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Constructeurs

Entretien avec Eric de Saint-Louvent, directeur marketing d’Avis France : "En 15 ans, le coût de la flotte dans notre budget a plus que doublé…"

Publié le 1 septembre 2006

Par David Paques
10 min de lecture
Sortis d'une période peu délicate, les loueurs courte durée voient poindre aujourd'hui des jours meilleurs à l'horizon. Un retour en grâce qui incite même certains d'entre eux à l'optimisme, malgré des relations toujours difficiles avec les constructeurs. Eric de Saint-Louvent, directeur marketing...
Sortis d'une période peu délicate, les loueurs courte durée voient poindre aujourd'hui des jours meilleurs à l'horizon. Un retour en grâce qui incite même certains d'entre eux à l'optimisme, malgré des relations toujours difficiles avec les constructeurs. Eric de Saint-Louvent, directeur marketing...

...d'Avis France fait le point sur une profession pleine d'espoirs.


Journal de l'Automobile. Le 2nd semestre 2005 a marqué un regain du marché de la location courte durée après quatre années de difficultés. Est-ce un accident ou êtes-vous réellement optimiste pour les mois qui viennent ?
Eric de Saint-Louvent. Nous avons terminé l'année à - 0,7 %. Et cela faisait, en effet, quelque temps que nous n'avions pas clos un exercice de cette manière. La LCD est fortement liée à la mobilité, non seulement professionnelle, mais aussi particulière. Du côté des professionnels, cela se passe bien, simplement parce que l'économie est légèrement repartie. Il y a du business et c'est bon pour nous. Pour les particuliers, en revanche, ça tient au moral des ménages, au pouvoir d'achat, à la météo, etc. Bref, à un moment donné, cela fonctionne ou non. Pourquoi cela n'avait pas fonctionné ces dernières années ? A cause de certains facteurs comme les attentats, la peur de l'avion, les politiques "voyages" des entreprises à la baisse, la guerre en Irak, les américains qui ne venaient plus en France en guise de représailles, etc.


JA. Les touristes américains constituent-ils un volume d'affaires si important ?
ESL. C'est un très gros marché. Ils peuvent représenter 7 à 9 % de l'activité entre juin et septembre. Si on s'intéresse uniquement aux aéroports de Nice et de Roissy, nous sommes bien au-delà de ce pourcentage. Donc, si 2/3 d'entre eux ne viennent pas, la répercussion est immédiate sur nos résultats. Aujourd'hui, ils commencent à revenir. Mais, en 2005, nous n'avons toujours pas retrouvé la quantité de clients américains que nous pouvions avoir avant 2001.


JA. C'est une des raisons de ce regain d'activité ?
ESL. En partie. Lors de leur "désertion", nous avions compensé leur absence en trouvant de nouvelles clientèles. Leur retour s'additionne donc à ces nouveaux clients. Aujourd'hui, il faut savoir que ce sont les marchés domestique et intra-européen qui poussent l'activité. Ces derniers se développent beaucoup, essentiellement grâce au phénomène "low cost" des compagnies aériennes. Pour nous, c'est un vrai relais de croissance.


JA. Parvenez-vous à chiffrer cette hausse d'activité ?
ESL. Il n'est pas aberrant de dire que le phénomène "low cost" des compagnies aériennes pèse 3 à 4 % de la location courte durée. Et ce marché n'est pas encore mature. Donc ces compagnies ont tout simplement créé de la mobilité supplémentaire. Cela fait grossir le gâteau. C'est du bonus.


JA. Quelle part de vos ventes est, par exemple, réalisée après un déplacement en train ou en avion ?
ESL. Pour le marché français, 18 % des locations sont réalisées après un trajet en avion et 15 % après un trajet en train. Les deux tiers restants sont effectués sans trajet préalable. Chez Avis, nous réalisons environ 40 % de notre activité en aéroport, un peu moins de 30 % en gare et le reste, en ville. Donc nous sommes très différents du marché global. Ce qui ne nous empêche pas, dans les villes, d'avoir une stratégie de proximité.


JA. Justement, quels sont les projets en cours dans ce domaine ?
ESL. L'année dernière, Avis a interrogé 12 000 clients partout en Europe pour savoir ce qu'un loueur pouvait apporter de plus aujourd'hui que ce qui est communément proposé.
Il y a donc eu un volet quantitatif, mais aussi une partie qualitative avec une quarantaine de "focus group" sur les cinq pays majeurs d'Avis en Europe que sont la France, l'Allemagne, l'Angleterre, l'Italie et l'Espagne. Aux regards des résultats obtenus, nous avons émis une série de projets.


