Portrait d'Alain Dassas : De l’ombre à la lumière
...à Viry-Châtillon, au bord de l'autoroute A6 dans la banlieue sud de Paris. Depuis 1992, ce Centre Technique héberge le développement des moteurs de F1 Renault. Près de 250 personnes travaillent derrière ces murs pour développer et exploiter les V8 des F1 d'Alonso et Fisichella. Dès l'entrée, il faut montrer patte blanche : laisser une pièce d'identité et tout appareil photo - même ceux des téléphones portables - à l'accueil. Dans le hall de réception, les photos des pilotes ayant couru pour la marque côtoient plusieurs moteurs des saisons passées. Plus loin, les produits dérivés, type casquettes, stylos et porte-clés, remplissent plusieurs vitrines. Il faut emprunter un escalier étroit pour arriver jusqu'au bureau du président du Renault F1 Team. Pour quelqu'un qui a vécu parmi l'effervescence new-yorkaise, Alain Dassas se retrouve aujourd'hui dans un lieu ultra protégé, où aucun visiteur n'a le droit de s'égarer… Son bureau, vaste et sobre, incarne un tout autre style de décor que celui perçu à l'entrée.
Un homme de l'ombre ?
Pourquoi un portrait d'Alain Dassas ? Il est vrai que lui-même s'était posé la question. Des deux, sans conteste, Flavio Briatore est beaucoup plus dans la lumière, le strass et les paillettes de la F1. Personnage people, connu pour ses coups de sang et ses humeurs jubilatoires, Flavio est l'homme de terrain idéal pour Renault. "Je l'ai rencontré lorsque Renault a voulu revenir en Formule 1 en rachetant l'écurie Benetton. Il est expert en la matière pour trouver un pilote. J'ai entièrement confiance en sa décision et puis Renault se doit d'être une équipe." Une équipe. MM. Dassas et Briatore. C'est le jour et la nuit. C'est le plus et le moins d'une pile. D'un côté le furieux, de l'autre, le calme. L'un est chahuteur, l'autre discret. Occupant anciennement le poste de directeur financier de Renault, Alain Dassas a donc accepté, en avril dernier, de devenir le directeur de l'écurie de Formule 1 à la place de Patrick Faure. Ce dernier avait souhaité prendre sa retraite dès les objectifs atteints. Fernando Alonso obtenait des résultats brillants, de quoi refléter un travail d'équipe remarquable. "Le plus dur était d'arriver à un moment ou tout allait bien", sourit Alain Dassas, "Patrick Faure a superbement bien rempli sa mission." La sienne donc, sera forcément de maintenir cette série de succès afin de conquérir un nouveau titre de Champion du monde. Est-il un homme de l'ombre ? Certainement pas. Alain Dassas est réservé mais il est loin d'être dans l'ombre de qui que ce soit. "Il faut être le meilleur parmi les meilleurs", disait son père. "Un modèle exemplaire", souligne-t-il en évoquant les hommes qui ont marqué sa vie. Ce sera l'unique instant d'attendrissement.
