé." |
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