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Constructeurs

Le new deal du segment des berlines supérieures

Publié le 5 avril 2011

Par Alexandre Guillet
13 min de lecture
En Europe, le segment des berlines supérieures a vu ses volumes chuter de façon vertigineuse ces dernières années, passant même sous le seuil symbolique des 10 % du marché. Toutefois, les constructeurs n’abandonnent pas la partie et par le biais d’une montée en gamme globale, la concurrence n’a sans doute jamais été aussi féroce qu’aujourd’hui. Guillaume Lembrez et Denis Schemoul, experts automobiles d’IHS, analysent pour vous les nouveaux enjeux de ce segment et les différentes stratégies qui y sont déployées par les constructeurs.
L’Audi A4, plébiscitée par les flottes notamment, est restée la reine allemande du segment en 2010.

Berline, une vache sacrée devenue vache maigre…

“La berline à papi, c’est fini ! La berline à papa, aussi !”, martelait Vincent Besson, alors directeur Produits de Citroën, lors du lancement de la nouvelle C5. En Europe, le segment des berlines supérieures a, en effet, considérablement évolué au cours des dernières années, c’est incontestable. Toutefois, il s’est surtout effondré, tant au niveau des ventes que de la production. Le segment est passé sous la barre des 10 % du marché dès 2009 et le volume de production a chuté de l’ordre de 30 %. Une tendance structurelle que la crise n’a fait qu’amplifier aux yeux de Denis Schemoul : “Nous sommes en présence d’un phénomène durable et ce segment restera selon toute vraisemblance dans une fourchette comprise entre 7 et 8 % du marché jusqu’en 2016”.

Pourtant, les constructeurs généralistes ont déployé d’importants efforts pour monter en gamme. “L’écart entre les généralistes et les constructeurs Premium s’est effectivement réduit, ces derniers conservant néanmoins toujours une longueur d’avance sur la qualité d’assemblage et surtout sur l’image. Mais ce nivellement vers le haut du segment n’a donc pas suffi pour maintenir les volumes”, commente Denis Schemoul. Pourtant, à ces deux niveaux, le segment s’est diversifié, faisant naître de nouvelles silhouettes et explorant de nouvelles voies. “Dans la sphère du Premium, BMW est une bonne illustration de ce phénomène, avec la version GT, dans une veine très volumique, étrennée par la Série 5 et à venir dans la famille Série 3. Chez les généralistes, on peut citer PSA et prendre l’exemple de Peugeot : la marguerite “à l’ancienne” autour d’une 307 avec ses dérivés classiques est révolue. Place désormais à la distinction et à des modèles différenciants”, illustre Denis Schemoul (voir aussi l’encadré “Quand le Premium allemand se diversifie”).

En outre, deux autres données de cadrage peuvent être mises en avant. D’une part, le mix du segment a fortement évolué et les versions breaks ont le vent en poupe. On en trouve dans le top 10 des ventes et elles représentent désormais plus de 40 % de la production, contre moins de 30 % en 2000. D’autre part, le downsizing a pris une très grande ampleur, ce qui s’explique naturellement par les nouveaux impératifs du marché des flottes. Et si les marques Premium maintiennent des motorisations haut de gamme au catalogue, c’est plus une stratégie d’image. En outre, Denis Schemoul tient à souligner qu’il existe “une tendance lourde à la fusion des plates-formes C et D chez les constructeurs, pour des raisons de coûts notamment. Très avancé dans ce domaine, Volkswagen ne parle d’ailleurs plus vraiment de plate-forme, mais passe au stade des kits et des modules”.

