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Constructeurs

Georges Douin : “Deux ou trois petites choses que je sais de l’automobile”

Publié le 6 mai 2005

Par Alexandre Guillet
14 min de lecture
A l'occasion d'un déjeuner organisé avec les membres du jury et de la cérémonie de remise de son prix, l'Homme de l'Année 2004, Georges Douin s'est prêté de bonne grâce au jeu des questions-réponses. Offrant un camaïeu d'affabilité, d'humour, de modestie et de profondeur sur de multiples thèmes....

...Morceaux choisis à picorer et à méditer.



> 37 ans chez Renault
Pourquoi Renault plus qu'un autre constructeur ? Disons tout simplement que chez les Douin, on était plutôt Renault. Comme d'autres familles sont plutôt Citroën ou Peugeot. Nous, c'était Renault. Et je ne me suis pas posé mille questions. Je sortais de l'école et, à cette époque, il y avait des postes à pourvoir et des conditions attractives. Donc, c'était naturel.


> La tentation de travailler chez un autre constructeur
Je n'ai pas le souvenir d'avoir été démarché, maintenant je peux le dire ! J'aurais effectivement pu être tenté par un autre constructeur, mais cela aurait été difficile en France. De nombreux constructeurs sont intéressants, je pense notamment à des américains ou à des japonais.


> Les troubles de mai 68 à Billancourt
J'étais arrivé l'année précédente et je m'en souviens bien entendu très bien. Tout était bloqué… Il était impossible de faire quoi que ce soit… Bref, je ne suis jamais allé autant à Roland-Garros que cette année-là ! En plus, c'était pratique, à l'époque, il n'y avait pas besoin d'acheter ses places à l'avance !


> Une femme Homme de l'Année
Il est évident que ce serait sympathique. Mais pas seulement sympathique, significatif aussi. D'ailleurs, ça m'aurait fait plaisir d'être battu par Odile Desforges (NDLR : directeur des achats de Renault et P-dg de RNPO) lors de cette élection.



> La fin d'Alpine au profit de Renault Sport
Il est surprenant de constater que la Berlinette conserve une telle aura alors que nous n'en avons vendu que 7 500 unités ! Mais il ne faut pas se leurrer : la notoriété d'Alpine reste strictement franco-française. Par ailleurs, il s'agissait d'une marque datée qui n'avait pas véritablement d'avenir. Enfin, il y a un problème juridique lié à l'appellation Alpine qui ne nous appartient pas dans tous les pays. Je pense par exemple au Royaume-Uni. Bref, la décision d'opter pour Renault Sport était la bonne. Renault Sport a fait ses preuves. Au niveau des produits, avec une Clio Renault Sport très aboutie notamment. Au niveau commercial aussi, en attirant des clients plus jeunes et plus fortunés.





FOCUS

Les félicitations de Louis Schweitzer

Lors de la cérémonie de remise du prix de l'Homme de l'Année à Georges Douin, Louis Schweitzer a tenu à monter sur scène pour dire quelques mots à son proche et fidèle collaborateur. "Georges Douin nous dit qu'il a rejoint Renault parce que sa famille était plutôt Renault… Et bien alors, je tiens à remercier sa famille d'avoir été plutôt Renault ! Plus sérieusement, je remercie Georges pour tout ce qu'il a réalisé au sein du groupe. Il appartient au cercle des personnes exceptionnelles qui comptent dans l'histoire et la réussite d'un constructeur. Par ailleurs, petite confidence, je reconnais que Georges m'a parfois fait peur… Parce que comme vous avez pu le constater ce soir, il dit beaucoup de choses en très peu de mots… Notamment à la presse ! Alors que normalement, l'exercice consiste à dire très peu de choses en beaucoup de mots !"


> L'impact de la Formule 1
La F1 sert notre notoriété au premier degré. De façon très directe et très précieuse. Elle permet à Renault d'être connu là où il ne l'est pas. En Australie, en Malaisie… D'ailleurs, après le succès en Australie, j'ai téléphoné derechef à notre partenaire distributeur pour lui dire que je doublais ses objectifs de ventes ! Je plaisante ! Même si l'impact sur les ventes reste limité, la F1 a une utilité majeure en termes de visibilité mondiale et de notoriété.


