Rémy Pothet, directeur Global Automotive Sector
Journal de l'Automobile. Que vous inspirent les résultats du palmarès de cette seconde édition des Grands Prix des marques ?
Rémy Pothet. Tout d'abord le maintien à un haut niveau de l'indice TRI'M mesurant l'attachement des clients à leur marque automobile. En effet, cet indice est passé de 89 à 90 pour l'ensemble du marché automobile en France, un niveau élevé et supérieur à ce que l'on observe sur la plupart des autres marchés des biens de consommation durables. Ce résultat est d'autant plus intéressant, qu'il est obtenu dans un contexte de crise économique où l'automobile est souvent décriée, parfois même mise au pilori. Mais elle continue à être, émotionnellement, positivement investie par les utilisateurs. Par ailleurs, la diversité d'origine et de positionnement des marques que l'on retrouve dans le top 10 TRI*M de cette année : on y trouve, en effet, aussi bien les trois marques Premium allemandes que quelques grandes marques généralistes ou des marques positionnées "low-cost", ce qui démontre très clairement que toutes les marques ont leur chance de bien figurer dans le classement, à partir du moment où elles tiennent et maintiennent dans la durée la promesse faite à leurs clients. En outre, l'importance du facteur temps dans la gestion de l'expérience client est un autre enseignement important de cette étude. Les marques les plus performantes sont celles qui parviennent à maintenir un haut niveau d'attachement des clients au-delà des deux premières années de possession, sur toutes les dimensions de leur relation aux clients, et en particulier en matière de service après vente.
JA. L'entrée fracassante de Dacia dans le classement ne renvoie-t-elle pas précisément à cette notion de respect de la "promesse clients" ?
RP. Spontanément, il peut paraître surprenant de voir Dacia monter sur le podium "toutes marques et toutes catégories" et se classer 1er sur le segment des citadines, mais tout bien réfléchi cela s'explique très bien. Les possesseurs de Logan reconnaissent simplement qu'ils en ont pour leur argent. Ils achètent Logan pour disposer d'un véhicule neuf, solide, d'une taille respectable et à un prix très avantageux et considèrent que cette promesse est effectivement tenue par Dacia/Renault. Ils peuvent être critiques à l'égard du design de leur Logan ou Sandero, mais cet aspect étant pour eux moins important que le rapport coût/fonctionnalité de leur modèle, cela n'entache pas leur niveau d'attachement et leur satisfaction.
JA. Comment expliquer le retrait des généralistes en général et des français en particulier ?
RP. Il y a quelques généralistes dans le top 10, comme Toyota et Honda, mais il est vrai que la plupart des généralistes, notamment les marques françaises, se trouvent dans la deuxième partie du classement TRI*M. Il n'y a aucune fatalité à voir les marques généralistes mal classées puisque, rappelons-le une nouvelle fois, chaque marque est évaluée par ses propres clients et cette évaluation est réalisée à l'aune de la promesse faite par chacune à ses clients. Les marques généralistes rencontrent de plus en plus de difficultés pour fidéliser leurs clients, et se différencier les unes des autres. Elles sont coincées entre les marques haut de gamme qui cherchent à élargir progressivement leur base de clientèle et l'émergence et le développement des marques à bas prix. Certains de leurs clients sont attirés par les marques Premium en raison de leur image et de la qualité de leurs produits et d'autres par les marques offrant des produits très bon marché ou un rapport qualité/coûts tout à fait en rapport avec leurs attentes. Les marques généralistes traditionnelles se disputent donc un marché qui se contracte peu à peu et chaque contre-performance au niveau de la qualité des produits et du service après-vente se paie au prix fort, lorsque le client doit renouveler son véhicule. Si on ne choisit pas une marque automobile pour la qualité de son service après vente, il est, en revanche, fréquent de la rejeter parce qu'on a été déçu par la qualité de son service après-vente ou par les trop nombreux problèmes rencontrés en utilisant un de ses modèles.
JA. En ces temps de crise et de budgets contraints, quels axes d'amélioration essentiels faut-il mettre en avant ? Par ailleurs, à partir du moment où l'attachement aux marques demeure très élevé dans le secteur automobile, quelles pistes de différenciation préconiseriez-vous aux différents constructeurs ?
