Arnaud Pigounides, Rev Mobilities : "Nous voulons rétrofiter 30 000 Volkswagen"

Le Journal de l'Automobile : Dans quelques jours, deux premiers Toyota Hilux vont être convertis à l'électricité avec vos kits. Pouvez-vous nous exposer l'enjeu stratégique de cette actualité ?
Arnaud Pigounides : Depuis le début de l'aventure du groupe Rev Mobilities, nous avons soutenu l'idée d'avoir une diversité de produits et de préserver notre indépendance. Cela n'est pas facile tant l'industrialisation des process tient une importance majeure. Il y a près de 220 sociétés spécialisées dans le rétrofit en voitures électriques. La grande majorité se focalise sur les voitures anciennes. Notre nouvelle filiale Rev Offroad prend le contre-pied. Elle fait une proposition sur le Toyota Hilux, soit le sixième véhicule le plus répandu dans le monde. Nous avons l'opportunité d'industrialiser une activité de niche et ainsi de réduire encore les coûts de transformation.
J.A. : Quel est votre plan pour l'Afrique ?
A.P. : Nous commençons avec GSpark, la filiale de Sogafric. Elle nous a passé une commande ferme de 260 kits pour ses activités au Gabon. Nous pensons élargir notre présence à d'autres pays. De potentiels clients se sont manifestés en Égypte, au Maroc, en Côte d'Ivoire, au Ghana, mais aussi au Kenya et en Tanzanie pour des bus ou en Angola pour des camions poubelles. Le rétrofit ne nécessite aucune usine, mais simplement des ateliers et cela ouvre de multiples possibilités.
J.A. : Comment cela change les équilibres de votre entreprise ?
A.P. : Désormais, Rev Mobilities réalise 90 % de son chiffre d'affaires hors des frontières françaises. Ce que je trouve navrant. Dans notre pays, il y a un véritable manque de moyens pour industrialiser, notamment des ressources pour le BFR. De fait, nous nous trouvons collectivement dans l'incapacité de financer les stocks comme cela peut nous être réclamé dans les appels d'offres. Nous devions pivoter.
J.A. : Est-ce ainsi que le projet avec Volkswagen est venu sur la table ?
A.P. : Nous avons signé un contrat-cadre avec Volkswagen qui nous permet de démarcher des clients ensemble et d'avoir recours aux sites VGRF pour opérer. Un kit de conversion à l'électrique a été développé pour des utilitaires, à commencer par le Caddy, le Crafter, le T3 et le T6. En 2026, nous poursuivrons avec trois autres plateformes et trois de plus l'année suivante. Au cours des cinq ans à venir, nous voulons rétrofiter 30 000 Volkswagen, dont des utilitaires et des voitures.
J.A. : Est-ce une première étape vers une évolution de l'actionnariat ?
A.P. : Volkswagen nous a contactés car le constructeur cherchait à faire de la petite série. Il n'est pas question d'entrée au capital, nos interlocuteurs tiennent à notre indépendance. Durant les Jeux Olympiques, à l'été 2024, des cadres de Toyota et de Honda sont aussi passés nous voir pour comprendre notre métier et les interactions possibles.
J.A. : Comment avez-vous accueilli la fin des zones à faibles émissions (ZFE) ?
A.P. : La fin des ZFE n'est pas une mauvaise chose. L'interdiction doit venir après la constitution d'un écosystème de solutions. Je pense que le rétrofit lui-même n'était pas encore mûr pour les ZFE. Déjà parce que les aides promises n'ont pas été apportées. Ce qui nous interroge sur la véritable volonté des gouvernements successifs.
J.A. : Un manque de soutien qui vous a fait défaut dans le dossier de la reprise d'une usine Valeo dans la Sarthe au printemps 2025 ?