> Les succès de Renault F1
Au premier chef, c'est le succès d'un système. Les hommes peuvent changer, mais le système mis en place continue de fonctionner. Et c'est ainsi depuis trente ans. Les victoires de ce début de saison s'expliquent principalement par la qualité de notre moteur. Nous sommes revenus à un moteur plus classique, en mettant de côté le V10 à angle très ouvert. Bien que j'aie fait partie de ceux qui hésitaient au moment du choix, je reconnais que Patrick Faure et Bernard Dudot ont pris la bonne décision. Tant mieux car ces succès nous comblent ! Enfin, la contre-performance de Bahreïn s'explique par le fait que nous avons sous-estimé l'importance du paramètre hydrométrique.


> La saga Espace
Je n'étais pas du tout dans le coup de la première Espace car je travaillais totalement au sein du département "Moteurs". En revanche, je me suis beaucoup impliqué sur le projet de l'Espace 3, en 1996. C'est le véhicule le plus abouti de la série avec un design développé chez Renault. Aujourd'hui, face à la réussite commerciale régulière de l'Espace, on a parfois tendance à oublier que les premiers mois, et même les deux premières années du modèle, ont été très difficiles… Il est vrai que l'Espace a pris une importance considérable chez Renault. C'est tout simplement notre moyen d'exister sur le segment du haut de gamme.


> La liquidation de Matra
C'est le principal regret de ma carrière, le fait que nous n'ayons pas pu sauver Matra. Même si tout n'a pas toujours été facile avec les gens de chez Matra… Ainsi, lorsque l'Espace a commencé à avoir de bons résultats, les relations sont devenues plus délicates. Les personnes de chez Matra prenaient un peu trop confiance et il y avait un côté "science infuse" chez eux… La situation s'est encore compliquée quand Matra a commencé à avoir des difficultés économiques et à lancer des projets qui venaient déborder sur nos plates-bandes. Et puis, bien entendu, tout s'est accéléré avec l'Avantime. Pourtant, c'était vraiment un beau concept. Je me souviens encore du moment où nous l'avons découvert sous la forme d'une petite maquette en bois. Mais l'Avantime a coûté 1,1 milliard de francs ! C'est cher quand on sait que nous partions sur la base du châssis de l'Espace… Une fois achevé, le véhicule était trop hétérogène et il s'est mal vendu. Dans la conduite de ce projet, Matra a commis des erreurs lourdes en sortant du cadre contractuel qui nous liait ou par rapport à la rentabilité de l'usine par exemple. Mais la disparition de Matra rend évidemment chagrin.


> Avantime ou la complexité du lancement de petite série
Au-delà de la problématique du coût des matériaux et notamment de l'arbitrage entre acier et plastique, il faut prendre en compte les coûts élevés de l'outillage. Un outillage nécessaire pour obtenir de belles finitions, à l'intérieur du véhicule par exemple, et pour aboutir à une bonne qualité perçue. La difficulté de lancer un modèle de petite série réside en grande partie dans ce paramètre économique. Au final, la somme des coûts se révèle souvent prohibitive.


> Les lacunes de Renault sur le haut de gamme
Hormis l'Espace que nous avons déjà évoquée, on ne peut que reconnaître que Renault n'a pas de poids significatif sur le haut de gamme. D'ailleurs, l'un de mes regrets est aussi de ne pas avoir fait de "vrai" haut de gamme. Nous nous sommes toujours limités à la traction avant, c'est-à-dire au V6. Or, sur le véritable haut de gamme, la propulsion règne sans partage. On le vérifie sur le marché américain. D'ailleurs, d'une manière générale, pour un constructeur, le haut de gamme ne peut être rentable que s'il est présent aux Etats-Unis. Et Renault n'est pas présent sur ce marché…


> Le rêve américain
Nous parlions à l'instant du haut de gamme et de la nécessité d'être présent aux USA pour rentabiliser ce segment. Renault sera sans doute un jour présent aux Etats-Unis et, par l'intermédiaire de l'Alliance, nous pouvons envisager de réussir.


> La chute de MG Rover
Que voulez-vous que je vous dise… C'était acquis dès la reprise par Phoenix Venture. Les dirigeants n'étaient pas de vrais professionnels de l'automobile. C'est tout de même dingue de voir comment les choses peuvent parfois se passer…


> L'avenir de Mitsubishi
Disons que lorsqu'on est aussi impliqué que Mitsubishi l'est aux Etats-Unis et qu'on y est en très grande difficulté, il semble bien délicat de pouvoir s'en sortir. Mais attendons encore de voir comment les choses vont évoluer.


