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Industrie

“Les enjeux du véhicule de demain vont nécessiter des solutions ­technologiques de rupture”

Publié le 24 novembre 2014

Par Frédéric Richard
8 min de lecture
Au sein du groupe français Faurecia, filiale de PSA Peugeot Citroën, Christophe Aufrère préside aux destinées de tous les nouveaux projets et innovations à destination de clients identifiés ou en pure prospective. Une fonction qui lui permet de balayer le spectre des technologies qui prendront place demain dans nos véhicules.
Christophe Aufrère, vice-président stratégie technologique de Faurecia.

JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Pouvez-vous nous présenter brièvement la R&D de Faurecia ?

CHRISTOPHE AUFRÈRE. La R&D de Faurecia représente 900 millions d’euros par an et 6 000 ingénieurs et techniciens répartis dans une trentaine de centres à travers le monde. Nous dépensons presque 110 millions d’euros en avance de phase, c’est-à-dire en dehors de toute commande émanant d’un client constructeur, et donc en pure prospective.

Personne ne sachant vraiment quelle solution deviendra la référence dans les domaines de la propulsion, des matériaux ou encore de la connectivité, les constructeurs ne peuvent désormais plus se passer de regarder l’ensemble des propositions des industriels. N’oublions pas que, dès lors que l’on parle d’une consommation à 2 litres aux 100 km, l’atteinte de l’objectif va justifier des ruptures technologiques.

JA. Quelles orientations prend l’innovation chez vous aujourd’hui ?

CA. L’innovation prend des chemins globalement communs pour toutes les branches et toutes les marques, comme la réduction du CO2 par exemple. Ensuite, selon les domaines d’activité, les approches peuvent différer. Ainsi, sur les sièges, la problématique se résume à alléger les produits ou à diminuer leur consommation électrique (nappes chauffantes, moteurs électriques).

En revanche, pour l’échappement, c’est aujourd’hui la récupération d’énergie qui prime. Rappelons que l’on perd environ 30 % d’énergie en chaleur lors du fonctionnement d’un moteur. Or, cette énergie calorifique pourrait se voir avantageusement utilisée pour préchauffer l’huile de boîte de vitesses, par exemple. N’oublions pas que cette huile, très visqueuse, est responsable de l’émission de 2 grammes de CO2. Le gain potentiel est donc énorme, comparable à une réduction de poids de 20 kg !

Mais, plus empiriquement, nous vivons actuellement une époque fantastique. Nous reprenons les bases technologiques, les grands fondements de la science, pour tenter d’en tirer quelque chose d’applicable à l’automobile. La gravité, par exemple, pourrait être revisitée. On peut utiliser son accélération, son inertie. L’électromagnétisme, également, peut nous permettre de souder, de faire des moteurs. Le creuset d’idées est inépuisable, et cela montre combien il faut se montrer ouvert aujourd’hui, ne rien négliger !

JA. Quelle est votre implication sur les biomatériaux ?

CA. Nous nous sommes intéressés aux biomatériaux il y a cinq ou six ans, en comprenant combien le sujet deviendrait stratégique pour l’avenir. Pour des raisons de ressources pétrolières bien entendu, mais également pour les propriétés desdits matériaux. Nous avons notamment pu constater que les fibres de chanvre renforçaient nos plastiques de façon avantageuse, à tel point que, désormais, nous étudions sérieusement la possibilité d’en faire des composants semi-structurels et non plus seulement des pièces d’habillage. Certes, on est très loin des propriétés du carbone, mais on se rapproche de la fibre de verre, avec une masse inférieure de 20 à 25 % ! La première véritable application en France est la nouvelle Peugeot 308, avec le produit bio-sourcé NAFILean (Natural Fiber for Lean Injected Design), à base de fibres de chanvre, qui a permis la réalisation de la console centrale et des panneaux de portes.

JA. Quel avenir auront ces matières dans l’automobile ?

CA. Un avenir radieux. Elles présentent la fonction, le design et cristallisent un esprit “green”. Elles se positionnent donc dans l’air du temps. Industriellement, le seul bémol réside dans leur production, puisqu’en fonction du lieu où elles sont plantées et récoltées, les matières premières bio-sourcées ne présentent pas forcément les mêmes caractéristiques. Il faut prendre en compte ce fait quand on parle de production mondiale. Mais je souligne que l’acier souffre aussi de ces contraintes. Enfin, il n’est pas facile de faire accepter une nouvelle matière à des constructeurs. Simplement parce qu’ils ont l’habitude de travailler avec des matériaux qu’ils ont eux-mêmes homologués, auxquels ils font confiance et dont ils peuvent donner la référence exacte à leurs fournisseurs à travers le monde.

JA. Un composite intègre à la fois fibres et résine. Où en êtes-vous de la conception de résine également bio-sourcée ?

CA. La résine bio constitue un véritable défi car il faut faire fermenter des molécules à partir de résidus de betterave ou de canne à sucre, puis distiller, récupérer les molécules de base et les polymériser. Nous travaillons actuellement sur un projet 100 % bio, incluant fibres et résine bio-sourcée, en partenariat avec Mitsubishi Chemicals pour la résine, et avec un consortium pour les fibres. La première application en série devrait voir le jour avant 2020.

