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Constructeurs

Faut-il avoir peur des constructeurs chinois ?

Publié le 23 novembre 2007

Par Alexandre Guillet
8 min de lecture
Catastrophiques en juin, les résultats du crash test de la Brilliance BS6 sont devenus acceptables en septembre. Intox ou véritable réactivité ? Les chinois sont-ils en passe d'envahir l'Europe ? Michel Costes, de la société Mavel*, fait le point sur la situation.En...
Catastrophiques en juin, les résultats du crash test de la Brilliance BS6 sont devenus acceptables en septembre. Intox ou véritable réactivité ? Les chinois sont-ils en passe d'envahir l'Europe ? Michel Costes, de la société Mavel*, fait le point sur la situation.En...

...2003, la production automobile chinoise a dépassé celle de la France et, en 2005, celle de l'Allemagne. Cette montée en puissance suscite des inquiétudes en Europe, après l'arrivée des japonais dans les années 60 et celle des coréens dans les années 80. Pourtant, les véhicules fabriqués par les constructeurs "chinois-chinois" (non adossés à des constructeurs occidentaux), comme Brilliance, Jiangling, Great Wall, ou Nanjing, ont le plus grand mal à débarquer en Europe, soit parce que les organisations qui délivrent les homologations traînent les pieds, soit parce que les récents crash tests ont révélé des résultats catastrophiques. Quelques véhicules chinois ont été vendus en Europe, surtout au Benelux et en Allemagne, mais dès que les résultats des crash tests ont été connus, les ventes se sont effondrées et les importateurs ont demandé aux constructeurs chinois de revoir leur copie.
Pourtant, fabriquer des véhicules de qualité en Chine, c'est possible : Honda China a ainsi vendu 25 000 Jazz en Europe en 2006 et vise 42 000 Jazz en 2007. Seulement, la direction de Honda a imposé de respecter scrupuleusement la conception et le processus de fabrication de la Jazz produite au Japon. Les constructeurs "chinois-chinois" pour leur part ont plus de mal à reproduire cette manière de faire parce qu'ils ne bénéficient pas de l'expérience d'un constructeur étranger. Même s'ils ont tendance à copier les carrosseries et les aménagements intérieurs, la conception du véhicule n'est qu'effleurée.

La qualité des véhicules chinois en question

Pour attaquer le marché planétaire il est pourtant indispensable pour ces constructeurs "chinois-chinois" de se donner une image de qualité. Or ils sont aujourd'hui doublement handicapés, d'une part par les mauvais résultats médiatisés de leurs véhicules automobiles qui ont été testés en Europe, d'autre part par l'image générale de l'industrie chinoise qui a été souillée par les scandales récents relatifs aux jouets, vêtements et produits alimentaires. Les chinois peuvent-ils remonter la pente dans le domaine automobile ? Nous pensons pour notre part que cela est tout à fait possible. Les dirigeants chinois et les importateurs européens ont pris conscience de l'importance de ne laisser entrer en Europe que des véhicules de qualité. Le gouvernement chinois a d'ores et déjà décidé de restreindre le nombre de constructeurs autorisés à exporter et de "discipliner" l'industrie automobile chinoise.
Il n'en reste pas moins aujourd'hui que la qualité n'est pas au rendez-vous. La raison essentielle est le manque de compétence des constructeurs qui pour la plupart n'ont pas plus de 10 ans. Leur première approche a été de copier. Ils n'ont pas encore pris conscience de l'importance de la maîtrise de certaines technologies clé. Un exemple frappant est celui des matériaux. Nous avons visité récemment un constructeur "chinois-chinois" du top 5. Celui-ci nous a posé des questions sur la nature des aciers à utiliser. Lors des premières réponses que nous avons données, l'auditoire s'est très vite senti "dépassé" par le niveau technique de la discussion et sont allés chercher leur "spécialiste acier" pour participer à la discussion. Nous nous sommes rendus compte que lui-même n'avait que des connaissances très superficielles sur les aciers. Sa compétence se limitait à connaître des références d'acier et à les hiérarchiser selon des critères flous. Il n'est donc pas étonnant dans ces conditions que les véhicules ne résistent pas au crash. Or la situation est tout à fait paradoxale. En effet les chinois possèdent dans leurs universités des experts en matériaux qui maîtrisent parfaitement ces technologies. Les constructeurs automobiles n'ont tout simplement pas encore intégré le fait que ces compétences étaient nécessaires au processus de développement de leurs véhicules. Toutefois, la situation peut changer extrêmement rapidement. En effet, les chinois apprennent extrêmement vite. Ils sont aidés dans ce processus d'acquisition de connaissance par les constructeurs ou équipementiers, qui, attirés et alléchés par la taille des marchés potentiels, leur fournissent toute la formation nécessaire. En parallèle, la Chine est la zone du monde qui produit aujourd'hui le plus de scientifiques. Un rapprochement de l'industrie avec les scientifiques va s'opérer tout naturellement. D'un autre côté, les chinois achètent des technologies. Ainsi le constructeur SAIC a-t-il acquis la technologie Rover afin de développer sa propre marque Roewe aux côtés de ses sociétés en association avec les constructeurs traditionnels. Le constructeur "chinois-chinois" Chery s'est distingué en proposant de rebadger ses propres modèles pour le marché américain et de vendre une partie de sa gamme sous la marque Dodge. Il est évident que le groupe Chrysler (auquel appartient Dodge) a fait le nécessaire pour que ces véhicules soient de la meilleure qualité possible, car dans le cas contraire, c'est tout le groupe Chrysler qui pâtirait de véhicules Dodge de mauvaise qualité. Il est certain que le groupe Chrysler a participé à la conception de ces nouveaux véhicules qui arriveront sur le marché américain dès l'an prochain et sans doute l'année suivante en Europe.

