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Constructeurs

L’innovation est un vecteur de compétitivité

Publié le 12 octobre 2007

Par Tanguy Merrien
10 min de lecture
Journal de l'Automobile. Quelles sont les solutions pour un équipementier occidental pour rester compétitif ? Guy Maugis. De nombreuses approches sont à envisager, le "lean manufacturing", la répartition des...

...produits par marché et leur localisation en fonction des complexités… ou encore l'innovation. L'innovation se place toujours comme un vecteur de compétitivité, l'innovation dans le nouveau produit et l'innovation dans la conception simplifiée. Nous pouvons ainsi dessiner des pièces dont les coûts de production sont moins élevés parce qu'elles ont été mieux conçues. C'est toute l'histoire de l'évolution des produits chez Bosch - et chez d'autres équipementiers d'ailleurs -, où, à chaque génération nous réussissons à gagner de 10 à 20 % en réduction de coûts, par simplification, par réduction de poids, par re-design, par meilleure adaptation du produit au process, et par augmentation des volumes. Pour certains produits, nous sommes capables d'obtenir des baisses de coûts de l'ordre de 5 % par an, voire plus.

JA. Les constructeurs vont vous demander encore plus de réductions…
gm. Soyons très prudents, les baisses de coût dépendent bien évidemment des familles de pièces et de la sophistication des produits : le coût pour l'ABS a dû être réduit par 4 ou 5 depuis 15 ans. Sur certains produits, nous arrivons, avec une nouvelle génération, à obtenir des baisses de coûts significatives par l'innovation de la conception, l'innovation n'étant pas seulement le fait de concevoir un produit beaucoup plus compliqué, ou sophistiqué qui apporte d'autres prestations. C'est aussi ce qui permet de faire la même chose de façon plus simple.

JA. Cela signifie toujours plus de recherche & développement ?
gm. Cela entre surtout dans une stratégie de groupe, et je dirais aussi de politique globale dans la répartition des activités et des sites. Prenons l'exemple des outils à mains électroportatifs qui nécessitent beaucoup de main-d'œuvre, beaucoup d'assemblage et dont la production, naturellement, pour la plupart des acteurs, doit être effectuée dans des pays low cost. Pour des raisons de philosophie de groupe, et de stratégie, nous avons décidé de garder les usines allemandes qui étaient jusqu'alors dédiées à cela et maintenu les deux mille emplois. Dans ces deux usines, nous mettons au point les produits, - en moyenne 150 lancements de produits ont lieu chaque année. C'est-à-dire que les opérateurs qui travaillent en Allemagne et dont les compétences ont été accrues, fabriquent les outils, les testent, vérifient la facilité d'assemblage, font évoluer les lignes d'assemblage et ce, pendant une période d'environ six mois. Une fois que tout est rôdé, les lignes de production sont démontées et amenées dans des pays où les coûts de production vont nous permettre d'être concurrentiels à l'échelle mondiale. Ce qui veut dire que nous maintenons l'emploi en Allemagne en transformant une usine de production pure en usine pilote de lancement de pré-séries, et de mise au point de nouveaux produits. C'est d'ailleurs ce que nous allons faire en Normandie dans le domaine de la mécatronique puisque nous avons les compétences et les technicités nécessaires pour lier mécanique et électronique.

JA. Vous devrez donc avoir un personnel toujours plus qualifié et spécialisé en Europe ?
gm. Dans la mesure où nous coûtons trois ou quatre fois plus chers qu'ailleurs, nous devons apporter trois ou quatre fois plus de valeur. Sinon nous considérons que nous sommes sur un marché mondial de la main-d'œuvre. Et ce qui est vrai pour les ingénieurs, qui sont très mobiles, ne l'est pas pour toutes les catégories de personnel

JA. Des milliers d'ingénieurs sortent chaque année des grandes écoles asiatiques, vous ne craignez pas qu'ils vous attaquent sur le terrain de la valeur ajoutée ?
gm. C'est à nous d'être meilleurs qu'eux. En production, normalement, un opérateur qui a dix ans d'expérience doit être capable de faire une mise au point plus fine et de meilleure qualité qu'un autre qui, avec toute sa bonne volonté, n'a que deux ou trois ans d'expérience. Ou alors, c'est nier toute la valeur de l'expérience dans des métiers de fabrication et des métiers techniques comme les nôtres. Ce qui serait hérétique.

