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Constructeurs

Martin Winterkorn, président du directoire de Volkswagen AG

Publié le 8 mai 2009

Par Alexandre Guillet
14 min de lecture
"A l'issue de la crise et de la restructuration du secteur, il restera bien plus que cinq ou six constructeurs" C'est avec une grande affabilité que Martin Winterkorn...
...a répondu aux questions des membres du jury de l'Homme de l'année. N'éludant aucun sujet, même s'il reste volontiers discret sur sa personne et ses méthodes, il jongle avec une même précision sur les thèmes financiers et les sujets technologiques. Et réaffirme avec une patiente détermination les objectifs du plan 2018 et l'ambition de faire de Volkswagen le premier groupe automobile mondial à cette date. Précieuse rencontre avec un géant qui se fait rare en France.

Journal de l'Automobile. Au premier chef, que vous inspire cette distinction ?
Martin winterkorn.  Je pense qu'on ne peut s'imposer que dans le cadre d'une bonne équipe, c'est primordial. Il faut savoir s'entourer pour pouvoir prendre les bonnes décisions. C'est notre force chez Volkswagen et c'est sans doute l'une de mes forces. Je suis particulièrement content que cette dimension collective ait été prise en compte par le jury par rapport à une distinction individuelle.

JA. Comment définiriez-vous votre mode de direction par rapport à celui des autres grands dirigeants du secteur ?

MW. Je connais le style de management de mes homologues, notamment celui de mes homologues français. Ainsi, je rencontre régulièrement Carlos Ghosn à Davos. En fait, nous ne sommes pas vraiment différents les uns des autres. L'essentiel étant, je le répète, de savoir bien s'entourer et d'écouter, afin de prendre les bonnes décisions le moment venu.

JA. Au niveau de vos prévisions de marché, vous figurez parmi les plus optimistes : sur quoi cela est-il fondé ?

MW. Notre optimisme se fonde sur le fait que nous sommes convaincus d'avoir commencé suffisamment tôt à proposer les bonnes solutions, à savoir le downsizing et des moteurs 3 cylindres, mais aussi des véhicules plus petits et la gamme Small Family. Et nous le faisons sur toutes nos marques, comme en témoigne le projet A1 notamment. Ainsi, en 2009, nous allons produire 6 millions de moteurs. La part des moteurs de 1.4 et 1.6 va croître de 500 000 unités quand celle des 2.0 et autres diminuera de 500 000 unités. Nous avons su évoluer à temps, mais sans délaisser l'émotion et l'attractivité. Dans la situation actuelle et eu égard aux importants changements qui ont caractérisé le marché depuis deux ans, c'est un grand avantage.

JA. Selon vous, la diminution de la demande en Europe a-t-elle atteint son point bas ?

MW. Je vais laisser répondre monsieur Klingler ! (rires). En fait, nous ne nous prononçons pas encore. En effet, la prime à la casse peut créer un effet d'aubaine dans certains pays, dont l'Allemagne et la France, mais on ne sait pas si cela va durer et par ailleurs, d'autres pays sont toujours sinistrés, comme l'Espagne ou le Royaume-Uni.

Christian Klingler :
En outre, des dispositifs de type prime à la casse sont aussi actuellement à l'étude dans d'autres pays. Mais à plus long terme, quid de la pérennité des effets de ces dispositifs ? Face à tant d'incertitudes, il convient de rester vigilant et de scruter les moindres mouvements des marchés européens.

JA. Estimez-vous que la relation des clients à l'automobile change vraiment radicalement en ce moment ?

MW. Je ne sais pas si on peut être aussi catégorique. Une chose est sûre : les clients veulent une contrepartie très équitable de l'argent qu'ils dépensent sur ce poste budgétaire. Un poste budgétaire plus contrôlé qu'auparavant, ce qui renvoie au phénomène du downsizing. Cependant, si les clients demandent des véhicules et des moteurs plus petits, ils restent très friands d'équipements et de bons niveaux de finition.

JA. Au-delà des résultats financiers du 1er trimestre, à quel niveau se situe votre régression en volume ?

MW. D'un côté, nos volumes progressent significativement en Chine, au Brésil et en Allemagne et d'un autre côté, le marché mondial est au global en retrait de l'ordre de 20 %. Nous suivons donc cette tendance baissière. D'une manière générale, nous tablons sur un recul du marché mondial, en volume, de 20 % en 2009 et nous estimons que le groupe affichera un retrait limité à 10 %.

