Entretien avec Esther Hafenscher, chef de marché chez Akzo Nobel Car Refinishes : "J'appartiens à la première génération de femmes parfaitement intégrées à toutes les échelles de la société"
...réfléchie et déterminée sous de faux airs timides.
Journal de l'Automobile. Esther, après des études brillantes qui vous ouvraient un large horizon, vous destiniez-vous à l'automobile ?
Esther Hafenscher. Honnêtement, non. Mon orientation vers la sphère automobile tient en fait du hasard. Je ne nourrissais pas une passion particulière pour cette activité, mais vous savez, lorsqu'on est étudiant dans une école supérieure de commerce, on ne se rend pas vraiment compte de l'attrait de l'industrie ou des produits techniques. On rêve plutôt de Danone ou d'Yves Saint Laurent ! On ne mesure pas l'intérêt que recèle le travail entre et pour les professionnels, se laissant plus aisément séduire par le grand public.
JA. Dès lors, comment avez-vous appréhendé votre premier poste dans l'industrie ?
EH. Très bien. Vous savez, j'arrivais seulement en France, certes j'y avais effectué une partie de mes études et je parlais bien la langue, mais je n'avais pas mille et une certitudes. J'ai mené ma recherche d'emploi avec un profil bas, sans avoir trop d'exigences. Ma seule conviction inébranlable était d'intégrer un grand groupe, avec une organisation structurée et des perspectives d'évolution. Et j'ai rejoint Akzo Nobel France. Pas dans l'automobile au départ, mais dans la branche chimie. Je vendais des produits pour l'alimentation animale. Mes clients étaient donc des agriculteurs ! Avec des accents parfois bien marqués, je vous assure ! C'est très formateur ! (rires)
JA. A ce propos, pourquoi la France ?
EH. J'y ai rencontré mon mari !
JA. Après cette première expérience, vous rejoignez la sphère réputée peu glamour de la réparation, est-ce vraiment motivant pour une jeune femme ?
EH. Comme je vous le disais à l'instant, de prime abord, non. Simplement parce qu'on n'y pense pas, qu'on méconnaît totalement ces métiers. Mais une fois en poste et opérationnelle, c'est une aventure palpitante. La peinture est un produit semi-fini et excessivement technique. Et quelle richesse, pensez au nombre de teintes qui existent ! En outre, les grands groupes permettent d'évoluer, chose primordiale à mes yeux. Ainsi j'ai débuté sur le marketing de la marque Lesonal et depuis peu, je travaille pour Sikkens, élargissant mon spectre d'intervention avec des clients en AVC ou comme les groupements de distribution.
JA. Quand vous êtes arrivée, vous étiez une jeune femme dans un milieu d'hommes et une jeune diplômée à fort
FOCUSDe nationalité néerlandaise, Esther Hafenscher goûte vite aux joies du cosmopolitisme en décrochant un triple diplôme hollandais-français-allemand en European Business Management. Outre sa langue maternelle, elle parle d'ailleurs couramment le français, l'anglais et l'allemand. En 1997, elle décroche son premier emploi au sein d'Akzo Nobel Chemicals, en France, en tant qu'assistante commerciale. Un an plus tard, elle change de groupe pour rejoindre BASF Coatings SA où elle assure quatre ans durant la fonction d'adjointe au directeur export. En 2002, elle fait le voyage inverse pour retrouver le groupe Akzo Nobel, cette fois dans le département Akzo Nobel Car Refinishes. Initialement dédiée au marketing de la marque Lesonal, elle a récemment été promue chef de marché pour la marque de référence Sikkens. A terme, Esther se laisserait volontiers tentée par un poste de dimension internationale. |
EH. Non, j'ai été bien accueillie. Homme ou femme, je crois que quand on est juste, bien organisé, et qu'on démontre ses compétences et son implication, il ne peut guère y avoir de problèmes. De surcroît, j'ai une excellente mémoire : si on me met des bâtons dans les roues, je ne me laisse pas faire et je m'en souviens… Cela ne m'est pas arrivé souvent cependant. Et cela arrive aussi avec des femmes, ce n'est pas l'apanage des collègues masculins, loin de là. Bref, je n'ai pas eu à me plaindre, et aujourd'hui, au sein d'ANCR, nous sommes une équipe jeune et dynamique et nous allons tous dans le même sens.
