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Constructeurs

Entretien avec Christine Lagarde, Ministre déléguée au Commerce Extérieur.

Publié le 20 octobre 2006

Par Alexandre Guillet
10 min de lecture
"Les barrières à l'entrée dans certains pays ne nuisent pas forcément à nos constructeurs" L'automobile reste un secteur phare pour le commerce extérieur français et Christine Lagarde ne s'alarme pas outre mesure de son léger fléchissement qu'elle...

...juge conjoncturel. Inflexible sur le respect de la Propriété Intellectuelle et sur le maintien de la R&D dans nos contrées, elle ne s'inquiète pas pour autant du développement rapide des pays émergents. Et s'inscrit dans une double logique, à la fois nationale et profondément européenne. Extraits.


Journal de l'Automobile. Première question de cadrage : que représente l'automobile dans votre Ministère ?
Christine Lagarde. Il s'agit d'un poste très important, dans la mesure où il représente 13,7 % des exportations. Et puis c'est surtout un contributeur majeur de l'excédent du commerce extérieur, puisque nous exportons plus de véhicules que nous n'en importons. Et c'est le cas depuis 1993, ce qui prouve que ce secteur est profitable, mais aussi solide et stable. Même si, je dois la vérité sur ce point, en 2005 et pour la première fois depuis 1993, l'évolution des importations (+ 5,7 %) a été supérieure à celle des exportations (- 2,8 %). La balance demeure positive, mais le delta se réduit. C'est un sujet d'interrogation et d'analyse qui s'explique en partie par le fait que nos constructeurs nationaux n'ont pas été très prolixes et créateurs ces derniers temps. C'est donc agréable de voir sur le Salon des prototypes qui sont les signes avant-coureurs d'un nouveau souffle produits.


JA. Quel est le solde attendu pour le secteur automobile au niveau du commerce extérieur pour 2006 ?
CL. Nous serons à peu près sur les mêmes bases qu'en 2005. Je peux vous donner les chiffres consolidés sur les sept premiers mois de l'année, qui permettent une mise en perspective assez fiable : des exportations en légère baisse à - 2,8 % et des importations en hausse de 5,2 %. Ce n'est pas surprenant par rapport à ce que je vous disais à l'instant, les mêmes causes produisant les mêmes effets.


JA. La France affichait un excédent dans la zone Europe des 25, avec quelques positions fortes au Royaume-Uni, en Italie ou en Belgique par exemple : cela se confirme-t-il ?
CL. C'est justement sur ces marchés que nous fléchissons un peu. En revanche, dans les pays d'Europe centrale et d'Europe de l'est, nous constatons une remontée des exportations et une progression de pénétration de marché, quand il ne s'agit pas tout bonnement de prises de marché.


JA. L'Allemagne demeure-t-elle, comme de coutume, notre petit point faible ?
CL. Un petit point faible, mais en même temps, c'est notre premier poste : premier client et premier fournisseur toutes catégories confondues. Donc, pour reprendre une expression automobile, quand l'Allemagne éternue, nos constructeurs s'enrhument…


JA. Comment l'avenir se dessine-t-il avec la Chine, l'Inde et la Russie qui font partie des marchés pilotes au sein de votre ministère ?
CL. Ce sont effectivement les trois pays dits "émergents" au sein des 5 pays pilotes identifiés, auxquels je rajoute l'Allemagne compte tenu de son rôle privilégié. Ces trois marchés se développent à vitesse grand V et les constructeurs français essaient de maintenir et de développer




CURRICULUM VITAE

  • Nom : Lagarde
  • Prénom : Christine
  • Age : 50 ans, mariée, deux enfants

    Bardée de diplômes (IEP Paris, DESS en droit social, Maîtrise d'anglais, diplôme de la Holton Arms School de Bethesda aux Etats-Unis), Christine Lagarde est aussi avocate à la Cour d'appel de Paris. Elle a réalisé l'essentiel de sa carrière dans le privé, effectuant notamment au sein du prestigieux cabinet Baker&McKenzie, basé à Chicago. Sous sa présidence, le cabinet a ainsi vu son CA croître de 50 %. Christine Lagarde apparaît régulièrement dans le Top 100 des femmes les plus puissantes du monde publié par le magazine Forbes. Elle a intégré le gouvernement le 2 juin 2005.