JA. Baisse des volumes, demande intense sur des petits modèles : comment un constructeur généraliste peut-il rester rentable dans ce contexte ?

MW. Malgré cette évolution, il est possible de rester rentable. Donc si monsieur Klingler vend plus de petits véhicules, il lui incombe de vendre plus d'équipements et de prestations annexes. Par ailleurs, nous pouvons aussi compenser la baisse des volumes par des programmes de réduction des coûts à l'échelle du groupe. Grâce à un système modulaire transversal, nous allons significativement réduire les coûts de nos modèles à venir. C'est le pendant du système modulaire longitudinal en vigueur chez Audi depuis plusieurs années et qui a fait ses preuves.

JA. Comment préparez-vous la sortie de crise tout en intégrant la variable des primes à la casse sachant qu'elles engendrent souvent un choc qu'il faut aussi amortir ?

MW. Si vous prenez le cas de l'Allemagne, les prévisions initiales tablaient sur un marché 2009 de l'ordre de 2,75 millions d'immatriculations. Vu l'envergure de l'impact de la prime à la casse, nous pouvons raisonnablement penser que l'exercice se clôturera aux alentours de 3,5 millions de ventes. Soit un delta de 800 000 à 1 million de véhicules ! Dans ce périmètre, on peut estimer qu'il y a environ 50 à 60 % de personnes qui n'auraient en aucun cas acheté une voiture sans le dispositif d'aide. Dès lors, nous pensons que le marché allemand connaîtra un recul de ses ventes en 2010 pour un résultat de l'ordre de 3 millions d'unités. Nous mettons d'ores et déjà des moyens en œuvre pour que le groupe enregistre une baisse moins forte que celle du marché et qu'il gagne ainsi des parts de marché.

JA. Volkswagen pourrait dépasser General Motors dès cette année : est-ce important à vos yeux ?

MW. C'est important, bien entendu. Dans une période normale, nous nous en réjouirions, mais vu le contexte et la situation de GM, ce n'est pas le cas, je vous assure.

JA. Vous évoquiez le downsizing : à votre arrivée à la tête du groupe, n'avez-vous pas regretté le faible nombre de petits modèles compétitifs disponibles ?

MW. Je me souviens d'une réunion de janvier 2007. Nous avons beaucoup discuté avec tout le staff et nous avons conclu qu'il nous fallait une petite voiture. J'ai alors dit à Walter de Silva de me dessiner un petit modèle positionné encore en dessous de la Polo et ce pour toutes les marques du groupe. C'est ainsi qu'est née la Small Family Car. Elle verra le jour dès la fin de l'année 2010 et disposera d'une capacité de production annuelle de 400 000 unités.

JA. Si vous passez le groupe en revue, estimez-vous que toutes les marques ont bel et bien trouvé leur juste place ?

MW. Audi est parfaitement positionnée dans le haut de gamme et Volkswagen n'a pas de problèmes non plus. Dans le pôle du luxe, Lamborghini et Bentley sont bien placées ; je parlerais moins de Bugatti qui est un cas particulier. En fait, il ne nous reste plus qu'à corriger certains aspects pour Seat et Skoda. Skoda doit clairement se positionner comme le maximum de valeur utile par rapport à l'argent investi. Et Seat est allée trop loin dans la sportivité et doit revenir dans une dimension plus large. Ce travail est d'ores et déjà à l'ordre du jour.

JA. Contrairement à Skoda qui vend beaucoup de choses en interne, notamment des moteurs, Seat semble vraiment plus démunie, d'autant que son appareil industriel laisse à désirer. A-t-on raison de considérer que la marque est en péril ?

MW. L'effondrement dramatique des ventes de Seat est essentiellement lié à celui du marché espagnol. Il ne faut pas perdre de vue que Seat a 10 % de parts de marché en Espagne. Dès lors, il faut savoir courber l'échine, mais cela ne remet pas en cause l'avenir de la marque au sein du groupe. Nous croyons en son avenir et j'en veux pour preuve les 400 millions d'euros investis dans le plan produits. Ce sont ces nouveaux produits qui garantiront sa survie.

JA. Quelles marques mettez-vous en avant par rapport aux grands marchés qui constituent la carte du monde automobile ?

