Comment faire baisser le coût moyen de réparation ?
...contenir ce coût moyen. Leurs experts sont missionnés dans ce sens. Les réparateurs n'ont rien contre, si cela ne se fait pas au détriment de leur marge… Les constructeurs non plus, si leurs profits sur les pièces ne sont pas affectés… Bref, peut-on vraiment faire baisser ce coût moyen ?
La facture que les compagnies d'assurances et les mutuelles règlent chaque année au titre de la réparation-collision est lourde. En 2003, l'ardoise totale (chiffres consolidés) des sinistres automobiles, avec frais de gestion, s'est ainsi établie à 13 milliards d'euros. Dont la bagatelle de 8,5 milliards d'euros pour le poste "dommages matériels automobiles". Qui se décline comme suit : 5,5 milliards pour les réparations à proprement parler, et 3 milliards pour les véhicules en pertes totales (à la suite d'accidents et de vols) et pour le "bris de glace" (0,7 milliard sur pare-brise et optiques). Selon les estimations des assureurs, la charge des indemnités a augmenté en 2004, de l'ordre de 2 %, et aucune baisse significative n'est à attendre de l'analyse des données 2005. Si la charge des sinistres automobiles doit naturellement être mise en perspective avec des éléments macro-structurels (évolution du parc français et de sa composition, fréquence des accidents, etc.), il n'en demeure pas moins qu'elle reste aussi intimement liée à l'item du coût moyen de la réparation. Sujet que les assureurs suivent de près en cherchant, selon l'implacable logique du payeur, à lui donner une inflexion baissière. Selon les derniers chiffres communiqués par SRA et Sidexa, le coût moyen de la réparation en France s'est élevé à 1 144 e en 2004. C'est donc cette somme moyenne qu'il s'agit de maîtriser, voire de réduire. A priori limpide, la problématique se drape d'un voile d'opacité quand on démêle la pelote des acteurs concernés et des forces en présence. Assureurs, bien entendu, mais aussi les experts, souvent écartelés entre leurs impératifs financiers et la mise en jeu de leur responsabilité, les réparateurs, qui vivent directement de cette activité, et en toile de fond, les constructeurs, qui conçoivent les modèles, fixent les "temps barèmés" et le prix des pièces, et réalisent d'importants profits sur la vente de ces mêmes pièces.
"Un coût moyen de réparation plutôt contrôlé ces dernières années"
Si le coût moyen de réparation est au centre des discours corporate, certaines voix s'élèvent néanmoins pour en relativiser l'importance. Thierry Dubois, directeur d'Aon Auto, lâche ainsi : "A nos yeux, la notion de coût moyen de réparation n'a pas vraiment de sens. En effet, vous savez ce que coûte ce qui est contrôlé. Et tout n'est pas contrôlé, loin de là… Bref, c'est un peu comme de mesurer le coût du travail au noir". Tout en modérant son propos en indiquant deux possibilités d'action sur son marché spécifique (assurance véhicules "flottes" et "entreprises") : "D'une part nous pouvons intervenir sur la fréquence, c'est-à-dire sur le nombre d'événements, en conseillant les entreprises dans le choix des modèles de leur flotte et en les encourageant à communiquer auprès de leurs salariés sur le risque routier. D'autre part, on peut essayer de jouer, mais indirectement, sur le coût des réparations. En effet, on ne peut pas se contenter de ce qui a été fait jusqu'à présent. La tendance est plutôt inflationniste, car on change les pièces au lieu de réparer. Or les pièces sont chères car les prix sont fixés par les constructeurs". Eric Bardy, responsable de l'AD Carrosserie, recadre le débat en rappelant que "le coût moyen de réparation a été plutôt bien maîtrisé au cours des dernières années, alors que toutes les composantes d'une facture augmentaient". Cependant, il reconnaît aussi que des progrès peuvent encore être réalisés. Jérôme Joulia, directeur de Top Carrosserie abonde dans ce sens : "Nous pouvons encore abaisser le coût moyen de réparation, mais il convient de ne pas raisonner de façon trop monolithique. Eu égard à nos impératifs de qualité et de sécurité, on ne va pas gagner plusieurs centaines d'e du jour au lendemain et il faut aussi tenir compte des disparités majeures qui existent entre zones de chalandise".
