Le véhicule électrique est-il l’annonciateur d’un changement de paradigme ?
"Les subventions sont depuis le début présentées comme une étape nécessaire par les industriels comme par les acheteurs. Avant de tirer la sonnette d'alarme comme un réflexe sur les dépenses de l'Etat, deux mécanismes doivent être appréhendés. Tout d'abord, ce qui a trait aux subventions pures relève le plus souvent de la recherche. Dans ce cadre, l'Etat est dans son rôle et il ne serait guère fécond de supprimer ces actions. Ensuite, il faut savoir si on oriente encore avec d'autres dispositifs, de type bonus-malus par exemple. Des systèmes de cette nature peuvent être calibrés de telle sorte qu'ils soient auto-financés. On pénalise des véhicules polluants au bénéfice de véhicules propres. Bien entendu, cela oriente la demande. Mais il apparaît que les gens ne sont pas prêts à dépenser plus pour acheter des véhicules propres. Donc, nous avons mis en place une aide de 5 000 e que le client ne voulait pas assumer et que les constructeurs n'arrivaient pas prendre en charge au niveau des coûts de revient. Toutefois, j'insiste sur le fait que nous ne sommes pas face à une situation nouvelle et que par le biais de la TIPP, plusieurs filières ont par le passé été "favorisées". En termes de budget et de comparaisons, il ne faut d'ailleurs jamais oublier la TIPP".
Alexandre Guillet : On parle beaucoup du développement du véhicule électrique, mais au niveau législatif, il semble que du retard a été pris pour la définition de normes et de standards, n'est-ce pas ?
Romain Beaume : "Dans une innovation de rupture comme celle-ci, le choix du bon moment pour définir des standards n'est pas simple. Vous pouvez le faire trop tôt, mais au risque de l'absurde… Actuellement, les groupes de travail qui étudient la question à l'échelle de l'Union évoquent une mise en place de standards avant l'été 2011".
Yves Dubreil, ancien directeur de l'innovation de Renault :
"On parle toujours du standard technique, mais ce n'est pas tout ! Sous l'angle réglementaire, il faut aussi décanter les choses surtout que ça ne coûte pas cher. Ainsi, pour les recharges non-publiques, il faudrait clarifier les choses pour les copropriétés. Cela éviterait de repousser le tas de sable en permanence et de perdre du temps".
"Le véhicule électrique se développera si démonstration est faite que son TCO est moindre que celui des véhicules thermiques. Sur la question de l'autonomie, pour les trajets quotidiens, c'est un faux problème. C'est davantage le potentiel d'autonomie exceptionnelle qui doit être exploré. On en revient alors aux services. Ce n'est pas un souci, car il ne s'agit pas de remplacer tous les véhicules thermiques par des véhicules électriques. Par ailleurs, aujourd'hui, dans des conditions sub-urbaines, 50 % de l'énergie est utilisée pour le confort ! Il y a peut-être quelque chose à regarder de plus près. Dernier point, le plaisir. De prime abord, le véhicule électrique fait penser au régime : "c'est bien, mais c'est contraignant", pour ne pas dire autre chose. Donc, il faut trouver des arguments positifs pour promouvoir le véhicule électrique. Il y en a : le silence, une conduite apaisée par exemple".
Alexandre Guillet : Dès lors, quels arguments positifs mettre en avant pour promouvoir les véhicules électriques ?
Charlotte de Silguy, secrétaire générale de l'Avere France :
"Le plaisir est essentiel ! L'alchimie puissance&silence peut charmer bien des utilisateurs. Pour les entreprises, je pense notamment à l'exemple d'ADP qui dispose de nombreux véhicules, le plus dur est de faire essayer les véhicules électriques. Au début, il y a beaucoup de réserve. Mais une fois qu'ils ont été essayés, les gens se convertissent volontiers. L'Avere fait précisément la promotion du véhicule électrique et par rapport à ce qui a été dit, je souhaite rappeler que le véhicule électrique va bien au-delà du seul CO2. Il pose un problème de société, à savoir : comment se désintoxiquer du pétrole ? Cela dépasse largement le seul cadre des transports et nous renvoie à une nouvelle donne économique sous l'enjeu du développement durable. On en revient donc à un questionnement sur l'humain et sa place dans la société.