  • leurs positions. On assiste notamment à des implantations sur place. Je crois que les accords de partenariat signés entre PSA et le chinois Dongfeng illustrent mon propos, au même titre que l'implantation de lignes de fabrication en Inde. Quant à la Russie, j'en reviens et les russes se réjouissent de voir les usines fonctionner à plein, avec près de 500 Logan produites chaque jour. D'ailleurs, l'analyse du parc automobile est très intéressante pour juger du développement d'un pays. Or en Russie, il y a encore trois ans, on voyait de vieilles voitures, souvent délabrées, tandis qu'aujourd'hui, on voit des voitures neuves, de bonne qualité, et beaucoup de voitures étrangères, y compris françaises. C'est un pays qui décolle très vite.


    JA. Comment réagissez-vous face à certains de ces pays qui dressent des barrières douanières, disons, imposantes, face à nos entreprises ?
    CL. Cette question est bien plus complexe et ambiguë qu'il n'y paraît. Ce n'est pas tout noir ou tout blanc. Si c'était le cas, notre rôle consisterait à nous battre pour lever les barrières tarifaires et non tarifaires dans des pays comme le Brésil, l'Inde, ou la Chine. C'est d'ailleurs la position qu'a l'Union Européenne dans le dialogue, un peu en sommeil aujourd'hui, au sein de l'OMC, dans le cadre du cycle de développement de Doha. Mais c'est plus compliqué que cela. Quand on regarde attentivement les marchés locaux, on s'aperçoit que nos constructeurs français ne sont parfois pas si mécontents qu'il y ait, pendant un certain temps du moins, des barrières de ce type qui les protègent des coups de boutoir d'autres constructeurs et fabricants qui ne se sont pas forcément implantés aussi tôt. Il faut savoir que ces barrières permettent aussi de consolider des parts de marché à l'abri de la concurrence internationale ! Donc quand les implantations sont déjà faites, ce n'est pas forcément désagréable…


    JA. Toujours dans le cadre de la mondialisation, quelles aides peut apporter l'Etat aux entreprises pour qu'elles rivalisent avec des concurrents évoluant dans des pays où le coût de la main-d'œuvre, qu'on le veuille ou non, est un argument décisif et qui va encore durer quelques décennies ?
    CL. Décennies, vous êtes optimiste ! Plus sérieusement, je crois que la première aide que peut apporter l'Etat, c'est la vigilance. Un certain nombre de ces pays sont adhérents à l'OMC et se sont engagés à respecter des règles relatives à la fabrication équitable ou la propriété intellectuelle par exemple. Dans ces conditions, la vigilance est de mise et en concertation avec les autres pays européens, puisque nous agissons sous une forme régionale au sein de l'OMC, nous devons être attentifs à toutes les formes de violation. C'est pourquoi nous avons engagé une procédure contre la Chine sur les pièces détachées automobiles, tout simplement parce que nous n'avons aucune certitude sur l'intégrité de l'équilibre des coûts de fabrication rapportés aux prix d'entrée de ces produits. Dans le domaine de la propriété intellectuelle, nous faisons la même chose. Nous veillons, auprès des autorités chinoises, à ce que les décisions de justice rendues contre les contrefacteurs soient exécutées.
    Par ailleurs, nous devons apporter des soutiens sectoriels à certaines industries en aidant les exportateurs dans le cadre d'actions concertées : le crédit d'impôt export, qui s'applique aussi aux PME, la mise à disposition de volontaires internationaux en entreprise (VIE) à des coûts tout à fait avantageux et avec des conditions d'immigration et d'introduction de salariés facilitées par Ubifrance, le portage par les constructeurs de sociétés plus petites, la mesure fiscale, dite des "120 jours", qui permet à tout salarié export partant au moins 120 jours à l'étranger, temps de trajet inclus, de bénéficier d'une exonération d'impôts sur la totalité de ses rémunérations.


