Rémy Pothet, directeur Monde secteur automobile Groupe TNS
Journal de l'Automobile. Au premier chef, quels principaux enseignements tirez-vous des résultats et classements de cette 3e édition des GPMA ?
Rémy Pothet. Cette troisième édition du Grand Prix des Marques Automobiles est avant tout la confirmation des valeurs sûres. On retrouve aux premières places toutes les marques déjà plébiscitées par leurs clients l'année dernière et l'année d'avant ! Ces marques parviennent à satisfaire leurs clients dans la durée sur toutes les dimensions constitutives de l'expérience client, qu'il s'agisse de la qualité et fiabilité du véhicule, du service après-vente délivré par le réseau, du design et de l'agrément de conduite. Par ailleurs, sur l'ensemble du marché français, l'indice TRI'M mesurant l'intensité de l'attachement des clients à la marque de leur véhicule est quasi stable, à un très bon niveau, ne perdant qu'un tout petit point en passant de 80 à 79 ! Il y a un fort attachement des automobilistes à leur marque, ce qui témoigne que la voiture continue d'être un bien à part, un équipement très fortement investi émotionnellement pour une grande partie des consommateurs.
JA. A l'exception de Mercedes-Benz qui devance cette fois BMW, les lauréats sont les mêmes que l'an passé : quel regard portez-vous sur chacun d'eux et peut-on pour autant en déduire qu'ils ont une avance durable sur les autres ?
RP. On retrouve en effet sur le Podium les spécialistes du haut de gamme que sont Audi et Mercedes, le Japonais Honda et la marque low-cost Dacia. Audi doit sa première place à l'enthousiasme qu'elle suscite auprès de ses clients qui lui vouent une fidélité très élevée et déclarent qu'ils seraient très embêtés si la marque aux anneaux n'existait plus. Audi a l'avantage d'avoir dans sa clientèle la plus forte proportion de fans et d'inconditionnels, des clients qui lui font totalement confiance. Dacia, comme l'an dernier, arrive en deuxième position. Les clients de Dacia mettent surtout en avant les coûts rapportés aux prestations des modèles de la gamme en termes de taille et robustesse. Moins sensibles au design et à l'image de marque, les possesseurs de Logan et Sandero reconnaissent que Dacia remplit effectivement son contrat et affichent une intention de renouvellement qui est parmi les meilleures du marché. Mercedes, qui partage la troisième place avec Honda, a encore progressé par rapport à l'année dernière et enregistre les scores de satisfaction les plus élevés sur de nombreux aspects clés de la relation clients. La marque à l'étoile sort en première position sur le service après-vente assuré par son réseau mais aussi sur le style de ses modèles.
Enfin, Honda est très solide sur toutes les dimensions et est systématiquement très bien classée, en particulier sur les items liés à la qualité produit, au design et aux services délivrés par le réseau en vente et après-vente.
JA. On constate que si le niveau moyen d'attachement aux marques demeure plutôt élevé, l'écart tend à se creuser significativement entre les premiers et les derniers du classement : comment analysez-vous ce phénomène ?
RP. Près de 40 points séparent la première marque de la dernière marque sur l'indice de référence TRI'M, c'est considérable ! Par rapport à l'année dernière, l'écart en matière d'attachement et de satisfaction client s'est creusé entre les meilleures et les moins performantes. Schématiquement, les résultats 2010 font apparaître clairement 3 groupes de marques. Dans le premier groupe on trouve 6 marques ayant un indice TRI'M supérieur à 90, ce qui est un très bon score. C'est le groupe des marques dont on vient de parler et auxquelles il faut ajouter BMW et Skoda, bien placées encore cette année mais en léger recul par rapport à 2009. Le deuxième groupe réunit les 7 marques automobiles ayant un score TRI'M compris entre 90 et 80, donc encore supérieur à la moyenne, des marques qui parviennent à se différencier des autres. Soit des marques affichant un positionnement haut de gamme qui leur est propre, comme Alfa Romeo, Volvo ou encore Mini, soit des généralistes solides comme Toyota ou Volkswagen. Ces marques sont très performantes sur la plupart des aspects de la relation clients, mais ont encore des marges de progression sur une ou deux dimensions, comme c'est le cas d'Alfa Romeo sur la qualité produit ou de Toyota pour le design, ce qui explique l'écart avec le premier groupe. Enfin le troisième groupe comprend les 11 autres marques évaluées cette année avec un score TRI'M allant de 75 à 60. On y retrouve beaucoup de marques généralistes. Certaines ont une base clients large et hétérogène qui comprend un grand nombre de clients passifs et peu engagés. Ces marques dont les fondamentaux sont corrects souffrent souvent d'un déficit émotionnel dans leur relation clients.