Une voiture électrique est plus que le remplacement d'un véhicule thermique, car elle offre un nouveau rapport à la mobilité, aussi bien individuellement que collectivement. Et c'est capital au moment même où nous passons de l'ère industrielle à celle de l'information et des services. Simultanément, on quitte le dogme du "toujours plus".
D'ailleurs, je trouve positif que le véhicule électrique soit actuellement cher car cela nous incite à la créativité sur de nouveaux modèles économiques : usage plus que possession, covoiturage, auto-partage, multi-modalité, forfait mobilité sur le modèle des forfaits téléphoniques… On décloisonne donc beaucoup de choses pour devenir plus systémique".
Alexandre Guillet : La production d'électricité et les risques de rupture d'alimentation posent-ils vraiment problème si le développement du VE est trop intense ?
Charlotte de Silguy : "Avant d'être à l'Avere, j'étais à la direction du développement durable d'EDF. Prenons l'hypothèse gouvernementale : 2 millions de VE en 2020 pour un trajet moyen de l'ordre de 30 km et pour 200 Wh/km, ce qui est faible comme consommation, il faut combattre les idées reçues. Bref, si vous multipliez 200 Wh par 30 km par deux millions de véhicules sur 365 jours, vous arrivez à moins de 1 % de la consommation d'électricité totale française ! On sait aussi que la recharge se fera surtout la nuit quand personne n'en utilise et quand l'électricité est moins chère. En extrapolant, imaginons 30 millions de VE en France… cela représenterait 15 % de la consommation d'énergie en France, l'équivalent de tout le matériel audio et informatique actuel. On se fait donc un monde pour pas grand-chose…".
Alexandre Guillet : Dans ce concert de louanges sur le VE, tournons-nous vers Pierre Beuzit : vous n'avez pas toujours été le plus fervent défenseur du véhicule électrique, donc que vous inspire le discours actuel et notamment le caractère révolutionnaire du VE par rapport à la mobilité ?
Pierre Beuzit, président d'Alphea Hydrogène et du CNRT Ineva, ancien directeur de la R&D de Renault :
"Mes réticences portaient plus sur la batterie que sur le véhicule électrique. Le véhicule électrique existe depuis plus d'un siècle et à chaque fois qu'on a voulu le diffuser en masse, ce problème a resurgi. Tout n'est d'ailleurs pas réglé aujourd'hui, mais laissons cela de côté pour l'heure.
Vu ce que j'entends, je ne trouve pas qu'on remet profondément en cause l'automobile ou la mobilité en général. Or ce serait une remarquable opportunité pour le faire ! Et il convient d'avoir une vision globale : l'énergie certes, mais aussi la vulnérabilité, la sécurité etc. Et on sait qu'on ne pourra pas tout subventionner ! En outre, il ne faut pas perdre de vue l'intérêt de la France et/ou de l'Europe par rapport à d'autres concurrents, notamment les chinois.
Quand vous regardez comment on conçoit une voiture, vous voyez que ça n'a pas évolué depuis l'origine et que tout est architecturé autour du système de propulsion. Donc si je change de système de propulsion, pour de l'électrique ou autre, j'ai la possibilité de faire autre chose. Carlos Ghosn nous disait toujours que la voiture est beaucoup trop compliquée. Le travail qui n'est pas fait aujourd'hui alors qu'il est nécessaire, c'est de repenser le véhicule. D'autant que quoi qu'on veuille laisser croire, on ne reviendra pas en arrière sur le confort. Le client n'est pas prêt à conduire avec de la buée sur les vitres, même si c'est plus vert…
Second point : la vulnérabilité et la maintenance. Il existe des concepts de véhicules jetables entre guillemets. On fait 100 000 km sans passage au garage et on recycle. Même si cela peut paraître caricatural de prime abord et même si on n'ira pas tout de suite explorer ces voies, c'est très intéressant et le véhicule électrique peut nous y amener".