    JA. Vous évoquez la propriété intellectuelle. On entend souvent que le maintien de la R&D en France est un gage de compétitivité pour l'avenir : pensez-vous que c'est vraiment une réponse à long terme alors que nos ressortissants forment des ingénieurs dans d'autres pays, participant à un transfert de compétences rapide ?
    CL. C'est une réponse incontournable ! Et il y a deux domaines dans lesquels nous avons une avance fondée sur une histoire, une technologie, une tradition : d'une part, la construction, l'élaboration et la défense de marques et d'images, et d'autre part, l'innovation fondée sur la R&D. Deux domaines où nous devons conserver notre avance. Mais sans être flexible sur le respect de la notion de propriété intellectuelle, il faut admettre que des pays en voie de développement vont recevoir des apports technologiques leur permettant d'avancer, et peut-être de brûler quelques-unes des étapes que nous avons franchies un peu plus laborieusement. Il faut que cela se fasse dans la concertation, dans le transfert de technologies programmé. C'est la seule solution pour que les pays les moins avancés et un certain nombre de pays émergents accèdent au développement et qu'on parvienne, dans un moyen terme, au maintien des populations dans les territoires où elles auront l'espoir de trouver du travail et d'avoir un minimum de bien-être pour éviter de se briser contre des murs qu'on aura érigés ou des barbelés qu'on aura voulus tendre. Or, on sait que les murs ne sont jamais assez hauts et les barbelés jamais assez épais…


    JA. De nombreux ingénieurs français sont très inquiets face au déménagement de pans entiers de R&D à l'étranger et d'autres choisissent même de partir. Ne doit-on pas craindre que la France devienne seulement un pays "touristique" ?
    CL. D'abord, nous serions bien inspirés de regarder tout ce qui n'est pas délocalisable pour être les meilleurs sur ces foyers et être effectivement une terre d'accueil et d'aspiration des devises étrangères. Il n'y a aucun mal à cela. Par ailleurs, en ce qui concerne la R&D et l'innovation, qu'on en laisse partir un peu dans le cadre d'accords de transferts de technologies bien conçus et bien contrôlés ne me paraît pas dramatique. En revanche, il faut conserver tout ce qui est à la pointe, tout ce qui est pionnier. Et chaque entreprise a la responsabilité de le faire dans le cadre d'une politique d'intelligence économique bien appliquée.


    JA. Que vous inspire la notion de patriotisme économique, dont certains dirigeants et hommes politiques se réclament ?
    CL. Mettons les choses au clair, tous les pays sont patriotes, y compris au plan économique. En France, nous le disons simplement peut-être plus haut et fort que les autres. Regardez la directive européenne sur les OPA : la Commission avait offert à chacun des Etats Membres de prendre une option pour lever des exceptions nationales. Tout le monde a stigmatisé que la France l'avait fait, mais sur les 25, 19 pays l'ont fait ! Parce qu'à un moment, un pays veut pouvoir dire : "non, tel étranger ne viendra pas prendre des participations dans telle société". Hors Union, les Etats-Unis font la même chose, le "syndrome Dubaï", relatif au contrôle des ports de la côte Est, en est l'expression la plus récente. Bref, tout le monde fait du patriotisme économique. Nous le faisons peut-être aussi plus vertueusement que les autres, car nous le disons et nous l'écrivons. Le 30 décembre dernier, un décret a été publié listant les onze secteurs dans lesquels l'Etat français se réserve le droit d'intervenir. Aux Etats-Unis, il n'y a pas de liste aussi précise, ce qui laisse in fine plus de latitude à l'Etat pour intervenir. Au final, le vrai patriotisme économique, c'est équiper nos champions, nationaux certes, mais surtout européens, pour que sur un plan régional donné, nous puissions répondre à des opérateurs américains, chinois, russes, etc. Nous nous inscrivons donc dans une logique européenne et la préférence communautaire ne s'applique pas seulement en matière agricole.


    Propos recueillis par
    Alexandre Guillet


    Crédit photos Dahmane

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