JA. Puisque tout s'est bien passé pour vous, iriez-vous jusqu'à dire que c'est un avantage d'être une femme dans le milieu automobile ?
EH. Je ne pense pas qu'on peut en faire une généralité ou une certitude, mais je pense que les femmes ont indéniablement un atout : nous sommes respectées et écoutées. Par nos collègues comme par nos clients. A titre personnel, je dispose aussi d'un autre atout : avec mon éducation hollandaise par tradition ouverte, on ne me choque pas facilement. Par exemple, certains posters dans les ateliers ne m'offusquent pas du tout. Bien entendu, il faut aussi composer avec les différents contextes. Ainsi, quand je vais dans un atelier, je m'habille en pantalon, pas en mini-jupe !
JA. C'est un bonheur de vous trouver si positive et épanouie, mais comment expliquez-vous que les femmes occupent rarement les postes à haute responsabilité et que les grandes écoles soient, en grande majorité, encore le pré carré des jeunes hommes ?
EH. Par rapport aux études, je dirais que nous sommes face à un phénomène de société et qu'il faut désormais inciter les jeunes filles à aller plus loin et à oser prétendre au top niveau. Et d'une manière générale, je pense qu'il faut être patient et réaliste car à bien y regarder, j'appartiens à la première génération de femmes parfaitement intégrées à toutes les échelles de la société. Les choses changent, mais on ne peut pas faire fi d'un pan d'histoire en deux jours ! Attendons encore deux générations pour mesurer vraiment les grandes évolutions en cours.
JA. Estimez-vous que la politique de féminisation menée par les grands groupes en général, et par Akzo Nobel en particulier, est suffisante et efficace ?
EH. Je pense que oui, mais là encore, il faut attendre un peu pour pouvoir en mesurer les effets. Au sein d'Akzo Nobel, cette politique est performante et je pense d'ailleurs que c'est aujourd'hui une chance d'être une femme dans le groupe car à compétences égales, nous sommes repérées plus vite.
JA. Etes-vous favorable à la mise en place du principe de quotas pour accélérer la féminisation desdits groupes ?
EH. Je suis plutôt sceptique… C'est un principe dangereux dans la mesure où la compétence doit primer sur toutes les autres considérations dans l'entreprise. En politique, le contexte est différent et des quotas seraient sans doute plus aisés à mettre en œuvre et plus efficaces pour aider à changer les mentalités.
JA. A ce propos et actualité oblige, pensez-vous qu'une femme peut aujourd'hui être élue à la tête de l'Etat français ?
EH. Oui, et c'est peut-être le moment d'ailleurs. Ce serait le signe d'un grand changement pour le pays, un événement majeur.
JA. Vous avez des enfants, or au niveau de la gestion des carrières, la question de la maternité est souvent perçue comme un problème à résoudre. C'est certes absurde, mais concrètement, comment avez-vous vécu cet épisode ?
EH. C'est vrai que j'ai été très stressée au moment d'annoncer à mon employeur que j'étais enceinte. C'est fondamentalement absurde, vous avez raison, mais le stress n'en demeure pas moins très intense. Pourtant, on informe l'employeur au moment du 3e mois donc l'entreprise a quand même près de six mois pour s'organiser ! Et beaucoup d'entreprises, même exemplaires, ne savent pas le faire… Mon exemple est éloquent : quelques semaines avant mon départ en congé maternité, on ne m'avait toujours pas trouvé de remplaçant… Je m'en suis occupée avant de partir, mais je n'ai pas eu le laps de temps idéal pour transmettre mes dossiers dans les meilleures conditions. C'est dommage car dans un monde meilleur, et surtout mieux organisé, on devrait informer nos employeurs dès le moment où nous décidons d'essayer d'avoir un enfant. On gagnerait en efficacité.