"Quant à l'écosystème en général et à la mobilité, plusieurs idées sont avancées. La multi-modalité a des avantages mais elle ne résout pas tous les problèmes, loin de là. L'inter-modalité est plus pertinente. Par ailleurs, on peut s'attacher à de nouvelles valeurs d'usage, mais on ne veut pas pour autant être dépendant de l'extérieur. Or l'atout roi de l'automobile par rapport aux autres modes de transport, ce n'est pas la passion, mais la liberté. On en revient donc à la question de l'autonomie, même s'il n'y a pas toujours de concurrence objective entre autonomie et trajet. Il y a donc des problèmes importants encore en suspens".
Yves Dubreil : "Je ne dis pas qu'il faut renoncer au confort, je dis simplement qu'il faut arrêter le gaspillage dans les voitures. Parfois, cela revient à chauffer sa maison avec les fenêtres ouvertes !".
Robert Mizrahi, président du Collège de Polytechnique :
"Je crois surtout qu'il est nécessaire de dégonfler les fantasmes liés au véhicule électrique. Pour appréhender sereinement le fait qu'il autorise à penser différemment la situation actuelle de la mobilité. Cette autorisation charrie avec elle des idées préconçues et les projections du passé et du présent qu'on fait sur le futur. Or il n'y a pas de certitudes sur les mouvements sociétaux, ce n'est pas comme la démographie, d'où une grande prudence à avoir. Projeter dans le dur un changement de paradigme, c'est l'assurance d'être démenti dans les dix ans à venir ! Au préalable, c'est surtout cela qui me frappe, cette grande confusion et ces projections autour du VE".
François Coulloudon, consultant en stratégie :
"Pour revenir à la valeur de l'objet, on achète aujourd'hui une voiture pour se déplacer, mais on a aussi, de manière consciente ou non, des critères de choix. Le design, l'image de marque, le prix, les consommations etc. Donc le choix d'une voiture correspond à un système de valeurs. Ce qui est intéressant, c'est que le véhicule électrique ne sera pas perçu demain comme le véhicule thermique l'est aujourd'hui. Ce décalage doit impérativement être pris en compte.
Cela implique de re-développer la plate-forme des véhicules, la consommation des auxiliaires etc.pour trouver le juste compromis, problématique de l'autonomie incluse".
Romain Beaume, chef du bureau des politiques d'innovation et technologie - Ministère de l'Economie et des Finances :
"Si on fait un retour en arrière, dans les livres écrits par Henry Ford, on constate que son employeur lui disait que le véhicule électrique était l'avenir. Il a décidé de monter sa propre société car il a vu que le véhicule thermique aurait plus d'adaptabilité au territoire américain. Ce sont toujours des personnes qui ont fait basculer le marché. Par ailleurs, il faut donc rester flexible, c'est important pour les constructeurs comme les Etats".
Alexandre Guillet : Ne craignez-vous pas que vos subventions servent in fine d'autres pays, on pense notamment à la Chine ?
Romain Beaume : "La question est hâtive car comment savoir qu'on va se faire prendre un marché qui n'existe pas ! En outre, si la Chine promeut l'électrique, nous n'en serons pas mécontents car cela nous prémunirait d'un choc pétrolier plus violent pour les années à venir".
Robert Mizrahi : "Sur les batteries, la compétition est mondiale et se joue entre quelques acteurs. Et il est vrai que les matières premières sont rares et coûteuses et que nous n'en disposons pas. Donc plusieurs recherches sont conduites pour éviter des problèmes d'approvisionnement. En fait, vu que tout est en construction, on ne sait pas encore qui pourra en retirer le plus de bénéfices à l'avenir".
Yves Dubreil : "De toutes les façons, il faut rappeler encore et toujours qu'il n'y aura pas que le VE et nous aurons à gérer une mosaïque de solutions. Du point de vue du constructeur, la question de l'intermédiation avec le client a de l'importance car cela change la nature du business. D'où l'importance d'avoir une vision systémique".
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