RP. L'attachement aux marques automobiles, en général, demeure élevé avec un indice de 80, mais la disparité des résultats entre les marques est grande puisque les scores vont de 97 pour la meilleure à 63 pour la moins bonne des 22 marques classées. L'attachement à la marque est élevé parce que l'automobile n'est pas seulement un objet à forte valeur d'usage, mais aussi un objet très fortement investi socialement et culturellement. Cette relation émotionnelle, que le client entretient avec l'automobile, transparaît notamment dans l'image qu'il a de sa marque et toutes les autres composantes de sa relation à la marque sont influencées par cette image. Les principaux leviers à actionner pour augmenter l'attachement des clients à la marque sont d'une part, une meilleure prise en compte du temps dans la gestion de la relation client et d'autre part, un positionnement plus affirmé sur le marché, un positionnement qui permette de montrer sa différence par rapport aux concurrents. On observe ainsi que l'attachement des clients à la marque diminue avec la durée de possession des véhicules et que, comme je l'ai déjà évoqué, les meilleures marques sont celles qui parviennent à maintenir cet attachement le plus stable possible dans le temps. Le décrochement intervient le plus souvent après la deuxième année ou la troisième année d'utilisation, lorsque la garantie s'achève et que le client se rapproche du moment où il va renouveler son véhicule. C'est en particulier sur la qualité produit et sur le service après-vente que la baisse dans l'attachement et la satisfaction est la plus prononcée et cela conduit par là-même à entamer l'image que le client a de sa marque. La recherche d'un positionnement plus net et d'une plus forte différentiation avec les concurrents doit aussi permettre de mieux construire l'attachement des clients à la marque en leur offrant une promesse plus lisible et plus visible.
JA. L'émergence annoncée, à moyen terme, de nouvelles solutions technologiques peut-elle vraiment remettre en cause la hiérarchie actuelle ?
RP. C'est possible, mais cela demandera beaucoup de temps car nous sommes au tout début du développement des alternatives à la motorisation 100 % thermique. Les premiers vrais véhicules électriques de série pourront être achetés par le consommateur moyen à partir de la fin de l'année prochaine et l'offre en véhicules hybrides va aussi s'étoffer dans les prochaines années. On voit bien que chaque constructeur essaie de faire les bons choix pour bien se placer sur ces marchés d'avenir. Là où la prise de risque est très importante eu égard aux incertitudes sur la taille du marché potentiel dans les 5 à 10 prochaines années.
JA. Dans ce contexte, quels enjeux intermédiaires vous paraissent essentiels ?
RP. Les changements, demain, ne seront pas seulement portés par les nouvelles formes de motorisation, mais le seront tout autant par les modes de consommation de l'automobile des ménages. Les deux vont de pair, se nourriront l'un de l'autre et contribueront à faire évoluer le rapport des hommes à l'automobile. Je suis convaincu que l'innovation dans ce secteur sera plus tirée par les utilisations de l'automobile, en particulier les nouvelles façons de s'en servir bien sûr, que par l'incorporation systématique de technologies nouvelles.
JA. En tant que spectateur expert et non en tant que juge, bien entendu, quels constructeurs disposent aujourd'hui d'une longueur d'avance sur ce sujet ?
RP. Les japonais ont indiscutablement une longueur d'avance. Pas seulement parce que Toyota et Honda sont des précurseurs en matière de motorisations hybrides, mais surtout parce qu'ils travaillent depuis longtemps sur l'automobile dans son rapport à la société en général. Et parce qu'ils collaborent avec des entreprises issues d'autres secteurs économiques pour essayer d'inventer l'automobile de demain. Pour s'en convaincre, il suffit de parcourir le salon de Tokyo, un salon différent de tous les autres grands salons automobiles car totalement tourné vers le futur. D'une manière plus générale, je pense que les constructeurs, qui tireront le mieux leur épingle du jeu de la mutation annoncée, sont ceux qui sauront décoder ou déceler les attentes latentes ou non encore exprimées des consommateurs. Et établir les bons partenariats stratégiques avec des entreprises d'autres secteurs d'activités pour développer des nouveaux produits et solutions de mobilité individuelle.
JA. Les résultats de cette étude réalisée auprès de clients français méritent d'être mis en perspective à un niveau international. Ces résultats renvoient-ils à une réalité européenne ou des modulations doivent-elles être apportées ? Par ailleurs, quid des fameux pays émergents ?
RP. L'étude a été développée en France, mais a vocation à être déployée sur les principaux marchés automobiles à travers le monde. Dans la plupart des pays européens, la manière dont se construit l'attachement des clients à la marque est comparable et il n'est pas étonnant de retrouver les mêmes marques dans le haut du classement. Les performances en matière de design automobile et de qualité produit participent activement à l'amélioration de la relation client. L'image de marque, déclarée par les clients comme pas très importante, joue en réalité un rôle clé. Et un mauvais service après-vente peut endommager durablement la confiance dans la marque. Dans les pays émergents, les aspects design et qualité produits jouent également un rôle important dans l'explication de la force de la relation client, mais l'image de marque n'est pas aussi présente dans ces marchés récents et en devenir. En revanche, les aspects économiques sont déterminants.
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