Heinz-Jürgen Löw, Renault : "Les clients ne sont pas prêts pour l’électrique"
Le Journal des Flottes : Le sujet des normes CAFE pour les voitures particulières est largement débattu, beaucoup moins pour les utilitaires légers qui sont, eux aussi, concernés dès 2025. En tant que directeur de la division véhicules utilitaires de Renault, quelle est votre position sur cette échéance qui arrive ?
Heinz-Jürgen Löw : Je suis inquiet. Si vous regardez les immatriculations à fin septembre 2024, le poids des véhicules utilitaires électriques en Europe est de seulement 6 %. Le marché n’est clairement pas au rendez-vous des objectifs CAFE fixés pour l’année prochaine. Il faudrait 2,5 à 3 fois plus d’immatriculations de modèles électriques pour être capables d’éviter les pénalités. C’est un grand sujet. L’industrie a fait son devoir en électrifiant la majeure partie de ses produits. Les modèles électriques sont là, à disposition des clients. À commencer chez Renault avec les versions électriques des Kangoo, Trafic et Master. Sauf que les clients ne sont pas prêts pour l’électrique. Il faut clairement que nous discutions de nouveaux objectifs pour 2025. Au regard de la vitesse à laquelle le marché s’électrifie, je ne sais pas comment nous allons pouvoir faire pour atteindre ceux qui nous sont imposés actuellement.
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JDF : Vous ne voyez pas de tendance favorable au niveau des prises de commandes ?
H.-J. L. : C’est bien pire que cela ! Sur les quatre derniers mois, les immatriculations sont en train de baisser assez nettement. C’est certainement dû au fait que beaucoup de pays européens ont réduit, voire arrêté, les aides à l’achat de véhicules électriques. Nous avons tout de suite vu la réaction des clients, ils ont reporté leur investissement. Ceux qui achètent un véhicule utilitaire sont à la recherche d’un outil pour faire leur boulot et gagner leur vie. Or, la réalité est que lorsque vous coupez les aides, le coût d’usage d’un modèle électrique n’est pas assez intéressant pour eux. Ça ne marche pas ! Ajoutez à cela le coût de l’électricité qui est très variable d’un pays à un autre, sans oublier les réseaux de recharge qui ne sont pas assez développés… De gros investissements ont été réalisés mais ce n’est pas encore suffisant.
On ne peut pas mettre en danger l’industrie automobile en Europe
JDF : Qu’en est-il des véhicules ? Sont-ils assez performants ?
H.-J. L. : Il y a là aussi beaucoup de pédagogie à faire. Nous avons fait le maximum, nous avons investi dans une gamme électrique, qui est maintenant complète. Nous avons mobilisé nos concessionnaires, nos vendeurs sur le sujet. Mais il faut se rendre à l’évidence que ce n’est pas fluide. Un client n’arrive pas dans un showroom en disant qu’il veut absolument un Kangoo électrique ou un Master électrique. Il faut discuter avec lui, répondre à toutes ses interrogations. Et pourtant, Renault est loin d’être novice en matière d’électrique ! Nous avons été les premiers à nous lancer il y a plus de dix ans avec le Kangoo Z.E. Nous avons été les pionniers du marché, mais cela ne suffit pas pour faire décoller nos ventes aujourd’hui. Nous avons des objectifs énormes de réduction de CO2, mais à côté, si nous n’avons pas quelqu’un qui veut danser avec nous, c’est compliqué…
JDF : Avez-vous une idée des pénalités que Renault pourrait être amené à payer ?
H.-J. L. : Elles seront significatives. Beaucoup de chiffres ont circulé dans la presse. Le fait est que nous avons besoin de dialogue. On ne peut pas mettre en danger l’industrie automobile en Europe. Est-ce que l’on veut vraiment appliquer des pénalités comme cela à tous les constructeurs, que ce soit pour les voitures particulières ou les utilitaires légers ? Qui va bénéficier de cette situation ?
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JDF : Que faudrait-il faire pour que les ventes de VUL électriques décollent pour de bon ?