Le taux horaire ne fait pasle coût moyen de réparation
Parmi les trois leviers d'action identifiés pour influer sur le coût moyen de réparation, deux semblent inopérants, en tous les cas dans un avenir proche. Les taux horaires des carrossiers, qui ont cristallisé l'incompréhension entre réparateurs et donneurs d'ordre durant des années, à grand renfort de campagnes syndicales, ne sont pas jugés comme un moyen d'action efficace pris isolément. Et ce, par les carrossiers eux-mêmes. Pour Bernard Coquin, responsable de Nobilas France, "Ce n'est en aucun cas le taux horaire qui fait le coût moyen de réparation. Pour un professionnel, l'important est de travailler le taux de rentabilité sur sa main-d'œuvre". Même écho avec Jérôme Joulia : "Le taux horaire en tant que tel n'est pas un argument. L'essentiel est de parvenir à une meilleure vente de sa main-d'œuvre pour ensuite être en meilleure position de négocier le taux horaire". Par ailleurs, les Ingrédients Peinture offrent une marge de manœuvre très réduite. En l'état actuel du marché et du système de facturation, aucun plan d'économie, équitable pour toutes les parties s'entend, n'est applicable de façon rigoureuse. Reste le troisième levier, à savoir le principal constituant d'une facture de carrosserie aujourd'hui, les pièces de rechange. Et sur ce sujet, les conjectures foisonnent.
L'AD Carrosserie pense que le dossier "pièces" va se décanter très rapidement
D'une manière générale, tout le monde attend beaucoup de la libéralisation du marché de la pièce. Car les pièces coûtent cher aux assureurs ! Plus de 3 milliards d'e chaque année. Spicilège : bouclier avant (environ 600 millions d'e/an), portes avant (280 millions), ailes avant (160 millions), capots (220 millions), bouclier arrière (280 millions), hayon ou porte de coffre (100 millions). Au nom d'Axa France, Alain Toublanc estime que "la libéralisation du marché aura des conséquences sur le marché de la réparation et nous pouvons en attendre des économies. Car les pièces ont un impact sur le prix de revient des réparateurs et ceux qui présentent les coûts de réparation les plus performants sont ceux qui travaillent sur leur prix de revient". Roger Frau (Maaf-MMA-AIS) tient le même discours : "Cela engendrera indéniablement des économies ! Car chacun sait que la marge sur les pièces est très élevée actuellement". Le dossier de la libéralisation du marché des pièces a déjà fait couler beaucoup d'encre sans pour autant que la situation, il est vrai complexe et "politique", ne se décante vraiment. Toutefois, selon Eric Bardy, les choses sont désormais sur le point de s'accélérer. "Alors qu'avant, on ne pouvait faire que des coups ponctuels sur certaines pièces et certains modèles, nous allons pouvoir bientôt mettre en œuvre une stratégie tout à fait rationnelle et industrielle sur ce poste. Dès 2006, nous ferons des propositions dans ce sens à notre réseau". Thierry Dubois pense aussi que la situation va évoluer rapidement. "D'autant que chacun sait que la plupart des pièces sont aujourd'hui fabriquées par les équipementiers", assène-t-il.
Réparer les pièces au lieu de les changer !