JA. Les constructeurs automobiles font des déclarations en faveur de la réduction des versions pour limiter les coûts, cela traduit-il une volonté de vous soutenir dans la protection des emplois en Europe et plus généralement dans les pays low-cost ?
gm. Les préoccupations des constructeurs, des directions des achats, se concentrent sur l'obtention du meilleur produit, du meilleur couple prix-délai. Les problèmes d'emploi de leurs sous-traitants, à juste titre, n'entrent pas dans leurs réflexions. Tout au moins dans les pays historiques, à coûts de main-d'œuvre élevés. Cela est moins vrai dans les pays où ils veulent s'implanter parce qu'il leur est souvent nécessaire, alors, d'apporter du "local content", qui se traduit par de la création d'emplois locaux. Ils incitent donc très fortement les équipementiers à s'implanter à leurs côtés. Et ce pour plusieurs raisons : "raisons contractuelles" avec les pays (exemple en Russie, où le nombre d'emplois induit l'exonération de taxes etc.), raisons d'impératifs de qualité et plus encore, de réactivité (disposer à proximité des compétences technologiques des fournisseurs est une garantie). Ou encore parce que créer des emplois génère de la valeur, influe sur l'économie du pays et permet de vendre des voitures !

JA. Avez-vous relevé de la part des constructeurs une volonté de réduire leurs prétentions dans la démultiplication des versions et des partenaires… ?
gm. Les réflexions sur la réduction des coûts restent toujours difficiles dans nos mentalités occidentales. La relation client-fournisseur s'avère souvent un peu déséquilibrée, on peut l'appeler partenariat, mais elle est rarement une pleine relation de confiance parce que, culturellement, ce n'est pas naturel chez nous. Dans nos pays, si quelqu'un obtient de bonnes conditions, c'est forcément au détriment de l'autre. Ce constat peut être fait dans les négociations commerciales et aussi dans les relations syndicales ou politiques. C'est très européen et très français. De vraies relations de partenariat sont davantage possibles avec des groupes japonais pour lesquels tout le monde peut gagner sans qu'il y ait de perdants obligatoires. Pour une entreprise comme Toyota qui prend comme base le prix du marché. Sa position est : "Le prix est fixé par le marché et il faut qu'on travaille ensemble pour réduire les coûts si on veut avoir un profit à la fin." Le profit est le résultat pas l'objectif. La réduction des coûts est un travail en commun. Parce que le prix de marché est une donnée externe avec laquelle il faut bien vivre.

JA. Et lorsque Carlos Ghosn ou Christian Streiff annoncent vouloir sortir deux fois plus de modèles en deux fois moins de temps et que cela coûtera 30 % moins cher, quel est votre sentiment ? Vous consultent-ils avant ?
gm. La démultiplication des produits annoncée ne plaide pas en faveur de la facilité pour l'équipementier en termes de conception. Et non, ils n'ont pas à nous consulter, c'est leur stratégie, donc ils la mettent en place. Sur le "deux fois plus de modèles et deux fois plus vite", nous allons sans doute y arriver.

JA. Comment allez-vous faire ?
gm. En premier lieu, si nous allons plus vite, nous allons, mathématiquement, dépenser moins d'argent parce que nous allons passer moins de temps, mais c'est difficile de faire cela. Ce qui nous inquiète le plus réside dans le grand challenge de la maîtrise de la qualité. Nous avons, en effet, aujourd'hui des processus de validation qui sont longs, et quand nous disons qu'il faut tester un moteur pendant 5 000 heures, cela prend effectivement 5 000 heures. Nous savons évidemment faire des tests accélérés mais seront-ils complètement représentatifs ? Notre inquiétude s'exprime ainsi. Prenons un exemple plus concret, si nous voulons faire des mises au point d'ESP sur un lac gelé, nous ne pouvons le faire que sur un lac gelé. Si le programme doit être avancé de six mois, le lac n'est plus gelé, c'est très prosaïque mais c'est la réalité. Cela se traduit par la recherche de pistes adaptées. L'enjeu est important, il va falloir que nous inventions des méthodes différentes.

