"On fonctionne un peu comme un vieux couple !"
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Pouvez-vous nous raconter comment s’est passée votre rencontre avec Vincent Besson ?
JEAN-PIERRE PLOUÉ. Nous nous sommes rencontrés en 2000 quand j’ai rejoint le groupe. Il était donc déjà le patron du Produit chez Citroën. Nous ne nous étions jamais croisés avant et je ne peux pas dire qu’on m’avait beaucoup parlé de lui. Il se trouve que les choses se sont très bien passées très rapidement ! Cela mérite d’être signalé car la relation entre les départements Produit et Style n’est pas toujours un long fleuve tranquille… Elle est même souvent conflictuelle. De plus, dans notre cas de figure, un autre état de fait aurait pu créer une difficulté, car nous n’étions pas sous l’égide d’un même supérieur hiérarchique, Vincent étant rattaché à Claude Satinet, tandis que je rendais compte à Robert Peugeot. Mais en fait, nous avons très vite bien travaillé tous ensemble, avec un grand respect mutuel. Et surtout, surtout, il y avait une réelle volonté commune de construire et d’avancer, c’est à souligner.
JA. Quelle est votre relation, sachant qu’on vous prête un tempérament spontané, vif, explosif alors que Vincent Besson est davantage décrit comme un homme calme, diplomate, arrondissant volontiers les angles ?
J-P. P. Tout d’abord, je précise que dans la colère, Vincent peut être très explosif ! ça arrive très rarement et il faut le pousser loin, certes… D’ailleurs, entre parenthèses, j’adore le pousser, mais un peu seulement… Bref, lui peut exploser avec violence, tandis que moi, si je provoque souvent, je n’explose jamais ainsi. En revanche, c’est vrai que nous avons des natures très différentes. Je reconnais que j’ai tendance à être en ébullition en permanence, alors que Vincent est effectivement le plus souvent calme et très posé. Par ailleurs, Vincent est effectivement très diplomate là où je suis sans doute provocateur et il est très patient alors que je ne le suis pas pour deux sous ! Mais au final, nous travaillons très bien tous les deux et nous nous sommes vite inscrits dans une même dynamique, très positive. C’est vraiment ensemble, au sens fort du mot, que nous avons réussi à faire ce que nous avons fait. Cela ne tient pas qu’à nous, bien entendu, mais je pense que nos deux départements ont été des moteurs importants pour le renouveau de Citroën. C’est une belle histoire et c’est ce souffle qu’il nous faut conserver, au service des deux marques
désormais.
JA. Justement, n’est-ce pas beaucoup plus compliqué avec deux marques d’une telle envergure ?
J-P. P. Si, c’est plus compliqué, il ne faut pas se voiler la face. Vu l’étendue de ses fonctions, Vincent est forcément un peu moins proche du Produit. Quant à moi, je dois avant tout m’assurer que chaque marque reste dans son territoire et son image propre.
JA. Beaucoup de gens parlent de vous deux comme d’un duo très complémentaire : est-ce exact selon vous ?
J-P. P. Oui ! On fait un peu vieux couple ! C’est vrai qu’on fonctionne comme un vieux couple, surtout qu’on se taquine en permanence. Et puis, il m’arrive de lui faire la tête parce qu’il n’a pas fonctionné comme je le voulais et je sais qu’il n’aime pas ça ! Ou alors je boude, je ne lui réponds plus, et il fait alors un pas vers moi… Parfois, vu que je suis têtu, il se dit aussi : “ça y est, il va être pénible, il va revenir à la charge cent fois…”. Alors, je joue un peu avec tout ça. Surtout maintenant, car nous nous voyons moins qu’auparavant. Or, nous avons besoin de travailler ensemble et nos équipes aussi. C’est un peu une période d’adaptation liée à la nouvelle organisation du groupe et à nos nouvelles fonctions. Très honnêtement, j’aimerais qu’il soit plus présent. De son côté, il n’a pas le temps d’y penser, mais quand il y pense, il se fait peur… Surtout que ses équipes le lui rappellent. Nos deux équipes d’ailleurs. Quand elles voient que nous ne sommes pas ensemble, elles sentent presque qu’il y a un danger pour les projets, pour la capacité à avancer. Nous avons fait tellement de belles choses ensemble que le fait que le noyau soit un peu distendu, ça fait forcément un peu peur… Et pourtant, il n’y a pas de réel danger.
JA. A vous écouter, on comprend bien que votre entente est très forte et solide, mais pour éviter l’écueil du panégyrique sans chercher toutefois à polémiquer, qu’est-ce qui vous énerve chez lui ?
J-P. P. Plein de choses ! Cela fait partie de notre relation de travail et de notre amitié ! Vincent a toujours besoin d’évoluer en confiance, mais il a aussi toujours besoin de preuves. Il a besoin de temps aussi, il lui faut un parcours, un cheminement pour prendre ses décisions. Bref, il est prudent, alors que je suis volontiers fonceur, culotté parfois, même si je mesure toujours la prise de risque ! Là où je fonctionne à l’instinct, il avance avec une démarche intellectuelle, alors qu’il a lui-même un instinct juste et fiable, et beaucoup de finesse aussi.