En dépassant le strict enjeu des achats, le poste "pièces" fait aussi l'objet d'un changement de culture sur le marché de la réparation-collision. Assureurs et réparateurs militent pour la réparation des pièces, en lieu et place de leur changement systématique. C'est le point de vue d'Alain Toublanc, mais aussi de Roger Frau, qui précise : "On peut faire de gros gains sur les pièces concernées par les chocs avant qui représentent environ 60 % des sinistres. Il faut donc savoir réparer les matériaux composites". Et de démontrer par l'exemple : "Le bouclier avant est un enjeu clef car il est touché dans plus de la moitié des sinistres. Or en réparant, mise en peinture comprise, on sauve en moyenne 100 e par unité par rapport au remplacement. Nous allons dans ce sens et au sein de notre réseau agréé Réparateurs Sans Souci, 40 % des boucliers sont d'ores et déjà réparés". Les réseaux de carrosserie suivent. Bien que concurrents, Bernard Coquin et Jérôme Joulia déclarent de concert : "C'est au réparateur de choisir sa méthodologie de réparation et de faire une estimation précise d'icelle pour la proposer à l'expert. S'il démontre qu'il dégage une économie en réparant, il convaincra car dès lors, tout le monde est gagnant". Toutefois, il s'agit paradoxalement d'un changement de culture pour cette profession, car de nombreux carrossiers vivent encore aujourd'hui de la pièce. Un héritage historique qui s'explique par le fait que les experts ont longtemps été notés selon les temps de réparation qu'ils accordaient. Il était donc souvent plus commode pour le réparateur d'opter pour le changement de pièce. Et il convient tout de même de préciser qu'on peut être très efficace en se focalisant sur la pièce, à condition de faire de gros volumes et donc, de pouvoir jouer sur les remises. Certains concessionnaires en sont une magistrale illustration.
Jeux d'influence entre assureurs et constructeurs
En outre, les constructeurs, peu enclins à voir leurs juteuses ventes de pièces s'éroder, réagissent parfois insidieusement. Certains d'entre eux bardent donc des pièces, comme les boucliers par exemple, de capteurs et autres absorbeurs très coûteux. Sous couvert de sécurité, bien entendu. Dès lors, la pièce devient difficile ou trop chère à réparer. Le phénomène se répand et personne ne semble rien pouvoir y faire. Quoique… Les assureurs ne sont pas dupes et ont un argument à faire valoir. "Nous sommes bien entendu favorables à toutes les avancées en termes de sécurité. Mais il faut savoir raison garder et trouver la juste alchimie entre qualité, sécurité et réparabilité", souligne Roger Frau, avant d'ajouter : "Sachant que si un modèle est vraiment très cher à réparer, nous pouvons décider de lui affecter une prime d'assurance élevée. Et il y a déjà eu des antécédents de véhicules qui n'ont pas eu le succès commercial espéré à cause de primes d'assurance élevées". De son côté, Thierry Dubois indique que c'est l'une des fonctions de conseil d'Aon que "d'informer les gestionnaires de parcs sur le prix des pièces, notamment des pièces de sécurité, selon les modèles". La marge de manœuvre des constructeurs sur ce point n'est donc pas pleinement extensible. En somme, il appert que même s'il ne faut pas forcément en attendre monts et merveilles, la bataille de la pièce conditionnera bel et bien l'évolution du coût moyen de réparation à l'avenir. Reste que la libéralisation du marché de la pièce n'est pas encore effective. Que l'union sacrée entre assureurs et réparateurs est une vue de l'esprit, avec notamment un hiatus marqué sur la question de la prise en charge financière des services au client final. Que l'ossature de la méthodologie de facturation des réparations de pièces, hors négociations commerciales particulières, est un chantier tout juste ouvert. Que la restructuration du marché (nombre de réparateurs, taux d'orientation des assureurs vers leur réseau agréé, engagements de volumes, etc.). Ce qui fait dire à Thierry Dubois que "le débat sur le coût moyen de réparation ne peut pas être encore tout à fait mature aujourd'hui".
Alexandre Guillet
"Retrouvez ce n° en kiosque jusqu'au 27 avril"
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