MW. Au-delà de l'Europe où les choses sont connues, nous nous organisons comme suit. En Russie, avec Volkswagen, Audi, Skoda, Lamborghini et Bentley. En Amérique du Nord, nous misons sur Audi, Volkswagen, Lamborghini et Bentley, tandis qu'en Amérique du Sud, Audi, Volkswagen et Seat sont mises en avant. En Chine, Volkswagen et Audi sont présentes depuis longtemps et Skoda vient les rejoindre avec un objectif de 100 000 ventes cette année. En Inde, nos fers de lance sont Skoda, Volkswagen et aussi Audi. Enfin, n'oubliez pas que Scania couvre le monde entier.

JA. La Banque Européenne participe au financement de votre investissement en Inde. Dès lors, n'aurait-il pas été plus indiqué de localiser ce site de production dans la zone Europe ?

MW. Il ne faut pas raisonner en ces termes. Tout d'abord, pour s'ouvrir le marché indien, il faut produire localement en nouant des partenariats avec des fournisseurs locaux, ce qui est d'ailleurs valable aussi sur d'autres marchés. Plus généralement, un groupe mondial ne peut pas produire qu'en Europe, ce serait une hérésie. En outre, il est stérile de se focaliser uniquement sur le lieu de production. Si vous prenez l'exemple de la Polo par exemple, vous verrez qu'elle est produite en Espagne, mais que ses moteurs sont produits en Allemagne, une partie de ses garnitures en France, etc. Très médiatique, la notion de localisation est plus complexe qu'il n'y paraît de prime abord.

JA. Parvenez-vous à rester maître des opérations en Chine où vous vous développez via des joint-ventures ?

MW. Nous avons effectivement deux joint-ventures qui fonctionnent bien et notre position est suffisamment forte pour que nous puissions imposer nos vues. Par ailleurs, nous développons aussi notre propre distribution. En outre, vu que nous proposons en Chine les mêmes produits que dans les autres régions du monde, les décisions ayant trait à l'ingénierie et au design sont validées à Wolfsburg.

JA. Le rapprochement entre votre groupe et Porsche a fait des vagues. Concrètement, quels changements d'organisation et quelles coopérations sont à attendre ?

MW. Il n'y a pas de changement dans l'organisation et dans les méthodes de travail. L'accord est très clair et respecte la nature des deux groupes. Ainsi, Volkswagen garde son cap, matérialisé par le plan Stratégie 2018. Par ailleurs, les coopérations entre les deux groupes existaient déjà. L'exemple du développement des Touareg et Cayenne en est une parfaite illustration. A l'avenir, ces coopérations seront naturellement renforcées, car c'est aussi l'avantage de ce rapprochement. La Panamera montre ainsi la voie : au-delà du partage de certains composants, elle sera assemblée sur le site Volkswagen de Hanovre et son électronique est directement issue du système longitudinal Audi.

JA. Dans quelle mesure le fait d'avoir Porsche au capital est-il un atout et quand le cap des 75 % du capital va-t-il être atteint ?

MW. C'est incontestablement un atout car les familles Porsche et Piëch et le Land de Basse Saxe sont des gages de stabilité et de solidité. Par rapport au seuil des 75 %, il faut poser la question aux dirigeants de Porsche…

JA. Il paraît qu'il n'est pas toujours facile de travailler avec monsieur Piëch, est-ce vrai ?

MW. Ah bon ? Moi, je travaille avec lui depuis 30 ans et je m'en réjouis !

JA. Sergio Marchionne, administrateur délégué de Fiat, pariait récemment sur une forte réduction du nombre de constructeurs mondiaux, avançant qu'il n'en resterait que 5 ou 6 prochainement. Partagez-vous cet avis et si concentration il doit y avoir, pensez-vous qu'elle passera par des fusions capitalistiques ou par des partenariats industriels ?

MW. Je ne partage pas forcément cette vision des choses. Regardez en Chine : il y a environ 150 marques automobiles ! Regardez en Corée. Bref, à l'avenir, il restera les deux français, trois allemands, deux japonais, quelques constructeurs aux USA, d'autres en Chine et d'autres en Corée. Donc, nous aboutissons à un total supérieur à 5 ou 6.

JA. Quels sont vos axes de recherche prioritaires par rapport au vaste et coûteux défi des énergies alternatives ?