JA. Diriez-vous que Vincent Besson a une approche intellectuelle du produit ?
J-P. P. Tout à fait, c’est le cheminement que j’évoquais à l’instant. Il est pourtant très émotionnel et sentimental, mais il cherche à le camoufler. Vous savez : il m’épate ! En présentation, en conférence, il sait composer une façade ! Il pourrait faire de la politique !!! Mais en fait, quand il laisse parler ses sentiments et ses émotions, ça marche aussi. Mais ça lui fait peur ! Je crois qu’il a besoin de valider intellectuellement son intuition. Alors que c’est aussi un instinctif ! Heureusement d’ailleurs, car c’est aussi pour cette raison que nous fonctionnons si bien ensemble… Ce serait plus dur s’il était véritablement sa composition de façade ! Quand il prend ses précautions, quand il fait ses salamalecs, “il faudrait d’abord que…”, “tu sais, Jean-Pierre, prenons du temps…”, il m’énerve !!! Mais comme nous sommes en confiance, je n’hésite pas à le bousculer. Parfois, je fais aussi l’effort de trouver les moyens de lui expliquer mon point de vue à sa manière, raisonnée et structurée, même si c’est moins dans ma nature… Bref, nous sommes complémentaires, avec beaucoup de respect, une réelle volonté de travailler ensemble, des différences donc, mais aussi beaucoup de points communs au fond.
JA. Retrouve-t-on cette rigueur dans ses présentations et ses argumentaires face à la direction générale au sein du groupe ?
J-P. P. Oui, ses présentations sont très précises et structurées. Il met la force de rhétorique de son côté. Parallèlement, il a aussi le sens du slogan, de la formule qui fait mouche. En outre, lorsqu’il est véritablement convaincu par un projet, fut-ce un projet complexe où il faut forcer la décision, c’est vraiment un excellent “vendeur”. Quand il est vraiment convaincu et en mouvement, il a alors une grande force de conviction.
JA. Comment définiriez-vous la nature de sa sensibilité en termes de style ?
J-P. P. En plus de dix ans, il a vraiment appris à appréhender le style et il maîtrise ce sujet. Il nous connaît maintenant parfaitement, nous comprend, et de fait, nous évoluons en confiance. Contrairement à ce qui se passe souvent, avec lui, le Produit ne cherche pas à dominer le Style. Il fait valoir une approche beaucoup plus intelligente et subtile. Et lorsqu’il fait certaines remarques, elles sont le plus souvent fondées. En fait, vu que nous nous faisons confiance, nous ne sommes jamais arrivés au stade du conflit. Parfois, nos projets avancent moins vite que ce que nous souhaiterions, mais il n’y a jamais de blocage. Quand les choses se passent moins bien, c’est que nous l’avons, lui ou un membre de ses équipes, perturbé, que nous avons créé un doute qui vient questionner cette confiance. Quand il y a une divergence, quand Vincent n’a pas eu le temps de faire le cheminement que j’évoquais par exemple, alors que nous, au Style, nous fonçons sans états d’âme, ce qui ne veut pas dire aveuglément pour autant, notre progression ralentit. Pour que les projets avancent, il faut que nous soyons en synergie, en osmose. De toutes les façons, seul, le Style ne peut pas grand-chose… Nous avons un grand pouvoir de proposition et de conviction dans le groupe, mais pour qu’une entreprise avance, il faut que les différentes directions aillent dans le même sens.
JA. Pour conclure sur un blockbuster, diriez-vous que vous partagez tous les deux la paternité de la ligne DS comme on a coutume de l’affirmer aujourd’hui, même si c’est un tic d’époque que de vouloir attribuer des projets à des individus et non à des équipes ?
J-P. P. Effectivement, ça ne marche pas comme cela et les équipes priment toujours, surtout dans des groupes industriels comme le nôtre. Cependant, oui, bien sûr, nous y sommes pour quelque chose. Disons qu’il y a eu une opportunité au sein du groupe, avec plusieurs changements, et nous avons su la saisir. Nous sommes passés par une petite fenêtre et nous avons ensuite déployé beaucoup d’efforts pour imposer le projet. Il se trouve que pour le moment, ça ne marche pas trop mal, donc tant mieux ! Fondamentalement, nous avons senti très tôt le besoin, la nécessité même, de monter en gamme. D’ailleurs, aujourd’hui, quasiment toutes les marques essaient de le faire… Parmi d’autres réflexions, nous étions donc convaincus que nous avions besoin d’une ligne de produits distinctive pour Citroën.
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FOCUS - Jean-Pierre Ploué et Vincent Besson en version Wikileaks
SMS, mails… Saurez-vous retrouver l’identité des émetteurs de ces messages qui traduisent mieux qu’un long discours le degré de connivence entre deux cadres dirigeants qui font les beaux jours de Citroën et désormais aussi de Peugeot…
“Alors l’homme de l’année, il l’a signée sa petite “dex” de volant ?”.
“La tartiflette te fait perdre le sens des réalités. Avant de faire quoi que ce soit, il faut être au clair sur ce que nous demandons. (…)”.
“Je pense que c’est toi qui as perdu le sens des réalités ! Au fond de la vallée, vous manquez d’oxygène…”.
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