JA. Vous bénéficiez aussi d'un emploi du temps aménagé, est-ce courant et bien accepté ?
EH. En Hollande, oui ! Même pour les hommes d'ailleurs. Mais c'est aussi lié à d'autres réalités de la société, comme les difficultés de garde des enfants par exemple. En France, ce n'est pas fréquent et à ce niveau de responsabilités, j'ai d'ailleurs été la première à obtenir un temps partiel à 80 %. J'étais très stressée aussi au moment de la demande, mais je suis persuadée qu'il faut parfois oser. Et savoir présenter les choses positivement à l'employeur avec un discours rationnel centré sur l'investissement et l'efficacité. Mon emploi du temps aménagé ne m'empêche pas de faire tout mon travail et de rester souple et disponible en cas de besoin. Mon employeur y a été sensible. Surtout qu'il faut rester raisonnable, j'ai demandé un 80 % car je sais que c'est la limite à un certain niveau de responsabilités.
JA. Au chapitre de la conciliation entre vie privée et vie professionnelle, avec deux enfants, accepteriez-vous aujourd'hui un poste susceptible de vous éloigner de votre foyer, avec des missions à l'international par exemple ?
EH. Oui et je suis même très tentée par une expérience à l'international à l'avenir. Pourquoi pas la Hollande, mon pays, ou bien l'Asie qui m'attire à plus d'un titre. Mais je dois reconnaître que j'ai de la chance : j'ai un époux formidable qui s'investit beaucoup dans la vie des enfants, sa profession libérale lui permettant de le faire. Et dans le même temps, il m'aiguillonne, c'est lui qui m'incite à relever des défis, à me dire que j'en suis capable. Enfin, je crois aussi que je tire profit de ne pas avoir cherché à faire carrière trop vite.
JA. C'est-à-dire ?
EH. J'ai eu mes enfants au début de ma carrière. Aujourd'hui, ils ont respectivement 5 ans 1/2 et 2 ans 1/2 et je suis donc plus libre. Ma carrière reste grande ouverte. C'est l'inverse des femmes qui cherchent à évoluer très vite et qui, à 35 ou 40 ans, se disent : "Tiens, il faut que je me dépêche pour faire mes enfants, je ne peux plus attendre des lustres"… Dans ce cas de figure, les choses sont plus délicates. Mais je dis bien que j'ai eu de la chance, je ne donne pas de leçons, car je n'avais pas programmé ce scénario.
JA. En guise de conclusion, qu'auriez-vous envie de dire aux jeunes femmes qui se posent des questions ?
EH. Qu'il faut oser. Nous, contrairement aux hommes, nous hésitons beaucoup. Nous doutons, nous nous demandons si nous serons capables de remplir nos missions. Il faut arrêter de se poser des questions de ce genre. Il faut un peu plus provoquer les choses, se montrer plus fonceuses.
Propos recueillis par
Alexandre Guillet
ZOOMNon, je ne suis pas à proprement parler passionnée par l'automobile, les compétitions et les voitures. Disons que cela s'est fait par hasard, mais aussi avec plaisir ! Une jolie Renault Modus et au format supérieur, une Seat Alhambra. Le pouvoir d'utiliser son charme… D'avoir à passer par l'épisode du congé maternité vis-à-vis de l'entreprise, épisode qui fait toujours plus ou moins blocage. Plus généralement, c'est sans doute la difficulté à combiner vie professionnelle et vie privée. Une Mercedes CLK. Un Porsche Cayenne ! Je ne me vois pas dans un engin pareil, en revanche, j'imagine très bien mon mari au volant ! Shopping ! (Ce jour-là, elle porte une robe, elle sourit) Pantalon ! (elle sourit encore) |
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