Il n’y a pas de petits marchés
...la rentrée, j'ai eu la chance de m'intéresser aux problématiques de la distribution concernant un univers pour moi inhabituel sinon nouveau, incluant notamment l'Afrique et les DOM-TOM. Est-ce la dimension trop faible de ces marchés qui est la cause de l'attention distraite qu'on leur réserve, ou leurs spécificités en termes de produit, ou encore l'organisation interne des grandes entreprises européennes ? Evidemment, il y a un peu de tout cela. Un marché numériquement faible, où l'on devrait commercialiser des modèles spécifiques, compte tenu, par exemple, du climat, de l'état des routes ou du revenu moyen des habitants, devrait avoir droit aux mêmes attentions, aux mêmes efforts de suivi (produit, commerce, après-vente, réglementations locales etc.) qu'un marché plus "stratégique", comme l'Allemagne ou le Japon. Le bon sens dit que le jeu n'en vaut pas la chandelle, et c'est pour cette raison que personne ne songe à vendre des automobiles… en Suisse. Il y faut par exemple des BVA très performantes sur des "quatre roues motrices" très efficaces, avec une électronique de pointe, le tout ne devant tout de même pas coûter trop cher, malgré un revenu moyen pas vraiment négligeable.
Suivez un lièvre aux yeux bridés
Il fut un temps, pas si lointain, où les immatriculations du Nigeria étaient du même ordre de grandeur que celles de la Suisse (quelques centaines de milliers de véhicules) et où la Chine continentale n'immatriculait pas grand-chose. Le monde bouge tout le temps et le bon sens, père de toutes les stratégies conservatrices, a du mal à suivre. Peut-être vaudrait-il mieux, d'ailleurs, suivre un lièvre japonais que le mouvement du monde. Prenons deux exemples faciles, à savoir Toyota et Nissan. Y a-t-il au moins un pays d'où ces deux constructeurs sont absents ? Partout où l'on réalise des reportages télé dans une ville, même en ruines, on voit au moins une Toyota et/ou une Nissan, faciles à repérer parce que leur nom est écrit en grand. On pourra, si l'on veut, crier au scandale et affirmer que l'actualité tragique ne devrait pas être utilisée à des fins publicitaires. Mais l'est-elle vraiment ? Il y a des véhicules japonais dans le monde entier, qui brandissent leur nom sur les écrans, indépendamment de la nature des reportages qui y sont effectués. Les constructeurs japonais ont peut-être décidé qu'il n'y avait pas de petits marchés, et si c'est bien le cas, je crois qu'ils ont raison. Comme ils ont démontré par ailleurs qu'ils ne font pas de miracle, il y a sans doute moyen de faire comme eux.
Les petits marchés de la grande exportation
Il serait peut-être bon, pour commencer, de repenser certaines stratégies concernant la "grande exportation". Il y a d'abord le produit : on est perdant si on ajoute ou retranche quelque chose à un véhicule pensé pour l'Europe ; on pourrait bien gagner en concevant des véhicules modulaires dès l'origine, les pièces du "meccano" variant selon les spécificités de la destination. Déjà vu, déjà fait ? Si ceux qui le soutiennent ont raison, tant mieux : il "suffit" alors de progresser. Mais on est frappé de constater que les Européens de l'automobile, sauf exceptions, ne sont pas à l'avant-garde dans un continent géographiquement proche, qui finira bien par rattraper son déficit de motorisation. Il serait donc utile d'être déjà sérieusement implanté le moment venu. Qu'est-ce qui s'y oppose ? S'il y avait un préjugé négatif de la part des consommateurs, ça se saurait. A contrario, il est significatif que certaines marques, comme Peugeot, aient su, hier, réaliser de véritables prouesses dans plusieurs des marchés dont il est question ici. La rentabilité ? Attention aux stéréotypes et aux justifications. Il y a de par le Vieux monde, Europe incluse, quelques marchés où l'on ne gagne qu'à être connu, ce qui est peu monnayable. Le succès devrait en bonne partie dépendre du poids attribué par chaque constructeur aux multiples petits marchés, qui pourraient cacher un potentiel insoupçonné mais, au fond, peu surprenant. Or, que pèsent les directions concernées au sein des grands constructeurs ? Moins qu'il ne faudrait, sans doute.
Ernest Ferrari
Consultant
Sur le même sujet
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.