JA. C'est-à-dire ?
ESL. Le client à trois attentes principales. La rapidité de service, la transparence et la possibilité de pouvoir choisir sa voiture. Nous avons donc décliné ces trois éléments sur plusieurs initiatives que nous avons mises en place dès le 16 avril dernier. Dans les deux ans qui viennent, attendez-vous à ce que ça bouge chez Avis. Notre objectif est de changer l'expérience client.


JA. Par exemple ?
ESL. Avec notre programme Avis Prefer, nous nous engageons à ce que nos clients soient partis de chez nous en moins de trois minutes. C'est ambitieux mais cela suppose d'adapter nos structures. Aussi bien en termes d'effectifs, de formation, de process informatique, que de gestion de parc. Avec notamment, dans les 25 plus grosses stations Avis de France (qui font plus de la moitié du volume) des équipes qui accueilleront les clients sur le parking avec un petit terminal portable pour saisir l'immatriculation à distance, ou pointer le code barre qui est sur le pare-brise de la voiture, de façon à afficher le contrat et gagner du temps également lors de la restitution. Notre engagement est de voir le client repartir en moins de 60 secondes. Ensuite, au niveau de la transparence, c'est par exemple simplifier les contrats. Nous les avons rendus beaucoup plus lisibles. Puis, c'est aussi de nouvelles cibles, comme les jeunes.


JA. Comment voyez-vous la LCD évoluer ?
ESL. Ces derniers mois, le marché a beaucoup évolué, notamment avec le rachat de nos deux principaux concurrents, Hertz et Europcar. Or, si des fonds de pension mettent de l'argent dans les sociétés de location de voitures, c'est qu'ils croient au potentiel du marché. Il y a de bons indicateurs qui permettent de dire que le marché va se développer. Je pense à l'évolution de la mobilité en matière générale. Par exemple, Paris-Bordeaux, vous prenez le TGV et vous louez une voiture à l'arrivée. C'est un gain, en termes de sécurité, d'environnement et du point de vue économique. Je pense donc que le marché de la mobilité va nous amener vers davantage d'inter-modalité.


JA. Un schéma qui risque d'accroître l'activité ?
ESL. Exactement. Je pense que c'est un phénomène important, mais ce n'est pas le seul. Il devient, par exemple, aujourd'hui, très compliqué d'entretenir une 2e ou une 3e voiture. La voiture de location peut ainsi devenir une alternative. Dans les villes, à Paris en particulier, il devient de plus en plus difficile de circuler, de se garer… Beaucoup de personnes ne veulent plus s'embêter à gérer leur voiture. L'augmentation et l'évolution de la mobilité d'une part, et les restrictions liées à l'utilisation de la voiture en ville, d'autre part, sont probablement les deux phénomènes qui développeront le marché dans les cinq ou dix ans qui viennent. Je pense qu'à terme, ce n'est plus 6, mais 10 ou 11 % des français qui loueront une voiture chaque année.


JA. Au niveau de vos relations avec les constructeurs, les tensions tarifaires sont-elles toujours aussi importantes ?
ESL. Tout à fait. Il y a quinze ans, la flotte de véhicules ne coûtait quasiment rien aux loueurs. Elle représentait entre 10 et 15 % de notre budget. Désormais, le coût de la flotte représente 35 % du budget, et son financement est devenu le premier poste budgétaire de l'entreprise. Ce sont des coûts supplémentaires que nous ne sommes pas forcément capables, aujourd'hui, de répercuter au client, compte tenu de la concurrence. Dans certains cas, il faut soit trouver d'autres sources économiques pour compenser des coûts liés à la flotte, soit accepter de baisser le niveau de marge en espérant faire plus de volume. En valeur absolue, nous allons donc faire la même marge. Le problème, c'est que cette volonté des constructeurs de baisser leurs conditions d'achats s'est accompagnée d'une volonté de réduire le volume de leurs ventes accordé à notre profession.


JA. Ces volumes ont-ils considérablement baissé ?
ESL. Ce n'est pas anodin en termes d'approvisionnement. D'ailleurs, les constructeurs le disent ouvertement. Il nous est donc devenu très difficile d'obtenir le mix qui correspond aux attentes de nos clients. Cela nous force à diversifier nos sources.