De New York à Paris
Alain Dassas grandit à Paris et sort diplômé de l'Ecole Supérieure de Commerce de Paris (ESCP). Avec en plus un DESS d'économie en poche, le jeune homme part pour la Californie où il décroche un Master of Management Science de l'Université de Stanford. A 27 ans, il commence sa carrière à la Chase Manhattan Bank pour laquelle il s'occupe d'un client qui tente une percée sur le sol américain : Renault. Le courant passe. En 1983, le constructeur français fait appel à ses services "Je travaille déjà pour vous", rétorque-t-il ! Il n'hésite pourtant pas à quitter ce temple de la finance pour travailler dans une entreprise qui, à l'époque, n'allait pas très bien. Il rejoint la direction financière en tant que directeur général du bureau de représentation à New York. Il n'y restera pas longtemps. Deux ans plus tard, Georges Besse succède à Bernard Hanon. Le nouveau président de Renault juge que l'entreprise n'a pas sa place aux Etats-Unis. Du moins, pas tout de suite. Il rapatrie Alain Dassas en France. L'aventure new-yorkaise se termine, Alain Dassas quitte cette ville tant aimée. Il ramène femme et enfants dans l'Hexagone et devient directeur central de la SFF (Société Financière et Foncière) puis directeur des relations bancaires et marchés financiers en 1988. Dans les années qui ont suivi son retour en France, Alain Dassas connaît des moments forts : "Avec Renault, ça bougeait tout le temps, acquisition, fusion…" Mais aussi, des échecs. D'abord avec Mac Truck aux Etats-Unis : l'achat n'a pas eu lieu. Puis en 1991, il entreprend de sérieuses négociations avec Volvo. Il est depuis un an directeur financier de RCI (Renault Crédit International) et participe aux tractations avec le constructeur suédois. En vain. "Cela ne devait pas se faire, tout simplement. Mais d'un point de vue apprentissage, l'expérience a été riche. De là, nous avons su mieux négocier et aujourd'hui nous avons acquis avec succès un partenariat avec Volvo Trucks." Il connaîtra des moments forts comme la privatisation de Renault, "un sacré changement, une aventure absolument superbe", ajoute le financier, ou encore la fusion avec Nissan, qui n'a fait que mûrir depuis 1999. En revanche, il a connu des épreuves douloureuses, dont l'assassinat de Georges Besse qu'il ne voudra pas commenter. Il y a eu le temps des crises, des fermetures d'usines et des grèves (22 jours à l'usine Cléon). Des expériences dont il tirera des leçons. Mais la finance reste son domaine jusqu'en 1997, lorsqu'il devient directeur des opérations financières de la marque. Son obsession : le contrôle des coûts.
Un vrai challenge
Côté F1, Renault a signé jusqu'en 2012. Michelin se retire à la fin de la saison 2006. "Ce sera un vrai challenge car nous ne connaissons pas les pneus Bridgestone. Ce sera une question d'adaptation." Mais avec un tel passé de financier, comment Alain Dassas perçoit-il la course automobile ? "C'est le troisième sport mondial avec une notoriété phénoménale. Le développement international de la F1 est un aspect très intéressant. Il me tarde d'aller découvrir le nouveau circuit de Shanghai. Pour Renault, il serait bon que de nouveaux grands prix naissent dans des pays qui sont des marchés importants, comme la Russie ou l'Inde." Alain Dassas est heureux d'entrer dans ce nouvel univers mais son rôle reste toujours le même : gérer au mieux. "Regardez notre motor-home, il n'a rien d'extravagant ! Je dois contrôler les coûts, sans que cela ne gêne les performances de nos voitures." Pour rééquilibrer les dépenses, il a fallu employer la manière forte, quitte à menacer, avec d'autres écuries, de créer un nouveau championnat parallèle à celui de la FIA. Depuis, de nouveaux accords commerciaux ont été signés avec Bernie Ecclestone. Malgré ce bras de fer, Alain Dassas n'éprouve aucune rancune envers le grand argentier de la F1 : "Un type remarquable avec lequel j'ai de bonnes relations". Petit, le nouveau président de Renault F1 Team aurait voulu être "chef de bande". C'est fait ! Son livre de chevet ? "Le guide Michelin"… Il joue le jeu, ne se prend pas au sérieux. C'est agréable. Sa voiture préférée reste la Vel Satis, "une excellente voiture". Il est à présent au cœur d'une équipe, forte et hautement médiatisée. Sa devise lui correspond "take your destiny in your hands or else somebody else will.*" Il l'a trouvé dans un livre dont la préface est écrite par Jack Welch, l'ex-P-dg de l'entreprise General Electric qui, sous sa direction de 1981 à 2001, a vu progresser son chiffre d'affaires de 364 %. Une référence pour un homme ambitieux.
*"Prends ton destin entre tes mains sinon quelqu'un d'autre le fera."
Natasha Hoole
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