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Constructeurs

Fujio Cho : Convivialité et sérénité

Publié le 4 juin 2004

Par Alexandre Guillet
11 min de lecture
Convivial et direct, Fujio Cho, l'Homme de l'Année 2003, a comblé toutes nos espérances lors de la remise de son prix dans les Salons du Cercle Interallié et lors du traditionnel repas avec les journalistes membres du jury. Il a abordé sans détour tous les sujets, du Kaizen à la Formule 1,...
Convivial et direct, Fujio Cho, l'Homme de l'Année 2003, a comblé toutes nos espérances lors de la remise de son prix dans les Salons du Cercle Interallié et lors du traditionnel repas avec les journalistes membres du jury. Il a abordé sans détour tous les sujets, du Kaizen à la Formule 1,...

...en passant par la stratégie de ses concurrents...


… Son titre d'Homme de l'Année 2003

Je crois savoir que c'est la première fois depuis la création de cette récompense par le Journal de l'Automobile, il y a 23 ans, qu'un Japonais est désigné. Je suis surpris et heureux d'être ce Japonais. Cela signifie que Toyota commence à s'intégrer dans la culture française et j'en remercie tous nos collaborateurs français pour leurs efforts et leur réussite.

... La mise en place du Toyota Production System (TPS)

Le principe du Kaizen est l'amélioration continue, la recherche permanente de l'élimination des inutilités. Cela nécessite une communication sociale forte, une implication à tous les échelons, afin de répondre le plus rapidement possible aux questions : pourquoi tel défaut et comment le résoudre ?

… L'adaptation du TPS aux différents pays d'implantation

Dans toutes nos usines, il existe une base commune, des principes qui sont au cœur du TPS : éliminer l'inutilité dans les procédés de fabrication ; résoudre rapidement les problèmes et éviter leur reproduction ; relier en just-in-time chacun des ateliers ; calculer le temps nécessaire pour fabriquer un véhicule. Ensuite, la mise en place de ces principes varie en fonction des mentalités dans chacun des pays.

… La productivité selon les pays

En termes de productivité, les résultats varient en fonction des pays. Nous ne pouvons pas espérer obtenir le même niveau partout, mais nous favorisons la compétition entre nos diverses usines.

… Les différences de mentalité d'un pays à un autre

En France, à Valenciennes, les principes du TPS sont bien appliqués. Je ne connais pas tous les détails, mais les résultats sont bons, il n'y a pas de gros problèmes.
Je peux en revanche vous donner un exemple un peu extrême de ce qui différencie un Japonais d'un Américain. Un opérateur japonais qui apprend un nouveau geste - visser un boulon d'une certaine façon, par exemple - va ramener le boulon chez lui pour s'imprégner du geste. Mais il ne va faire ni plus, ni moins que ce qu'il faut. Si l'on montre à un Américain la rapidité avec laquelle cet opérateur japonais visse ce boulon, il va être très impressionné, mais il trouvera inconcevable la façon dont il a appris à faire ce geste. Pour les Occidentaux, la vie familiale est prépondérante, et nous respectons ce choix. Au Japon, notre culture fait que le travail peut parfois passer avant.

… La gymnastique avant le travail

Cela n'a rien à voir avec le TPS, c'est une pratique courante dans les entreprises japonaises, qui est peut-être reprise à Valenciennes, mais qui ne l'est pas dans nos usines américaines.

… Le gigantisme et le risque de pesanteur

Nous avons conscience que plus la taille et les échelons sont nombreux, plus ce risque de pesanteur s'accroît. Pour l'éviter, il faut que la notion de valeur soit partagée par tous nos collaborateurs au fur et à mesure que nous grossissons. C'est le principe du Toyota Way : produire là où l'on vend, partager la valeur, assurer le transfert de compétence et, le plus important, savoir capter les problèmes sur le terrain le plus vite et le plus tôt possible. Nous n'avons pas encore la structure idéale : si, dans les ateliers, les opérateurs peuvent à tout moment arrêter la chaîne en tirant sur un cordon, et que l'on sait exactement où se trouve le problème, ce n'est pas aussi facile dans les bureaux. Nous avons demandé à nos collaborateurs de réfléchir à la question...

… Le monomarquisme Toyota

Pour éviter cela, nous avons créé Lexus aux Etats-Unis, il y a quinze ans. C'est notre deuxième marque. Plus récemment, nous avons créé la marque Scion, qui s'adresse à une clientèle plus jeune aux Etats-Unis et au Japon.

