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Journal de l'Automobile. Quels sont les principaux enseignements que vous tirez de l'exercice écoulé ?
Bertrand Rakoto. Tout d'abord, on ne peut pas manquer de souligner que la prime à la casse a eu un effet majeur. C'est l'élément clé qui explique les résultats du marché français. Dans le détail, on s'aperçoit que le début d'année a été plutôt difficile, avant un rebond en mars, rebond enrayé en avril par les problèmes occasionnés lors de la mise en place du nouveau système d'immatriculations. En mai comme en juin, l'activité a été très soutenue, au-dessus des niveaux de 2008 qui étaient pourtant assez élevés. Traditionnellement en creux, la période estivale a bien résisté. Enfin, le dernier quadrimestre s'est révélé très dynamique, avec une forte anticipation en novembre et décembre. Par ailleurs, conjuguée au bonus-malus et à un pouvoir d'achat fragilisé, la prime à la casse a aussi profondément modifié le mix du marché, favorisant les petits modèles, notamment le segment des citadines.
JA. Ce bon résultat facial du marché français ne relève-t-il pas en grande part du trompe-l'œil ?
BR. On ne peut pas nier l'effet positif de la prime à la casse. Mais chacun sait que nous ne sommes pas en présence d'une croissance organique du marché. Elle est artificielle, nous aurons l'occasion d'y revenir. Par conséquent, la problématique du marché en valeur se pose avec acuité car ce sont surtout des véhicules à faible marge qui ont été vendus. En outre, ce sont des modèles majoritairement produits à l'étranger. Pour 2010, le principal enjeu sera donc de gérer la période post-prime, quand bien même serait-elle progressive. Pour les constructeurs, il s'agira de trouver le rythme de production le plus étale possible. Mais le nœud du problème concerne les réseaux. Bien que cherchant à opérer en direct sur Internet, chaque constructeur est préoccupé et ausculte son réseau pour savoir s'il faut un remède de cheval ou non… Pour les distributeurs, assurer les flux dans les show-rooms et ne pas vendre à perte constitueront deux enjeux majeurs. Surtout qu'avec la disparition d'un nombre significatif de véhicules âgés, le rattrapage par l'après-vente, souvent mis en avant, aura ses limites.
JA. Concrètement, quelles sont vos prévisions chiffrées pour 2010 ?
BR. La dynamique de la fin de l'année passée devrait permettre au marché de poursuivre sur un bon rythme au cours du 1er trimestre. Certains constructeurs parlent volontiers de 6 mois, mais nous estimons que cet effet sera un peu moins long. Cependant, sur tout l'exercice, nous tablons sur un recul du volume d'immatriculations de 11 %. Nous nous attendons aussi à ce que le mix segments se stabilise, faisant toujours la part belle aux segments d'entrée de gamme (minis et citadines), même si les compactes et les familiales peuvent se redresser légèrement. En revanche, le segment des grands monospaces, écartelé entre les monospaces compacts et les crossover 5+2, va continuer à souffrir.
JA. Peut-on en déduire que vous tablez sur une reprise non-artificielle en 2011 ?
BR. Le marché a été, et va rester en large partie, soutenu par les aides gouvernementales relayées par les mesures déployées par les constructeurs. A la fin de l'année 2010, nous devrions percevoir les premiers frémissements d'une reprise non-artificielle, avec un mois de décembre dans la moyenne (de l'ordre de 155 000 à 165 000 immatriculations). La reprise à proprement parler interviendra donc vraisemblablement en 2011. Il est d'ailleurs intéressant de noter que le plan produits des constructeurs français ne sera pas des plus denses à cette date.
JA. Quel degré de fiabilité donnez-vous à ces prévisions alors que le contexte économique demeure très incertain aux dires de nombreux analystes ?
BR. Il reste certes des interrogations, mais la visibilité est bien meilleure qu'il y a un an. Nous devrions effectuer moins de révisions des prévisions cette année. Bien entendu, cela dépend du contexte économique, à plusieurs niveaux, du prix du baril à l'intensité des incentives que déploieront les constructeurs. Néanmoins, 2010 s'annonce sur des bases plus fiables que 2009, d'autant que le cadre fiscal et le schéma de sortie des aides ont été définis à l'avance.
JA. Estimez-vous que l'essor de l'attrait pour les véhicules low-cost va aller s'amplifiant et se traduire par un nouveau gain de volume ?
BR. Ce qu'on appelle low-cost ne correspond pas strictement à un segment, mais à une typologie de clients. Des clients qui mettent en avant une approche très fonctionnelle de l'automobile et acceptent notamment de se satisfaire d'un niveau d'équipements restreint : vitres électriques, fermeture centralisée, voire la clim. Ce marché va prendre de l'ampleur dans la mesure où tous les constructeurs travaillent désormais dans le sillage de Logan. Toyota a annoncé un produit de cette nature, Fiat y travaille, il y a les projets M3 et M4 chez PSA, sans oublier Tata qui étudie les moyens de diffuser sa Nano… Même si la cible principale de ces modèles n'est pas les marchés matures, mais émergents, cela aura un impact chez nous. Surtout que ces véhicules apportent souvent des réponses à la problématique urbaine.