> Le géant Toyota
Force est de reconnaître que, sur les paramètres et les enjeux fondamentaux de l'industrie automobile, il est très difficile de prendre Toyota en défaut. Sur le ton de la plaisanterie, je dirais que nous pouvons peut-être davantage miser sur des problèmes internes, un dérèglement de la belle machine, que sur des éléments externes pour contrarier la marche en avant de Toyota…


> Les prémices de l'Alliance
Les premiers contacts… maintenant que je suis élu Homme de l'Année, je peux vous le dire : je n'y étais pas ! Plus sérieusement, il convient de préciser que le développement en Asie s'inscrivait dans le cadre plus global d'un plan d'internationalisation de Renault. Dont la première matérialisation fut l'implantation industrielle de la marque au Brésil. Par rapport à l'est du monde, j'avais présenté dès le second semestre de 1997, à l'occasion d'un séminaire du comité exécutif de Renault qui se tenait à Barbizon, un plan de déploiement dans cette zone. Avec, dans un coin de l'esprit, l'expérience capitalisée de l'échec frustrant avec Volvo. D'une part, nous avons ciblé l'Europe de l'Est, notamment la Pologne et la Tchéquie, ce qui a enclenché le mécanisme de l'acquisition de Dacia. Nous avons dès cet instant pris en compte l'importance de la Turquie, sujet sur lequel nous travaillions en fait depuis 1995. D'autre part, nous voulions nous implanter en Asie, mais nous savions que nous ne pouvions pas y aller tout seuls. Il fallait trouver un partenaire.


> La recherche d'un partenaire asiatique et la solution Nissan
Au tout début, Mitsubishi et Nissan nous paraissaient hors de portée. Nous pensions à des constructeurs plus petits, japonais ou coréens. Nous étudiions notamment le cas Suzuki avec intérêt. Parfois appelé "le paysan de l'automobile asiatique", Suzuki réussissait quand même pas mal ! En fait, les coréens ont été écartés très tôt car il n'y avait guère de possibilité de travailler en confiance et de façon transparente… Ce qui n'enlève rien au fait que certaines marques coréennes sont très intéressantes. Mais, le Japon a connu une crise économique très sévère, et Mitsubishi et Nissan sont devenus des hypothèses envisageables. Il a bien fallu arbitrer. La période de mai à octobre 1998 a été décisive. Au-delà des études sur le montage juridique et financier de l'opération, je crois que l'excellente entente entre les présidents de Renault et de Nissan a beaucoup pesé dans la décision. C'est d'ailleurs une affaire de président : l'invention de l'Alliance, c'est Louis Schweitzer ! Et l'épisode DaimlerChrysler, juste auparavant, nous avait tous mis la puce à l'oreille. Bref, l'Alliance a été conclue et elle connaît le succès que l'on sait. Un succès qui ne se dément pas aujourd'hui alors que 25 % des cadres de Nissan sont arrivés après 1999, qu'ils sont moins reconnaissants vis-à-vis de Renault car ils n'ont pas connu les heures sombres de Nissan.


> La clef de la réussite de l'Alliance
Sans entrer dans les nombreux détails de l'Alliance, cette réussite s'explique surtout parce que nous savions que nous devions construire des choses ensemble, qu'il fallait impérativement que l'Alliance soit dynamique. En somme, qu'il fallait éviter de vivre comme un vieux couple, japonais en l'occurrence… Aujourd'hui, notre Alliance est même prise comme modèle, par des entreprises aussi significatives qu'Air France par exemple.


> L'échec de l'accord Renault-Volvo
Cet échec a une raison majeure : à un moment donné, les dirigeants de Volvo se sont rebellés car ils ne supportaient pas l'idée que Renault soit dépendant de l'Etat. Cela leur posait un problème vis-à-vis de leurs actionnaires. Cependant, je tiens à rappeler qu'au niveau du PL, les 20 % que nous détenons de Volvo nous rapportent actuellement beaucoup d'argent.


> La privatisation de Renault
Il faut demander cela à Louis Schweitzer ! C'est une affaire de président. C'est le grand maître qui a piloté l'opération.