… Les acquisitions dans l'industrie automobile

Pour notre part, nous n'avons pas l'intention de réaliser d'opération de croissance externe. En revanche, nous sommes pour des collaborations technologiques avec d'autres constructeurs dans des domaines tels que l'environnement ou la sécurité. Il m'est difficile de commenter les fusions-acquisitions qui ont eu lieu entre constructeurs. Ce que l'on peut dire, c'est que chaque entreprise a sa culture et qu'un mariage nécessite des efforts énormes. Je salue donc
la performance de ceux qui ont réussi, mais quel effort pour y
parvenir !

… Les partenariats de Toyota

En principe, nous nous implantons seuls sur de nouveaux marchés. Nous avons toutefois signé trois partenariats, avec GM aux Etats-Unis, PSA Peugeot-Citroën en République tchèque et First Auto Works (FAW) en Chine. Si le besoin s'en faisait sentir et si un constructeur avait le même besoin que nous, je n'exclus pas un quatrième partenariat.

… La raison du partenariat avec PSA Peugeot-Citroën

La principale raison est la réduction du coût de fabrication. Si nous avions dû nous lancer seuls dans cette aventure, nous n'aurions pu tabler que sur un volume de production de 100 000 unités/an. En nous associant au groupe de Jean-Martin Folz, nous produisons 300 000 véhicules/an en faisant d'importantes économies d'échelle. La seconde raison, c'est que nous avons beaucoup à apprendre d'un groupe qui réalise de très bonnes performances sur un marché européen difficile.

… L'exportation de midgets en Europe

Ces petits véhicules fabriqués par notre filiale Daihatsu au Japon sont en effet introduits sur certains marchés. En revanche, en Europe, les exigences en matière de vitesse, de performances, ne seraient pas satisfaites par de tels véhicules. D'où la création de notre usine de Kölin qui produira de petits véhicules pour le marché européen.

… Les 15 % du marché mondial

Nous avons dit que nous souhaitions atteindre les 15 % du marché mondial dans les années 2010, c'est-à-dire entre 2010 et 2019. Ce n'est pas de la présomption, mais une façon de tourner nos 200 000 salariés vers un objectif commun. Si nous continuons à croître au rythme actuel, nous pouvons y arriver en 2010 même si nous ne pouvons pas présumer du succès de nos modèles futurs. Nous visons les 15 % du marché et nous allons travailler pour y arriver petit à petit.

… Les non-Japonais au sein de l'état-major de Toyota

Nous n'avons pas encore de non-Japonais au sein du conseil d'administration de Toyota Motor Corporation. En revanche, cinq directeurs non japonais sont à des postes exécutifs de TMC, dont deux seront nommés début juin (ndlr : John Harry Conomos, président de Toyota Australia, et Panagiotis Athanasopoulos, directeur général de Toyota Motor Marketing Europe). Les trois autres ont été nommés en juin 2003. Il s'agit du responsable de la production aux Etats-Unis (Gary L. Convis), du responsable des ventes aux Etats-Unis (James E. Press) et du responsable de la production en Europe (Alan J. Jones). En revanche, cela fait longtemps que les présidents des filiales de Toyota dans le monde sont des non-Japonais. On peut dire que d'un point de vue humain aussi, l'internationalisation de Toyota progresse. Ce n'est pas encore le cas à l'usine de Valenciennes, mais j'attends impatiemment qu'un Français prenne la tête de l'usine.

… Les femmes au sein de l'état-major de Toyota

C'est encore un peu tôt pour le Japon, mais nous avons un programme interne pour promouvoir les femmes au sein de l'entreprise. Dans les pays occidentaux, la présence des femmes à des postes de responsabilités est plus développée. Nous avons par exemple trois directrices aux Etats-Unis et une en France (ndlr : Agnès Longue, DRH).

… Les équipementiers partenaires non japonais

Ce que nous achetons représente 70 % du prix de revient du véhicule. La qualité de nos modèles dépend donc à 70 % de nos fournisseurs. De ce fait, nous avons créé des liens très forts avec nos fournisseurs locaux pour améliorer la qualité, les aider à mettre en place le Kaizen en les considérant comme des ateliers en amont de nos propres lignes. Il est vrai que lorsque nous avons entamé notre mondialisation, ce lien très fort avec nos fournisseurs a posé problème : on nous a accusés de pratiques déloyales, de ne pas permettre aux autres équipementiers de travailler avec nous. Mais le prix ne peut être le seul critère de sélection, nous devons former nos partenaires au TPC. Depuis, nous avons réformé notre association avec les équipementiers pour laisser entrer des fournisseurs américains et européens.

… Son départ à la retraite

Au Japon, il n'y a pas de réglementation qui fixe une date de départ à la retraite, c'est le règlement interne des entreprises qui le définit. En ce qui me concerne, je devrais peut-être partir, mais ce n'est pas à moi d'en décider. Quant à mon successeur, son nom n'est pas encore connu, mais je ne suis pas inquiet sur la qualité des prétendants.