En termes de résistance, les caractéristiques globales sont celles d’une résine polyester classique. En fait, on obtient un PBS (polybutylène succinate), proche du polypropylène. Ce n’est pas une nouvelle molécule. C’est juste la matière première et le process de synthèse pour l’obtenir qui sont particuliers.

JA. Economiquement, l’équation d’un composite bio fonctionne-t-elle ?

CA. L’attractivité des composites bio est très dépendante du cours du pétrole. Il y a quelques années, on disait qu’il fallait attendre que le pétrole soit à 200 dollars le baril pour qu’elles deviennent intéressantes. Aujourd’hui, on parle plutôt de 150 dollars. Dans le même temps, on peut espérer que nos prix de revient baissent avec l’organisation de la filière. Par ailleurs, en marge de la question économique, se pose aussi la question de l’indépendance énergétique. Les matériaux issus d’alternative au pétrole sont importants pour notre pays, puisque l’énergie fossile importée représente presque les deux tiers du déficit de la France. L’Etat s’intéresse donc de près à ces initiatives de composites dits “naturels”, et l’Ademe soutient financièrement des programmes de recherche. En France, nous disposons de beaucoup de ressources capables d’alimenter cette filière de bio-plastiques. Bien gérées, elles peuvent générer des solutions économiquement viables. Les forêts, par exemple, se renouvellent de 3 % par an. Cela signifie que l’on peut utiliser 4 millions de tonnes de bois sans parler de déforestation.

JA. Comment se présentent les grands enjeux des composites ?

CA. Les temps de cycle sont aujourd’hui beaucoup trop importants pour produire des pièces. Ils durent vingt à trente minutes, là où le maximum acceptable pour la grande série n’excède pas une minute dans l’automobile. Nous devons également optimiser le design des pièces, pour qu’elles présentent le meilleur compromis prix/poids/résistance. Pour terminer, la simulation se révèle essentielle dans le développement d’un composite. Sans simulation, il n’est pas d’application possible, simplement parce que vous n’avez pas le temps. Si une voiture se développe environ en trois ans, Faurecia ne dispose en fait que de six à huit mois pour geler le design d’une pièce et ensuite laisser le temps de développer le reste du véhicule. Passé ce délai, les modifications se font à la marge. Nous devons nous montrer particulièrement prédictifs. Et c’est encore plus vrai avec les composites, qui, en leur qualité de matériaux anisotropes, n’ont pas la même résistance selon le sens de sollicitation, en fonction de l’orientation des fibres que l’on choisit à la conception.

JA. Qu’en est-il également du carbone chez Faurecia ?

CA. Avec les bio-plastiques, nous visons un allégement, certes, mais sur des pièces non structurelles. Le carbone, bien plus résistant, permet non seulement un allégement encore plus important, avec une résistance mécanique équivalente à celle de l’acier.

Nous nous sommes donc lancés dans l’aventure car, pour abaisser la masse globale d’un véhicule de 25 %, 250 kg sur un véhicule de segment B, dans moins de dix ans, l’aluminium ne suffira pas. Il faudra pouvoir obtenir un régime amincissant de presque 100 kg par génération de voitures, ce qui passera par l’utilisation du carbone, sur des pièces structurelles de surcroît. Nous avons ainsi racheté il y a deux ans Sora Composites, une société spécialisée, ce qui nous a fait gagner un temps précieux dans nos développements.

JA. Cela veut dire que le carbone en grande série dans l’automobile, c’est pour demain !

CA. L’ennemi de tous les moyens de transport étant la masse, le carbone et sa démocratisation sont inéluctables. Mais, compte tenu de son prix, le sujet reste sensible en automobile. En partant de ce postulat, nous cherchons à développer ce que l’on appelle le carbone économique. Aujourd’hui, la fibre de carbone coûte 14 euros le kg en moyenne. Il faut diviser par deux ce tarif pour devenir compétitif dans l’industrie automobile, bref, atteindre un coût du kg gagné acceptable pour la grande série, tout en réduisant de 50 % le poids des pièces.

JA. Comment comptez-vous résoudre l’équation ?

CA. Faurecia pilote un projet en ce sens, au sein de la PFA, en consortium avec des constructeurs, des équipementiers, des chimistes, des fileurs (qui fabriquent la fibre).

D’ordinaire, pour faire du carbone, on part d’une matière première nommée polyacrylonitrile, un acrylique très pur. On le file, puis on le carbonise dans des fours à 1 200 degrés sous atmosphère neutre. S’ensuit une étape de graphitisation, qui purifie encore un peu plus la fibre obtenue. Mais pour faire du carbone économique, la matière première est déjà trop chère, puisqu’elle compte pour moitié dans les 14 euros du kg. Nous cherchons donc des alternatives au polyacrylonitrile, notamment des polyéthylènes ou même des matières bio-sourcées issues du bois (cellulose et lignine), ce qui serait idéal dans une boucle vertueuse.

Enfin, en termes de process, il faut simplifier et essayer de s’affranchir de certaines étapes, la graphitisation par exemple, qui, de surcroît se montre très énergivore puisqu’elle se fait à 2 500 degrés.
 

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