JA. A l'autre extrémité se trouve le segment Premium : doit-on s'attendre à un repli sur ce front ?
BR. Ce segment a souffert et souffre toujours, mais il n'y a pas de trou d'air en perspective. Le ralentissement du marché des entreprises, avec de nombreux reports de renouvellement, explique beaucoup de difficultés actuelles, mais d'une manière générale, la clientèle est bel et bien là et ne va pas disparaître. D'autant que les grands constructeurs du segment sont très réactifs sous l'angle environnemental, proposant des solutions très performantes. Ces constructeurs devraient donc maintenir leurs parts de marché, même si la conquête s'annonce plus délicate, hors variable exceptionnelle d'élargissement de gamme.
JA. Finalement, vu les tendances du marché et leur position parfois instable, les constructeurs semi-premium ne sont-ils pas les plus vulnérables ?
BR. C'est assurément l'une des grandes questions d'actualité. Ces constructeurs se retrouvent pris en sandwich entre les véritables Premium et les généralistes qui ont su monter en gamme. Dès lors, leur marge de manœuvre est réduite, d'autant qu'il est vrai que leur situation recèle bien des incertitudes. Par exemple, quels sont les desseins de Geely avec Volvo ? Alfa Romeo ne tendrait-elle pas à s'essouffler. Quant à la marque Saab, le groupe GM va-t-il la vendre à perte pour qu'elle disparaisse ensuite ou va-t-il dépenser de l'argent pour la fermer ? Bref, 2010 sera une année capitale pour ces marques, au-delà du seul Hexagone bien entendu. L'enjeu est aussi très sensible au niveau des réseaux qui distribuent ces marques.
JA. Revenons au marché en tant que tel, peut-on s'attendre à d'importants mouvements de parts de marché entre les marques en 2010 ?
BR. Il n'y aura pas de révolution. Disons que les marques qui ont beaucoup vendu en 2009 vont sans doute revenir à des niveaux plus communs. Cependant, dans cette catégorie, Dacia peut encore surprendre grâce à l'élargissement de sa gamme avec le lancement du Duster à un tarif très compétitif. Dans le même ordre d'idées, les généralistes qui ont enregistré de très bonnes performances avec une gamme assez courte vont voir leur volume se réduire légèrement, car ils ont souvent bénéficié des aides sur plusieurs petits modèles. En fait, au-delà des effets naturels des lancements, la configuration du marché 2010 favorisera les généralistes faisant valoir une gamme globale.
JA. Particulièrement exposé aux turbulences ces dix-huit derniers mois, le marché du VUL peut-il prendre un nouvel élan en 2010 ?
BR. Ce marché devrait être légèrement en hausse par rapport à 2009, mais une fois encore, la véritable reprise interviendra en 2011. Ceci étant, on peut aussi avoir une bonne surprise car ces véhicules roulant beaucoup, il faut bien les remplacer à un moment donné.
JA. Quelles sont vos prévisions à l'échelle européenne ?
BR. Les marchés européens se trouvent face à des perspectives très diverses. En Espagne, entre la fin programmée des aides et la hausse de deux points de la TVA, la situation restera critique et le marché 2010 n'excédera pas le million d'immatriculations. Au Royaume-Uni, la donne est aussi très compliquée et c'est sans doute un marché qui ne reviendra plus à son niveau d'antan. En Allemagne, l'arrêt des primes conduira logiquement à une déprime, mais ce ne sera que conjoncturel et le marché reprendra par la suite. L'Italie est dans un cas de figure assez similaire. Par ailleurs, sur les marchés d'Europe centrale, durement touchés par la crise, le potentiel demeure très important et prometteur.
JA. Quid des Etats-Unis et de la Chine ?
BR. Le marché américain va commencer à remonter la pente. Toutefois, il faut bien comprendre que ce marché a toujours été boosté artificiellement à grands coups de taux zéro ou de remises inouïes par exemple. Cela représentait en moyenne près de deux millions d'immatriculations chaque année. Donc il va progressivement revenir à son niveau d'avant, mais sans ces deux millions d'immatriculations peu fécondes. De son côté, le marché chinois possède une marge de progression très importante, comme l'Asie en général, et dans une autre mesure, l'Amérique du Sud.
JA. Sur ces bases, le marché automobile mondial sera-t-il en croissance en 2010 ?
BR. Il y aura croissance du marché automobile mondial en 2010. Ensuite, nous assisterons à une bascule très nette de la croissance vers les pays émergents, tandis que l'Europe de l'Ouest peinera à renouer avec des rythmes de croissance connus par le passé.
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