H.-J. L. : Il faut effectivement voir ce qui marche et comprendre pourquoi ce n’est pas si facile pour les VUL. Si l’on regarde du côté des voitures particulières, nous sommes aux alentours de 15 %. Nous sommes à 6 % pour les VUL, comme je vous le disais précédemment. Il y a une grande différence. Encore une fois, un client qui achète un utilitaire, c’est pour son business et il calcule précisément combien cela lui coûte. Maintenant, qu’est-ce qui pourrait faire décoller le marché ? Il y a quelques années, quand l’électrification a vraiment pris de l’ampleur, j’étais en Norvège, le pays qui a basculé le plus vite. Là-bas, il y avait des incitations financières, mais aussi des mesures pour faciliter l’usage quotidien, sur les sujets de la recharge, du stationnement ou de la circulation. Ça a fonctionné. Or là, on le voit partout en Europe, les incitations pour les utilitaires légers ne sont plus au rendez-vous et la conséquence est que le marché plonge. C’est important pour les clients. Regardez le leasing social en France, qui a été un succès. Les gens sont très attentifs à tout ce qui est proposé.
JDF : Comment voyez-vous évoluer les discussions à l’échelle européenne ?
H.-J. L. : Luca de Meo, notre directeur général et aussi président de l’ACEA, l’Association des constructeurs européens d’automobiles, s’est clairement exprimé à ce propos. Nous avons mis le sujet sur la table. Maintenant, il faut que nous travaillions ensemble avec les politiques, et même les clients. Nous allons évidemment faire le maximum, mais j’ai la conviction que l’industrie a fait son devoir, même si des axes de progrès sont encore possibles, notamment sur les batteries.
Il faut que le bonus soit maintenu
JDF : Craignez-vous qu’en France le bonus de 3 000 euros pour l’achat d’un VUL électrique soit supprimé, comme cela a été le cas pour les voitures particulières ?
H.-J. L. : Il faut que le bonus soit maintenu, la question ne devrait même pas se poser. Nous avons besoin de plus de temps pour que les VUL électriques prennent leur envol. C’est un marathon, pas un 100 mètres. On ne peut pas forcer les clients.
JDF : Les incentives sont évidemment importants mais êtes-vous également prêts, chez Renault, à vous montrer plus "généreux" commercialement ?
H.-J. L. : Nous devons évidemment être assez attractifs pour que les clients achètent nos produits. Il y a d’autres leviers sur lesquels nous devons poursuivre nos efforts. Cela commence par faire essayer nos véhicules utilitaires électriques, pour montrer à nos clients que ça fonctionne. Nous travaillons aussi avec Mobilize pour répondre aux besoins en termes de recharge. Il faut écouter les clients et aussi leur proposer les véhicules les mieux adaptés à leurs besoins. Nous avons par exemple équipé le nouveau Master d’une batterie de 87 kWh, ce qui nous permet de dépasser les 400 km d’autonomie. Mais pour les clients qui n'ont pas besoin d’autant, nous avons aussi une batterie plus petite de 40 kWh. C’est un tout.
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JDF : En plus de l’électrique, vous travaillez sur l’hydrogène qui est encore plus cher. Est-ce encore pertinent ? Serez-vous compétitif en TCO ?
H.-J. L. : Nous essayons de proposer le plus de solutions possibles à nos clients. Nous allons faire le nouveau Master en version hydrogène. Cela nous coûte évidemment, mais nous prenons nos responsabilités comme constructeur pour développer les bons outils pour les clients de demain. S’il n’y pas d’initiatives de ce type, il n’y a pas d’innovation. C’est un pari, un peu comme celui de lancer le Kangoo Z.E. en 2012. Ensuite, clairement, nous ne serons pas au niveau de l’électrique en termes de TCO dans un premier temps.
JDF : Comment voyez-vous le marché des VUL se comporter jusqu’à la fin de l’année ? La baisse va se poursuivre ?
H.-J. L. : J’ai peur que dans le contexte économique actuel, il n’y ait pas d’évolution dans le bon sens. Le marché reste encore positif en France et en Europe mais, petit à petit, il ralentit. Maintenant, je crois en nos produits, nous avons une gamme super attractive, sans aucun doute la meilleure de notre histoire. Renault est leader du marché en Europe et nous allons nous battre pour le rester.
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