JA. Cela nous amène aux exigences liées à la production des véhicules "low price"…
gm. Au premier chef, nous voyons environ dix millions de véhicules par an à l'horizon 2010, et lorsque l'on est premier équipementier mondial, on ne peut pas négliger un marché de cette taille-là. Ceci dit, par rapport à une tradition, une histoire ou une culture qui est davantage axé sur le fait de développer des produits extrêmement sophistiqués avec toujours plus prestations, de sécurité, etc. ce marché se révèle comme un vrai défi, organisationnel, structurel, et méthodologique. Par ailleurs, pour faire simple, il faut disposer d'une réelle expertise des systèmes et des process les plus compliqués.

JA. Quelles sont vos méthodes pour vous positionner sur ce marché ?
gm. Depuis deux ou trois ans, nous avons créé des équipes spécifiques chargées de développer des pièces ou des process ou des systèmes adaptés à des véhicules qui coûtent trois ou quatre fois moins cher que les véhicules actuels. Une approche triple préside à leur travail. D'abord améliorer des systèmes simples existants "type mobylette". Une autre approche consiste à simplifier des systèmes existants en Europe. Enfin, la troisième voie, d'analyse de la valeur, revient à la feuille blanche et s'applique à trouver la réponse la plus simple qui soit à telle ou telle fonction, avec les coûts les plus bas. Un exemple. Nous avons remporté plusieurs appels d'offres avec un calculateur moteur essence qui s'avère à la fois peu coûteux, très simple mais avec des fonctionnalités relativement complexes et adaptées à ces marchés. Parce qu'il faut bien avoir à l'esprit que le low cost country ou low price vehicle ne signifie pas "un même produit mais dégradé". Les véhicules seront amenés à fonctionner dans des milieux qui, en termes de qualité et d'infrastructures routières sont plus difficiles. Avec des carburants dont la qualité est très variable, avec des consommateurs qui vont être extrêmement exigeants en termes de robustesse, de fiabilité et de capacité à être réparés facilement. Le rapport sur investissement pour l'automobiliste est le même. Ce qui signifie que nous devons faire des produits avec des coûts très bas sur un environnement qui n'est pas aisé et nous oblige à penser autrement et souvent avec des équipes pluriculturelles, qui ont une approche totalement différente des besoins, des spécifications et du fonctionnement. C'est cela qui est difficile à organiser. Le mot innover doit, dans le langage commun, passer de "faire quelque chose de toujours plus compliqué" à "faire quelque chose de toujours plus simple".

JA. Comment faites-vous pour garantir une certaine marge ?
gm. La marge n'entre pas dans ce débat. La marge, c'est le résultat de l'écart entre un prix de marché et un coût. On constitue de la marge si l'on est capable d'inventer des solutions moins coûteuses que la concurrence. En revanche, le contre-pied que je prends s'exprime ainsi, quand vous demandez quelque chose de très cher et de très sophistiqué, il n'est pas forcément facile de motiver les équipes sur les coûts. Vous avez donc un risque majeur de perdre beaucoup d'argent sur des produits très compliqués. Mais quand vous êtes sur des marchés très tirés, la focalisation sur le coût et sur la peur de perdre la marge est permanente. Finalement, vous êtes plus attentif et le résultat peut s'avérer meilleur. C'est vrai qu'en valeur absolue, on ne parle pas des mêmes valeurs. Au lieu de gagner 10 euros par pièce, on va gagner 1 euro. Ceci étant, on parle d'un marché de 10 millions de véhicules. A ma connaissance, on ne vend pas 10 millions de Ferrari, de Porsche… Ces deux marchés cohabitent et il faut être bon dans les deux.

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