JA. Les constructeurs généralistes sont d'ailleurs une nouvelle fois à la peine, y compris Toyota, et leurs résultats se dégradent même en moyenne de deux points (à l'exception notable de Citroën) : peuvent-ils vraiment inverser cette tendance et si oui, comment pourraient-ils le faire ?
RP. Les généralistes ont, en effet, plus de difficultés à faire progresser l'engagement client, à maintenir cet engagement à un haut niveau dans le temps, jusqu'à ce que le client décide de renouveler son véhicule. Ceci dit, les écarts observés entre eux sont très importants ! Sans entrer dans les détails de l'analyse des 24 marques retenues cette année, il me semble important de rappeler que le facteur émotionnel occupe une place centrale dans la construction de l'attachement client. Et c'est précisément sur les dimensions créatrices d'enthousiasme que les généralistes sont un peu à la peine…
JA. Assimilé à un généraliste par le consommateur, le succès de Dacia peut-il inspirer d'autres marques ?
RP. Oui, le succès de Dacia peut inspirer d'autres marques. Il doit encourager les marques généralistes à aller vers plus d'originalité dans leur offre, dans leur positionnement marketing pour se différentier des concurrents. Dacia doit son succès à la clarté et à la lisibilité de son offre sur le marché. Pour les possesseurs de Dacia, les modèles de la marque ont de la personnalité et du caractère ! Les marques généralistes sont trop souvent timorées en la matière.
JA. Quel scénario d'avenir retenez-vous pour le low-cost, sachant que tous les constructeurs généralistes y travaillent, à visage découvert ou non ? Pour quelles implications ?
RP. Il existe un potentiel important pour le "low-cost" automobile en France car ce marché est constamment alimenté par des acheteurs toujours plus sensibles aux prix, comme l'a montré le succès de la prime à la casse, par le flux de nouveaux acheteurs issus du marché VO et par les arbitrages des ménages dans les dépenses de consommation qui sont souvent effectués aux dépens de l'automobile. Si Dacia a indiscutablement une longueur d'avance, nul doute que la concurrence va se durcir avec le lancement de nouveaux modèles, ce qui contribuera à stimuler le développement du marché des véhicules à bas coûts. A moyen terme, il faut aussi s'attendre à l'arrivée de nouvelles offres de la part de constructeurs issus des grands pays émergents comme la Chine, l'Inde ou le Brésil.
JA. Même si elle n'y a pas encore pris toute son ampleur, l'ère numérique fait désormais partie du paysage hexagonal. Quelles incidences majeures cela a-t-il sur le profil des consommateurs et sur leurs rapports aux marques ?
RP. L'irrésistible montée du numérique est en train de transformer profondément l'économie et les relations sociales dans nos sociétés, le digital change notre vie de travailleur, de citoyen, de parent et de consommateur. Les gens passent en effet de plus en plus de temps sur Internet pour s'informer, pour travailler, pour communiquer et se distraire, mais aussi pour rechercher les produits et les services qui répondent le mieux à leurs attentes du moment. Les échanges entre consommateurs via les réseaux sociaux, les forums ou les blogs augmentent de façon exponentielle et génèrent un contenu éditorial considérable qui échappe aux marques. Cela est particulièrement vrai pour l'automobile. Les consommateurs aiment parler de leur voiture, de leur expérience passée ou en cours avec les marques automobiles et leurs réseaux. Ils aiment échanger sur la voiture qu'ils viennent d'acheter ou sur leur prochain achat automobile. Ils ont un accès plus aisé à toujours plus d'information, une information de plus en plus indépendante des marques issue, en particulier, des avis et retours d'expérience d'autres consommateurs auxquels ils accordent beaucoup de crédibilité. Les consommateurs sont en train de prendre conscience du pouvoir croissant que leur donne le web dans le processus d'achat d'une automobile et au-delà, dans la gestion même de la relation avec les marques.
JA. Comment reprendre la main, en partie, face à un consommateur prescripteur et volontiers dirigiste autant que versatile ?