Digressions sur les origines d’un changement : Opel, Ford, Fiat

La réflexion de fond sur le segment des berlines supérieures et la montée en gamme ne date pas d’aujourd’hui et fut initiée dès les années 90 par des constructeurs comme Opel, Ford ou encore Fiat. A l’époque, Ford et Opel proposaient de grandes berlines, Scorpio et Omega, et se retrouvaient dans le territoire Premium. “Ils ont compris que le marché allait diminuer, tandis que la concurrence allait encore se renforcer. Dès lors, Opel choisit de ne pas remplacer l’Omega, mais d’ajouter une silhouette à la Vectra, ce qui aboutit à la Signum, un grand hatchback doté de nouvelles prestations. De son côté, Ford ne remplace pas non plus la Scorpio et lance le S-Max, qui vient coiffer sa gamme généraliste au-dessus des Mondeo et Galaxy en s’affichant comme une proposition alternative”, rappelle Denis Schemoul, avant d’ajouter : “Quelques années plus tard, Fiat emprunte une démarche grosso modo similaire, bien que moins haut de gamme, avec la Croma”. Si ces tentatives stratégiques étaient intéressantes, elles n’ont pas toujours trouvé le chemin du succès, loin de là… Ainsi les cuisants échecs d’Opel et Fiat… Diagnostic : de bonnes idées, mais souvent des problèmes d’exécution rédhibitoires. Ford échappe à la règle et le S-Max a su trouver sa place, sans cannibalisation avec le Galaxy, ce qui a permis à Ford de maintenir ses volumes (au-dessus des 200 000 unités).

Digressions sur les origines d’un changement bis : la série noire de Renault

Par ailleurs, Renault se lance aussi dans une aventure visant à revisiter le haut de gamme à la mode française. D’une part avec l’Espace 4 et la nouvelle Laguna, et d’autre part avec Vel Satis et Avantime, deux modèles positionnés Premium, mais jouant la carte d’une architecture revisitée sous forme de bi-corps, avec de très vastes espaces à l’arrière. Résultat : double échec et beaucoup d’argent volatilisé. “Les modèles Vel Satis et Avantime ont été pénalisés par trois erreurs : gestion du calendrier, exécution du produit et politique marketing. Au final, la production s’est rapidement effondrée : plus de 21 000 en 2002, puis 13 000 dès 2003, moins de 5 000 en 2005 et sous les 3 000 par la suite”. Même constat pour Laguna. A son époque dorée, au début des années 2000, le modèle était produit à plus de 200 000 unités. Le dérapage intervient en fait même avant la crise, 100 000 dès 2007, avant de couler aux alentours des 50 000 dès 2009. “L’échec de la nouvelle Laguna est double : sur la cible des particuliers, mais surtout des flottes. Sur ce point, ce n’est pas un quelconque problème de style, mais de VR très mauvaises. En outre, il ne faut pas perdre de vue que la Passat a fait très mal à la Laguna, comme à la 407 d’ailleurs”, explique Denis Schemoul. Depuis cette “série noire”, Renault a changé son fusil d’épaule, avec des perspectives plus favorables même si l’instant T ne le traduit pas.

La nouvelle stratégie de Renault alimente de solides espoirs

Segment structurellement en déclin, échecs à répétition, crise économique, la secousse fut rude pour Renault. Mais Renault n’a bien entendu pas abandonné la partie et prépare une nouvelle offensive qui se déploiera en 2014. En attendant, Renault a choisi une voie médiane avec une berline qui concerne de nombreux marchés. Produite en Corée et positionnée au-dessus de Laguna, la Latitude est promise à des volumes réduits en Europe. Il s’agit d’une stratégie d’attente visant à rester présent sur le segment. Le programme haut de gamme tourne autour du site de Douai qui accueillera bientôt une immense nouvelle plate-forme intégrant Mégane, Laguna, Espace et les équivalents chez Nissan. Cette plate-forme aura une capacité de production annuelle comprise entre 1 et 1,5 million de véhicules ! Le projet s’inscrit dans une réorganisation industrielle globale placée sous le signe de la concentration en Europe (Douai pour le segment qui nous intéresse, l’Espagne pour Mégane, la Turquie pour les modèles de type Fluence, Sandouville pour le Trafic…).

Si l’approche actuelle est davantage taillée pour la Corée (SM3, SM5, SM7 et QM5 ou Koleos), la transition vers la reconquête de l’Europe est en préparation. A la place de la Fluence et de SM3, une nouvelle berline compacte est annoncée pour couvrir de nombreux marchés, tandis que le futur QM5/Koleos sera beaucoup plus orienté vers le “type” Qashqai. D’ailleurs, le nouveau Nissan Qashqai sera commercialisé à la fin de l’année 2013 et il est vraisemblable que le remplaçant du Koleos soit produit en Europe. “Renault a plusieurs atouts à faire valoir”, estime Denis Schemoul, avant d’entrer dans les détails : “Tout d’abord, même si certains analystes ont tendance à l’oublier, le groupe entre dans la phase de réelle maturité de l’Alliance et la nouvelle plate-forme en témoigne.