JA. Vous pensez aux marques asiatiques ?
ESL. Non pas nécessairement. Aujourd'hui, il y a un problème d'image par rapport à certains de ces constructeurs et nous devons être vigilants. Toyota n'a pas de problèmes, il est d'ailleurs presque plus français que certains constructeurs hexagonaux. Mais ce qu'il faut aussi avoir à l'esprit, ce sont les buy-backs. Un constructeur asiatique ne peut pas inonder le marché des loueurs avec ses voitures parce que six mois après, il récupère les voitures pour les vendre. Il ne peut donc pas se permettre de vendre 30 ou 40 % de ses volumes aux loueurs.


JA. Quelles sont donc les solutions ?
ESL. Nous pouvons décider d'allonger la détention de voitures de six mois. Si nous achetons aujourd'hui 10 000 voitures que nous gardons six mois, demain nous n'en achèterons que 5 000 mais pour les garder 12 mois. A la fin, nous garantissons le même nombre de jours disponibles pour les clients.


JA. Vous pensez qu'une telle politique ne peut pas s'inscrire dans la durée ?
ESL. Il y a la volonté et la réalité. Lorsqu'on regarde les résultats des constructeurs sur les cinq premiers mois, ce n'est pas très brillant. A un moment donné, il y a un niveau de volume en dessous duquel ils ne pourront pas descendre, au risque de voir leur structure d'amortissement s'effondrer.


JA. Peuvent-ils prendre ce risque ?
ESL. Je suis incapable de le dire. Mais d'un autre côté, je pense que nous devons aussi faire des efforts vis-à-vis des constructeurs pour promouvoir notre activité. Il ne faut pas que nous soyons perçus comme la dernière roue du carrosse. Nous devons les convaincre que vendre des voitures aux loueurs n'est pas de la basse contribution, c'est la possibilité de pouvoir faire essayer ses voitures par un certain nombre de clients potentiels et de les faire voir dans les rues. Nous leur offrons une vraie visibilité. Tous les jours, nous avons des clients qui nous disent à la réservation "Je veux une Peugeot 407 pour un week-end ou une semaine, parce que j'ai envie de l'acheter". La location n'a rien à voir avec l'essai en concession où une personne est à côté de vous lorsque vous l'essayez pendant 20 minutes.


JA. Est-ce un élément qui entre en considération lors des négociations d'achat avec le constructeur ?
ESL. Bien sûr. Cela nous permet parfois de mettre en place une opération de partenariat au moment du lancement. En septembre 2005, le jour du lancement commercial de la nouvelle Clio dans le réseau Renault, Avis avait 1 000 modèles dans son propre réseau. Et Renault nous a confié l'exclusivité du lancement loueur. Durant les six semaines qui ont suivi, Renault a différé les livraisons des nouvelles Clio aux autres loueurs pour que nous puissions faire une promotion. Pour nous, c'est un avantage certain en termes d'image et pour Renault, c'est une visibilité immédiate. En quatre ou six semaines d'exclusivité, cela représente 1 000 voitures sur la route pour une moyenne de 6 à 8 clients par mois.


JA. Croyez-vous en la LCD dans les concessions ?
ESL. Les constructeurs mettent un peu l'accent sur le sujet, notamment Renault Rent. C'est une aubaine lorsque les clients viennent déposer leurs véhicules en atelier. Renault Rent, c'est 4 % du marché dont une forte proportion amenée par les véhicules de remplacement. La location courte durée est un métier compliqué. Si vous avez 10 ou 50 voitures, ce n'est pas compliqué, mais lorsque vous en avez 200, il faut l'industrialiser. Nous sommes dans un métier qui requiert beaucoup de logistique.


JA. Justement, Avis est industrialisé. Pourrait-on donc voir, un jour, des vendeurs Avis dans les concessions, de manière à compléter votre maillage ?
ESL. Ce n'est pas impossible. Mais ce n'est pas notre point de développement privilégié. Aujourd'hui, avec 563 points de vente en France, nous avons un maillage géographique a priori suffisant. Cependant, la proximité reste un des critères de choix principaux du client. Et si vous avez un bon rapport proximité-prix, "vous cassez la baraque". Le binôme prix/proximité est donc essentiel pour être très performant sur le marché.


Propos recueillis
par David Paques

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