RP. Avec Internet le contrôle est clairement passé entre les mains du consommateur. Internet donne à chaque acheteur potentiel le moyen de maîtriser chaque étape de son processus d'achat automobile et de décider quel est le moment le plus propice pour échanger avec les marques et entrer en contact avec les réseaux de distribution. L'essentiel du processus d'achat, allant de la recherche d'information auprès d'une grande variété de sources, y compris auprès des consommateurs, jusqu'à l'évaluation des offres ayant attiré son attention se déroule de plus en plus souvent sur Internet. Lorsque l'acheteur se présente dans les points de vente, les vendeurs ont affaire à un consommateur qui a développé une certaine expertise du ou des produit(s) qu'il envisage sérieusement d'acheter et qui sait ce qu'il veut ! L'enjeu, pour tout constructeur automobile, est donc, d'une part d'être très présent et très visible pendant la phase de recherche active on-line du consommateur en accordant tout particulièrement son attention aux feedbacks donnés par ses clients sur le web et d'autre part, en redéfinissant le rôle de son réseau de distribution dans ce nouvel environnement digital. Les marques doivent prendre en compte ces nouveaux points de contacts clients pour optimiser le retour sur investissement de leurs dépenses marketing.
JA. Les consommateurs ne sont pas prêts à payer significativement le surcoût des avancées environnementales et cet argument importe pour l'heure peu dans la décision d'achat. Alors que la communication des constructeurs est d'ores et déjà saturée de messages environnementaux, comment voyez-vous cette situation évoluer à l'avenir et cette révolution technologique, encore à son aube, peut-elle bousculer la hiérarchie existante entre les marques ?
RP. Malgré une sensibilité écologique grandissante, les particuliers ne sont effectivement pas prêts à payer beaucoup plus pour avoir un véhicule propre sauf si l'usage des véhicules thermiques dont ils disposent est fortement contraint par la loi demain. Même en tenant compte des incitations fiscales, les prix de vente annoncés des premiers VE restent encore trop élevés pour la plupart des consommateurs individuels. Les interrogations autour des infrastructures nécessaires au VE sont également un frein à l'achat. Les constructeurs l'ont bien compris. Pour vendre leurs VE, ils tablent prioritairement sur les entreprises et les administrations qui bénéficient de mesures de soutien de l'Etat et des collectivités territoriales et sont prêtes pour soigner leur image à engager une politique volontariste d'équipement en VE. Mais ce qui importe aujourd'hui, c'est d'amorcer le développement du marché du véhicule électrique pour permettre, d'une part aux constructeurs d'acquérir l'expérience nécessaire pour passer aux étapes suivantes et d'autre part, à certains automobilistes de prendre conscience que les VE peuvent satisfaire pleinement leur besoin de déplacements. Il est indiscutable que le VE aura sa place dans les années à venir mais je ne le vois pas aller au-delà de 5 % des ventes mondiales de véhicules d'ici 2020 !… Sauf si la Chine décide dans les mois qui viennent de lancer un très ambitieux et volontariste plan VE ! Dans cette hypothèse, je ne doute pas que cette révolution technologique contribuera à bousculer la hiérarchie mondiale entre les constructeurs.
JA. Avec votre vision internationale, et notamment votre expertise des pays dits émergents, comment mettriez-vous en perspective les résultats de cette étude française ?
RP. Dans les pays émergents la gestion de la relation clients est importante mais les enjeux pour les marques et les constructeurs se posent dans des termes différents. Sur ces marchés, la demande comprend une part très élevée de premiers acheteurs VN, c'est-à-dire de consommateurs achetant pour la première fois une voiture. Ces primo accédants peuvent représenter plus de 50 % des ventes VN et ont une faible connaissance et maturité automobile ! Sur ces marchés automobiles jeunes bénéficiant d'une croissance des immatriculations supérieure à 10 % par an, les constructeurs sont plus tournés vers la conquête de nouveaux clients que vers la gestion de la relation clients. Face à une offre "produits" qui se développe très vite pour répondre à la demande, les renouvelants n'ont que l'embarras du choix et sont très peu fidèles !
JA. Pour conclure, pensez-vous que le Mondial de Paris sera un Salon post-crise ou un Salon de la reprise ?
RP. Si par "Salon de la reprise" vous entendez reprise des tendances automobiles d'avant la crise, alors cela sera un "salon post-crise" ! Car même si nous n'en voyons pas encore très distinctement les effets aujourd'hui, l'automobile a amorcé une vraie révolution. Ce qui lui permettra d'ailleurs de relever de nombreux défis dans les années à venir.
Sur le même sujet
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.