Jean-Philippe Imparato, Stellantis : "Pour les véhicules utilitaires, on est à quelques mois d’un drame"

Quatre propositions pour éviter d’aller dans le mur et même "de mourir". Jean-Philippe Imparato, directeur de Stellantis Europe, n’y va pas par quatre chemins. C’est justement dans une usine de production de véhicules utilitaires du groupe à Hordain, dans le Nord, que le patron de la région Europe, confirmé dans le nouvel organigramme présenté par Antonio Filosa, nouveau directeur général, a choisi de lancer son alerte. Le sujet : l’impossibilité mathématique de respecter les normes d’émissions de CO2 pour les véhicules utilitaires légers.
La mise en garde n’est pas nouvelle. Mais six mois après l’entrée en vigueur des nouvelles limites à respecter, l’absence de marché électriques sur le segment des utilitaires rend la situation plus que critique.
Pour rappel, depuis le 1er janvier 2025, la moyenne des émissions des vans doit atteindre 153,9 g de CO2/km (selon les normes WLTP), contre 181,1 g jusqu'à fin décembre 2024. Concrètement, cela signifie qu'il faudra vendre environ 17 % de véhicules utilitaires électriques pour se conformer à cette moyenne.
Force est de constater que les constructeurs sont loin du compte. Le groupe, à fin juin 2025, enregistre un mix d'utilitaires électriques de 9 % sur ses ventes totales, alors qu'il affiche une part de marché de 30 % sur le continent. Un résultat qui, à ce jour, le mettrait en risque d'une pénalité financière de 2,629 milliards d'euros.
"Tout le monde nous dit qu'il n'y a pas d'inquiétude, que nous ne serons pas obligés de payer ces amendes. Mais je n'ai ni confirmation des instances européennes, ni écrit me rassurant. Je ne sais pas faire ce qui est demandé et j'ai le sentiment que personne ne se rend compte de l'urgence de la situation", avance Jean-Philippe Imparato.
Au Royaume-Uni, qui impose des règles moins strictes que l'Union européenne, Stellantis est parvenu à respecter son mix de vente. "Mais à quel prix !" souligne Jean-Philippe Imparato. "Cela m'a coûté trois points de parts de marché !" Et des marges négatives pour 95 % des ventes d'électriques.
Car c'est bien en arrêtant de vendre des véhicules thermiques que la "compliance" est atteignable. Les constructeurs cumulent deux handicaps majeurs sur ce marché des véhicules utilitaires. D'une part, les clients, hormis les grands comptes, ne veulent pas de motorisations électriques et le marché est donc quasi inexistant.
Selon Standard & Poor's, la trajectoire d'électrification du VU passera de 12 % en 2026 à 24 % en 2030. Mais jamais au-delà. Ce qui veut dire que 70 % du marché en 2030 ne seront pas purement électriques en VU. "Donc on est dans une impasse", insiste Jean-Philippe Imparato.
D'autre part, forcer les équilibres signifie la baisse des ventes de modèles thermiques et donc la suppression d'équipes dans les usines, voire la fermeture complète de certaines d'entre elles.
Autant dire que pour les salariés d'Hordain, présents lors de la prise de parole de Jean-Philippe Imparato, c'est un peu la douche froide. Alors que le site emploie 2 600 salariés et doit ajouter la production de VU pour Toyota et Iveco, en plus de celles des marques du groupe Stellantis (Peugeot, Citroën, Fiat et Opel), le risque correspond tout simplement à la suppression d'une des trois équipes !
Idem pour les usines d'utilitaires d'Atessa (Italie), de Vigo (Espagne), d'Ellesmere Port (Royaume-Uni, concerné par ses propres objectifs CO2), de Rüsselsheim (Allemagne) et de Gliwice (Pologne). "Ce sont des bijoux d'usines qui font plus de 40 % des résultats du groupe et qui sont aujourd'hui les plus exposées", se désespère Jean-Philippe Imparato.
Quatre propositions de décisions à prendre en juillet 2025
En premier lieu, le patron de Stellantis en Europe souhaite le regroupement de la comptabilité CO2 des voitures et des utilitaires, pour qu'ils puissent se compenser. Aujourd'hui, les émissions de CO2 sont comptabilisées d'un côté pour les voitures particulières et de l'autre pour les utilitaires. Le lissage du calcul des émissions a été acté par la Commission européenne au printemps, mais cette évolution n'inclut pas de faire une moyenne entre les VP et les VU.
Ensuite, le renouvellement du parc reste indispensable. Sur les 256 millions de véhicules en parc en Europe, 150 millions ont plus de dix ans d'âge. Accélérer le renouvellement, par tous les moyens, y compris par d'autres énergies que l'électrique, ne peut avoir que des effets bénéfiques sur la décarbonation de la mobilité. Une fois ces vieux véhicules repris, recyclés et détruits, les économies de CO2 générées pourraient être déduites des objectifs des constructeurs. "Une approche du cycle de vie et l'ouverture technologique doivent apporter une logique différente", avance le constructeur.
"Aujourd'hui, les émissions de CO2 ne sont prises en compte qu'au niveau du pot d'échappement, avec les mêmes limites pour un petit modèle électrique que pour une version du segment C ou D. On pourrait très bien imaginer un mécanisme de bonus de CO2 pour les petites voitures", soulève Alexandre Guignard, chief CO2 corporate officer de Stellantis.
Enfin, créer des conditions réglementaires pour permettre l'émergence de petits véhicules électriques avec un contenu local européen apporterait également une respiration de près de 1,5 million de voitures pour le marché automobile européen.
Des alliés en Europe pour suivre les propositions de Stellantis
Sans attendre la clause de revoyure, dont les discussions ne débuteront qu'à partir du mois de septembre, le patron de Stellantis Europe souhaite mettre en œuvre "un choc réglementaire" au niveau de l'Union européenne. Il assure avoir à ses côtés les soutiens de Renault, Mercedes, Volkswagen, mais également de BMW sur les normes d'émissions globales. "La clause de revoyure sera un moment important, mais ce sera trop tard", avance le patron de Stellantis en Europe.
Un alignement de certains pays européens semble aujourd'hui également se dessiner pour faire plier la Commission européenne. La France quitterait son isolement pour trouver des alliés avec l'Italie de Giorgia Meloni, mais également avec le nouveau chancelier allemand, Friedrich Merz.
Les équipementiers réunis au sein du Clepa appuient également la demande de production d'une petite voiture électrique avec un minimum de contenu local.
Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France, souhaite également créer une "union" des régions européennes concernées par les problèmes de l'industrie automobile pour appuyer également ces propositions."Ce serait une initiative transpartisane, transnationale et le message peut être entendu par Bruxelles", affirme-t-il.
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