Par ailleurs, sous l’impulsion de Laurens van den Acker, une nouvelle orientation stylistique claire et séduisante est définie. C’est donc très positif”. Par exemple, le concept R-Space annonce des véhicules de série, Scénic en l’occurrence, plus stylisés et dotés de l’argument de la différenciation. Le remplaçant de l’Espace 4 sera, quant à lui, moins grand et plus typé que son prédécesseur. Avec Captur, on peut envisager le pendant du Nissan Juke adapté à la gamme Renault. Et une nouvelle Laguna se prépare pour 2015. “Il y a encore d’autres projets à venir, car certains ont été retardés sous l’effet de la crise. Bref, une offre à la fois plus variée et plus cohérente s’annonce”, synthétise Denis Schemoul.

PSA chapitre 1 : l’approche globale de Peugeot spécifique à ce segment

Chez Peugeot l’historique nous renvoie au duo 407/607. Avec 407, encore produite à 245 000 unités en 2005 et à 145 000 en 2006, Peugeot dispose d’une base clientèle vaste et solide. La 607, qui fut lancée dans une veine très classique (et avec un V6 Diesel issu de la coopération avec Ford), et dont la neutralité lui fut parfois justement reprochée, avait bien rempli sa mission (37 000 unités produites en 2001 et encore 21 500 en 2003). Toutefois, à l’heure de remplacer ces modèles, PSA a modifié sa stratégie. Le duo 407/607 sera reconstitué, mais différemment…

Au départ, tout tourne autour du projet 508. Les prévisions de production pour l’Europe s’établissent entre 120 000 et 130 000 unités. Pour dégager une meilleure rentabilité et parvenir à la barre des 200 000 unités, il fallait donc ajouter le marché chinois. C’est chose faite. Cela se ressent sur le produit, car il s’agit d’un véhicule plus spacieux que dynamique, avec un espace très soigné aux places arrière. Les équipements traduisent aussi le phénomène comme en atteste par exemple la climatisation quadri-zone, alors que le “bi-zone” est le standard européen sur ce segment. “Cet ajustement à une double demande chinoise et européenne est une tendance de fond chez PSA. Cependant, on ne retrouve pas cette approche globale sur tous les segments, notamment inférieurs. Ainsi la 408 est conçue pour la Chine, la Russie et l’Amérique latine. Il en sera de même pour le low-cost à venir”, souligne Denis Schemoul, avant de poursuivre : “Il faut noter que la 508 n’est pas le vaisseau amiral de Peugeot. Il y aura ensuite un dérivé all-road de la 508, doté d’une offre hybride, et qui sera nommé par des lettres, sur le modèle de RCZ”. Et voilà le fameux duo reconstitué ! Mais Peugeot ne cherche pas la concurrence frontale avec le Premium allemand. Ainsi, la 508 va sur le terrain de la Passat et le dérivé all-road se pose comme une offre différenciante et alternative.

Parallèlement, la montée en gamme est aussi assurée par des produits comme 3008 et RCZ (avec la rupture dans l’appellation, via les lettres, pour bien mettre en évidence le caractère distinctif du produit). D’autres projets sont inscrits dans le programme haut de gamme de la marque (coupé 4 portes…) et sur ce territoire, la double implantation Europe/Chine jouera à plein. D’où l’intérêt du nouvel accord avec Changan. “En outre, PSA bénéficiera aussi d’une nouvelle plate-forme, qui vient remplacer les PF2 et PF3, inspirée du modèle de Volkswagen”, ajoute Denis Schemoul, plutôt optimiste pour la marque au lion.