MW. Nous investissons et nous menons des recherches dans de très nombreuses directions. Cependant, certaines solutions se dessinent à long terme et dans les vingt prochaines années, le moteur à combustion sera encore sur le devant de la scène. Le downsizing est très prometteur et de nouvelles avancées sont programmées en termes de consommation et de maîtrise des émissions. A plus long terme, l'hydrogène ne manque pas d'intérêt, mais il pose d'importants problèmes logistiques. N'oublions pas qu'il s'agit de l'atome gazeux le plus petit de la planète, avec un point d'ébullition extrêmement élevé… Bref, on ne peut pas imaginer les solutions hydrogène en série avant une vingtaine d'années. Par rapport au véhicule électrique, le problème ne se situe pas au niveau du moteur, mais des batteries. Avec des problèmes de fiabilité, de coûts, etc. à résoudre. Nous explorons cette voie avec des partenaires japonais de premier ordre, mais honnêtement, les premières batteries convenables ne devraient pas être disponibles avant 2012. En outre, le problème de la sécurité n'est pas anodin : les batteries qui brûlent dans les ordinateurs ont fait grand bruit, alors imaginez ce qui se passerait si un tel cas de figure se présentait dans un véhicule…

JA. Ne pensez-vous pas qu'il existe encore une grande marge de manœuvre pour réduire les coûts de distribution ?

MW. Je vais laisser répondre monsieur Klingler sur ce point.
Christian Klingler : Il reste effectivement un potentiel énorme de réduction des coûts de distribution. Nous y travaillons. Par ailleurs, il faut savoir que 300 000 personnes travaillent pour la distribution de Volkswagen dans le monde. Forcément, je l'admets volontiers, elles ne travaillent pas toutes de la même manière. D'où les efforts que nous déployons pour uniformiser les méthodes et les process, dans le respect des spécificités de chaque marché bien entendu.

JA. Sur fond de crise, la compétition reste-t-elle un vecteur de développement et d'image important pour le groupe ?

MW. Beaucoup d'innovations de série sont issues de la compétition, il faut le savoir. Donc, il serait inepte de raisonner en coûts bruts. La compétition ne saurait se réduire à la seule passion et au seul plaisir du département Sports. C'est une mission qui dépasse ce cadre. En fait, ce n'est pas une dépense, mais un investissement. Et en plus, nous gagnons, donc il n'y a pas lieu de remettre en cause notre engagement en compétition automobile.

JA. Les aides d'états se multiplient, vous avez d'ailleurs dénoncé le protectionnisme français, et en Allemagne, le problème Opel se pose actuellement avec acuité. Quelles sont les justes limites à respecter par rapport à l'intervention des états selon vous ?

MW. Notre position est très claire et frappée du bon sens. Si les pouvoirs publics accordent des garanties, ce n'est pas une distorsion de la concurrence et il n'y a rien à redire. En revanche, s'il s'agit d'aides directes ou de mouvements de trésorerie, les choses sont totalement différentes et cela parasite le jeu de la saine concurrence. Par exemple, aux Etats-Unis, on ne peut pas cautionner le fait que Chrysler utilise l'argent de l'état pour financer ses incentives !

JA. A propos de Chrysler, êtes-vous satisfait par le partenariat qui vous unit aux Etats-Unis ?

MW. Ce fut effectivement une coopération très positive, mais il est clair que ce n'est actuellement pas la plus prometteuse.

JA. Plusieurs équipementiers et systémiers sont actuellement en grandes difficultés, pensez-vous les aider, voire les intégrer ?

MW. Nous n'avons pas vocation à les intégrer, c'est clair. En revanche, dans certains cas, nous pouvons les aider, c'est aussi notre intérêt.

JA. La crise qui frappe le marché américain ne constitue-t-elle pas un gros obstacle pour que la marque Audi atteigne ses objectifs ?

MW. Je pense que la crise américaine va atteindre son point culminant cette année. Ensuite, elle sera progressivement surmontée. J'en suis d'autant plus convaincu qu'aux Etats-Unis, il faut des voitures, c'est une nécessité. Infrastructures, économie, tout est fait pour dicter une forte demande. Par conséquent, la position d'Audi est plutôt favorable. Sa relative faiblesse historique sur ce marché devient une force dès lors qu'on reparle de croissance. Nous confirmons donc les objectifs du plan 2018 relatifs au marché américain : 200 000 ventes pour Audi et aussi 800 000 ventes pour Volkswagen.

JA. Pour conclure, le plan Stratégie 2018 prévoit que le groupe devienne le leader automobile mondial : Toyota est-il votre principal concurrent par rapport à cet objectif ?

MW. C'est assurément Toyota qui sera notre principal concurrent dans cette entreprise.

Propos recueillis dans le cadre de la rencontre entre Martin Winterkorn et les membres du jury de l'Homme de l'Année.

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