… La fin des énergies fossiles et le développement de la pile à combustible

Nous allons continuer à travailler pour l'amélioration des moteurs essence. Des investissements colossaux ont été réalisés dans des usines qui produisent ces moteurs, cela ne peut pas s'arrêter du jour au lendemain. Les moteurs hybrides, associant essence et électricité, sont un bon choix intermédiaire, permettant de faire la transition entre deux technologies. Nous sommes bien placés dans ce domaine puisque nous vendons notre système hybride à Nissan, tandis que Ford utilise un brevet Toyota dans son propre système. Quant à la pile à combustible, nos ingénieurs me disent qu'elle sera opérationnelle dans dix ans, mais ils me disaient la même chose il y a cinq ans...

… Le Diesel sur les différents marchés

L'Europe a fait le choix du Diesel et nous pensons que la demande pour cette motorisation va se maintenir. Au Japon, en revanche, l'image du Diesel est très négative, les particules étant accusées de causer de l'asthme. Les normes antipollution ont été renforcées, qui rendent difficiles la commercialisation de véhicules Diesel et qui favorisent les motorisations hybrides. Le filtre à particules est une technologie encore trop chère sauf à ce qu'il y ait des améliorations dans le futur. Aux Etats-Unis, je ne sais pas quelle sera l'évolution. En Chine, il faudra compter sur des réglementations qui vont orienter le choix du carburant.

… La faible rémunération des actionnaires

Vous avez raison, durant la crise économique que le Japon a traversée, nos profits n'ont pas été redistribués à nos actionnaires, mais ont été utilisés pour maintenir le cours de notre action. Environ 500 millions d'actions Toyota ont été rejetées sur le marché et nous les avons achetées. Désormais, la situation s'est stabilisée et nous allons pouvoir récompenser nos actionnaires. D'ores et déjà, le dividende a doublé par rapport à l'année dernière et nous devrions continuer à améliorer le retour sur investissement.

… La stratégie de Carlos Ghosn

Depuis qu'il est arrivé à la tête de Nissan, il a réformé et fait l'essentiel pour redresser les comptes. Il a supprimé la moitié des fournisseurs, effectué des fermetures drastiques d'usines, en mettant au chômage des milliers de personnes et en sinistrant certaines régions. Si un patron japonais avait fait cela, la résistance aurait sans doute été beaucoup plus forte. Mais un proverbe dit : "La fin justifie les moyens." Et, en l'occurrence, le résultat est là : la réforme a réussi, les employés sont satisfaits et un grand rival arrive pour concurrencer Toyota.

… La Formule 1

Notre première année en Formule 1 était celle de l'apprentissage, la deuxième celle du défi, la troisième devait être celle de la victoire, c'est en tout cas ce que l'on m'avait dit. Aujourd'hui, cela commence à tarder. J'attends impatiemment un podium, c'est très frustrant pour nous et pour le public français qui a hâte de voir gagner Olivier Panis. Mais nous avons de grands espoirs après le mois de juillet avec notre toute nouvelle machine. J'irai soutenir l'équipe en Allemagne. La dernière fois que j'ai assisté à une course, nous sommes arrivés 5e. J'espère que là encore ma présence leur sera favorable.

… La Chine qui prend le dessus sur le Japon

Nous produisons 3,5 millions de véhicules au Japon. Nous vendons 100 000 véhicules en Chine et nous en produisons la moitié localement. Il est vrai que la Chine affiche une croissance très rapide, avec une demande qui progresse d'un million de véhicules par an, mais il est impensable qu'un constructeur produise plus en Chine que dans un autre pays avant dix ou vingt ans.

… Le design sage de Toyota en Europe

Mon avis de Japonais sur ce sujet n'a pas grand intérêt. Ce que je peux dire, c'est que les modèles dessinés par notre centre de design de Sophia-Antipolis sont plébiscités en Europe. Etre sage, c'est peut-être le seul moyen de plaire au plus grand nombre.

… La valeur résiduelle des modèles Toyota

Nous nous sommes aperçus quelle était élevée, grâce à la réputation de qualité de nos produits. C'est très bien, mais nous ne nous en servons pas encore comme argument de vente. Cela viendra quand les données sur le sujet seront plus claires.

… Les vins français

Il n'y a pas que le vin que j'apprécie en France. J'y aime beaucoup de choses. Dans notre cuisine, au Japon, nous avons toujours du vin français, du fromage bleu et du sel de Guérande.



 Propos recueillis par Xavier Champagne


 

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