Le coût des véhicules chinois en question

Un des arguments majeurs utilisés pour défendre la thèse d'une arrivée massive de véhicules en Europe est celui d'un coût bien plus faible de ces véhicules. Qu'en est-il exactement ?
Le premier réflexe est, en effet, de penser que ce coût va être très inférieur pour un véhicule fabriqué en Chine du fait des coûts salariaux très faibles : un ouvrier chinois a un coût de salaire chargé de 100 à 150 euros par mois contre 2 000 e pour un ouvrier français. Toutefois, le coût salarial par véhicule dépend aussi du niveau de série : plus le véhicule est produit en grande série, moins le coût salarial par véhicule est élevé. Ainsi l'avantage comparatif des véhicules chinois sera encore plus important pour des véhicules de petite série, de niche ou très personnalisés.
Aujourd'hui, il est facile de dire qu'un véhicule chinois est moins cher puisqu'il ne répond pas aux normes européennes de sécurité et de qualité. La mise aux normes européennes augmentera le coût des véhicules chinois. En outre, un certain nombre d'acteurs européens pourront être tentés d'utiliser ces normes comme des barrières à l'entrée technique. Toutefois, les constructeurs chinois devraient être aidés par les fournisseurs occidentaux qui ont tout intérêt à nouer des liens avec eux pour s'ouvrir les portes du marché chinois.
En ce qui concerne les coûts de distribution en Europe, il n'existe aucune raison pour qu'ils soient inférieurs à ceux des constructeurs traditionnels. Enfin, le coût du transport des véhicules depuis la Chine vers l'Europe, renchérit le véhicule d'au moins 500 euros par véhicule. Pas très significatif pour des véhicules vendus 20 000 euros, mais davantage pour des véhicules à moins de 6 000 euros.

La capacité d'innovation des véhicules chinois en question

Les chinois arrivent avec un esprit neuf sur le marché européen. Ils auront donc une plus grande facilité à raisonner autrement que les constructeurs traditionnels qui ont un processus de développement basé sur cent ans d'histoire. D'autre part, les constructeurs chinois pourront s'appuyer sur une nouvelle génération d'ingénieurs formés, très motivés et très travailleurs. Les Chinois ont d'autre part accès, du fait de l'étendue de leur territoire et du fait de leur histoire, à une palette de ressources, notamment énergétiques et "matériaux", différente de celles des constructeurs traditionnels. Ils vont, de plus, être amenés à développer des véhicules "différents" pour répondre aux besoins spécifiques de leur marché intérieur. Du fait de ces contraintes et opportunités, ils sont dans l'obligation d'être innovants. Nous prévoyons donc que d'ici 10 ans une grande part de l'innovation automobile viendra de Chine. D'ici cette date les chinois devraient être à même de tirer parti de leurs spécificités pour positionner des véhicules sur le marché européen et bénéficier au maximum d'un avantage "marketing".

Quelles conséquences sur le marché européen ?

Nous pouvons considérer que les véhicules chinois seront vendus en Europe entre 10 % et 15 % moins cher que leurs homologues européens, japonais ou coréens, ne serait-ce que parce que le prix est aujourd'hui l'argument numéro 1 des produits made in China, et pas seulement dans l'automobile. En effet, pour pouvoir percer, les constructeurs chinois, nouveaux venus et sans aucune image, n'auront au début que le prix pour vraiment se différencier de la concurrence.
Dans ces conditions, les véhicules qui souffriront le plus de l'arrivée massive des véhicules chinois en Europe seront les véhicules d'entrée de gamme et de moyenne gamme. Les constructeurs Premium seront de leur côté peu touchés, de par leur image très forte et très valorisante, leur qualité de fabrication, leur spécificité en termes de prix, de confort ou de sportivité. Etant donné que les constructeurs japonais représentent aujourd'hui grosso modo 15 % du marché européen et les coréens près de 5 %, on peut penser que l'arrivée massive des constructeurs chinois pourrait se concrétiser par une part de l'ordre de 5 % du marché d'ici 10 ans et peut-être 10 % à plus long terme. Cette arrivée aura pour conséquence un renforcement de la concurrence et le développement d'idées innovantes.

Article : Michel Costes

* La société Mavel est spécialisée dans l'analyse économique des marchés automobiles et dans l'étude technique de la conception des véhicules (à travers leur démontage complet).

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