> La Constitution européenne
En tant qu'industriel, nous votons oui à cette Constitution et, en fait, nous avons déjà voté oui. D'ailleurs, notre Europe comprend aussi d'ores et déjà la Turquie.


> La mondialisation
C'est un phénomène très intéressant. Nous l'avons vue prendre sa forme contemporaine et se développer. Et nous avons su nous adapter à ces nouvelles exigences, cette nouvelle vision du monde et du travail. Le plan d'internationalisation de Renault que nous évoquions en est l'illustration la plus explicite.


> Renault faceau défi chinois
A l'époque du plan d'internationalisation de Renault, nous pensions déjà à la Chine. Mais cela ne s'est pas fait pour de multiples raisons… Nous y repensons forcément aujourd'hui, mais comme nous arrivons quasiment les derniers, il faut trouver une solution particulière. D'autant qu'en Chine, c'est un peu le contraire de l'Amérique du Sud : il faut vendre des voitures avant de construire une usine. Dans un premier temps, l'arrivée de Renault en Chine passera donc par Nissan et son partenaire chinois. Nous avons opéré de façon similaire au Mexique où le ticket d'entrée est là aussi élevé. Nous passons donc par le biais de Nissan. Cette solution fonctionne pour trois ou quatre ans, mais reste inadaptée à long terme. Pour en revenir à la Chine, le sujet est complexe car l'arrivée sur ce marché n'est pas sans contraintes… Il y a un cadre et des impératifs à respecter. En outre, l'opération est coûteuse. Pour Nissan, cela a représenté 900 millions de dollars. Toutefois, à moyen terme, il est clair que nous produirons sous la marque Renault en Chine. N'oublions pas que nous avons d'ores et déjà créé la Drac. Mais il faut aussi que nous développions un plan produits plus complet, visible et sexy que la seule Logan. D'autant plus que les Chinois pensent que la Logan n'est pas assez belle pour eux, qu'elle manque de chromes, etc.


> Logan, voiture mondiale
 A mes yeux, la voiture mondiale, c'est plutôt la Toyota Corolla avec ses différentes variantes. Chez Renault, ce serait donc plutôt Scénic.


> Est-ce la venue de Carlos Ghosn qui vous a fait partir ou est-ce sur sa demande ?
C'est sa venue. Si Louis Schweitzer était resté, je restais aussi. Mais ce sont des choses naturelles. Carlos Ghosn est plus jeune que moi ; il a son équipe, ses hommes. C'est vraiment naturel. De plus, Renault, c'est un système. Un système qui ne dépend pas de tel ou tel homme. Renault ne sera donc pas fragilisé par la vague de départs que nous vivons en ce moment.


> Quels changements peut-on attendre chez Renault avec Carlos Ghosn à la baguette ?
Il n'y aura pas de révolution stratégique sous la direction de Carlos Ghosn. D'ailleurs, la transition entre Louis Schweitzer et Carlos Ghosn a été préparée avec brio. En revanche, il y aura assurément des changements au niveau des pratiques managériales. Ne serait-ce que par le biais de ses livres, nous connaissons tous le style et les méthodes de Carlos. On peut toujours critiquer, mais force est de reconnaître que ça marche.


> Vers une politique plus audacieuse sur les nouvelles énergies avec Carlos Ghosn ?
Je ne pense pas. En revanche, Carlos Ghosn sera sans doute moins elliptique que Louis Schweitzer sur la question. Il parlera très directement des études réalisées et des problèmes de rationalité économique.


> Des regrets ?
D'une manière générale, chez Renault, nous avons toujours été prudents. Nous n'avons jamais voulu faire une percée technologique coûteuse. Comme Toyota avec les hybrides par exemple. Même si je n'oublie pas que nous avons investi 130 millions d'euros sur le véhicule électrique. C'est un peu dommage… Et un Scénic hybride, ça oui, j'aimerais bien !


> L'avenir du Diesel
Le Diesel a beaucoup progressé sur les marchés européens ces dernières décennies et j'estime qu'il a encore dix années dorées devant lui. Chez Renault, nous n'avons pas été des pionniers dans ce domaine, mais nous nous sommes bien rattrapés et notre offre est aujourd'hui performante. A l'avenir, je pense que le Diesel buttera sur quelques problèmes majeurs. Notamment vers 2015-2020 si les normes environnementales programmées restent en l'état.


Alexandre Guillet

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