A.P. : Le bilan comptable nous faisait encore défaut, notre secteur multipliait les mauvaises actualités et, objectivement, quelles garanties étions-nous capables d'apporter dans la durée pour cette usine ? Ce projet de reprise, aussi beau soit-il sur le papier, manquait sûrement de consistance et nous ne pouvons pas jouer avec le sort de salariés. J'aurais aimé écrire cette belle histoire, mais le calendrier n'était pas bon.
Les acteurs du rétrofit ne se parlent pas et les changements de gouvernement cassent systématiquement la dynamique
J.A. : Des institutions telles que Bpifrance ne peuvent-elles pas vous venir en aide ?
A.P. : Tous les ans, nous essuyons cinq refus. Ils ne comprennent pas notre métier. Comme nous opérons sur le marché de la transition écologique, les investisseurs estiment que nous avons une durée de vie limitée. Notre filière souffre de cette prédiction.
J.A. : Cette filière peine aussi à se fédérer. Comment l'expliquer ?
A.P. : Les acteurs du rétrofit ne se parlent pas et les changements de gouvernement cassent systématiquement la dynamique. Nous repartons donc en permanence de zéro. Preuve en est, le temps qu'il a fallu à Stellantis alors qu'il s'agit d'un constructeur. De manière injustifiée, nous nous prenons des bâtons dans les roues. Les cofondateurs de Lormauto peuvent en témoigner, malheureusement.
Le Toyota e-Lux de Rev Offroad est équipé par Forsee Power. ©Le Journal de l'Automobile
J.A. : Cela ne vous empêche pas d'investir, à l'instar du rachat de Greenmot ?
A.P. : Nous étions partenaire de Greenmot, en qualité de revendeur de matériel pour la conversion des poids lourds. La société a été mise à mal par son PGE. Pour continuer, il lui fallait un repreneur. Notre réflexion nous a conduits à une branche baptisée Bus & Truck chez Rev Mobilities et dont le groupe Maurin est devenu l'actionnaire majoritaire. Il met sa puissance au service du financement de stock.
J.A. : Est-ce le signe que les groupes de distribution prennent la mesure du sujet ?
A.P. : Avec le groupe Maurin, nous avons trouvé un local de 2 500 m2, à Villefranche-sur-Saône (69). Olivier Marchegay et Bertrand Berger vont en prendre les rênes et feront passer l'équipe de 25 à 55 personnes dans peu de temps afin de convertir à l'électrique des camions et des bus qui seront destinés à des clients français et africains. Plus largement, Rev Mobilités a attiré le groupe Kroely au capital. Il faut se souvenir aussi qu'un autre distributeur Mercedes, le groupe de Willermin, a choisi de miser sur Qinomic. Après huit ans, nous approchons de notre rêve de départ.
J.A. : D'autres disent justement regretter d'avoir joué le jeu…
A.P. : Si vous faites allusion à Arkea, la déception est partagée. Ils ont créé des offres de financement à destination des particuliers et aucune transformation n'a été commandée en France. Le constat est similaire chez Autobacs qui devait nous épauler. Ces collaborations infructueuses montrent que nous avons porté beaucoup d'espoir trop vite, alors que pour survivre, il nous a fallu temporiser.
Mobilians fait ce qu'il est possible d'accomplir en se heurtant aux mêmes problématiques que nous
J.A. : Comme pour les véhicules traditionnels, le canal des flottes s'avère-t-il une option activable ?
A.P. : Les véhicules sont en leasing, or les loueurs n'ont pas pris le pli du rétrofit. Ensuite, il leur faudra des débouchés sur le marché de l'occasion. En l'absence de règlement harmonisé à l'échelle européenne, ils sont condamnés à procéder au remarketing en France, dans un environnement peu favorable.
J.A. : Cette harmonisation ne peut-elle pas venir du travail de Mobilians ?
A.P. : Mobilians fait ce qu'il est possible d'accomplir en se heurtant aux mêmes problématiques que nous individuellement. Tout est épuisant dans cet environnement qui bouge peu ou lentement. Heureusement, certaines concrétisations tendent à montrer que nous avançons dans la bonne direction.
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.