PSA chapitre 2 : Citroën fera en Chine ce qu’elle ne peut plus faire en Europe

Pour Citroën, l’historique fait écho à l’ancienne C5 et à la C6. Conçue dans l’esprit d’un retour sur le haut de gamme traditionnel, mais avec un design original très ancré dans l’histoire de la marque, la C6 fut pourtant un échec colossal, avec beaucoup d’euros perdus chemin faisant… Produite à 10 000 unités en 2006, elle plonge à 1 600 unités dès 2008 pour se noyer sous la barre des 1 000 depuis 2009. Son terme est programmé pour 2012 et elle sera en fait remplacée par la DS5, ce qui n’était, initialement, pas prévu. De son côté, l’ancienne C5, aujourd’hui décriée et raillée, menait plutôt bon train, au-delà des 150 000 unités en 2001 et 2002. Sa remplaçante a marqué une rupture, dans le style et via un positionnement plus frontal vis-à-vis des concurrentes allemandes. Considérant que le segment se réduit notablement, il s’agit d’un succès avec presque 100 000 unités produites en 2008 et près de 80 000 l’an dernier. C’est de surcroît un succès d’image avéré. Contrairement à la C6, la C5 est donc maintenue au plan “Produits”.

En fait, Citroën va rester sur la niche de la grande berline, mais en Chine ! “Le dérivé de série de Métropolis sera fabriqué en Chine, via Changan et ce sera aussi un modèle pour la Chine essentiellement. En somme, la marque fera en Chine ce qu’elle sait ne plus pouvoir faire en Europe”, explique Denis Schemoul. Par ailleurs, DS5 viendra remplacer C6 en Europe, inaugurant une nouvelle lecture du haut de gamme et des tarifs plus accessibles. Il s’agit d’un véhicule très volumique qui se situe à l’intersection de plusieurs segments, un peu comme la Signum l’avait fait en son temps. “C’est un modèle parfaitement adapté à l’évolution du segment. Et d’ailleurs, comme nous l’évoquions, BMW, mais aussi Audi bien sûr, vont aussi dans ce sens”, souligne Denis Schemoul, là encore confiant pour la marque aux chevrons.

Volkswagen Passat : la reine incontournable

En Europe, la Passat connaît un succès très solide, avec des volumes de production compris entre 350 000 et 500 000 unités selon le cycle de vie du produit. “Le succès de la Passat est en effet indéniable et ne se dément pas au fil du temps, le modèle se maintenant devant la Série 3 et l’A4 ces dernières années dans la zone Europe”, souligne Denis Schemoul, avant de détailler les principales raisons de cette réussite : “La Passat a su évoluer par touches successives, sans rupture, en affirmant son positionnement auprès des particuliers comme des flottes. Tout en gardant son identité de familiale, elle a su épouser une présentation plus soignée.

En outre, Volkswagen utilise la même stratégie que pour Golf en exploitant remarquablement les temps intermédiaires que sont les restylages. C’est le principe de “plusieurs vies sur une même structure”. Cela passe notamment par une grande maîtrise du calendrier des restylages et de l’introduction de nouvelles motorisations ou de nouvelles boîtes de vitesses. Denis Schemoul rappelle aussi que Volkswagen a su lancer la version CC pour soutenir le modèle, alors en fin de cycle. Un appui non négligeable pour maintenir les volumes et garantir le niveau de rentabilité.

Notons encore que la Passat, qui s’appuyait sur “l’historique” plate-forme PQ46, un cas d’école, bénéficiera d’une nouvelle plate-forme dès 2012. “Et les clients qui ont le sentiment d’avoir eu une nouvelle Passat l’an passé se verront proposer un nouveau modèle dans seulement trois ans”, met en exergue Denis Schemoul. Sur les segments supérieurs, si Volkswagen a remporté un franc succès avec le Touareg, la Phaeton s’est, elle, soldée par un lourd échec. Selon toute vraisemblance, elle devrait néanmoins être remplacée en 2014.

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ZOOM - Quand le Premium allemand se diversifie

Le trio Premium allemand continue de peser sur le marché européen, même si la croissance de ces marques passe désormais largement par les nouveaux marchés, Chine en tête. Toutefois, on ne saurait réduire la croissance à la seule ouverture de nouveaux territoires et la diversification est aussi prépondérante. Ainsi, quand le trio A4/A6/A8 représentait 70 % de la production d’Audi à la fin des années 90, il est passé sous le seuil des 50 % dès 2009. Chez BMW, les Série 3, 5 et 7 représentaient 90 % de la production européenne de la marque dans les années 90, pour passer à moins de 60 % en 2009 et à moins de 50 % à l’horizon 2014. Chez Mercedes-Benz, on peut s’attendre à voir les Classe A et B se rapprocher de la Classe C, distribuée sur de nouveaux marchés, pour laisser une place aux véhicules qui seront issus de la collaboration avec Renault.

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