S'abonner
Constructeurs

Hausse des matières premières : quand les géants vacillent…

Publié le 17 février 2006

Par Tanguy Merrien
10 min de lecture
La hausse du coût des matières premières, générée par une demande exponentielle de la Chine, a déstabilisé le monde entier et la filière automobile en particulier, incitant les acteurs à modifier leurs process et leurs contrats. Entre constructeurs et équipementiers, la tension est presque...
La hausse du coût des matières premières, générée par une demande exponentielle de la Chine, a déstabilisé le monde entier et la filière automobile en particulier, incitant les acteurs à modifier leurs process et leurs contrats. Entre constructeurs et équipementiers, la tension est presque...

...palpable, tandis que se profile déjà l'arrivée de nouveaux acteurs émergents…


On dit qu'un battement d'ailes de papillon en Asie peut déclencher un cyclone à l'autre bout du monde. Se peut-il que la boulimie chinoise en matières premières ait pu provoquer un tel dérèglement sur les autres continents ? Cela fut le cas. En 2004, la Chine a entamé sa phase de pleine croissance, et son appétit en matières premières fut tel qu'il a contribué à faire vaciller les plus grandes industries internationales installées depuis des années… Car la Chine est pauvre en matières premières, elle a besoin d'importer une quantité massive d'acier et autres matériaux pour construire ses bâtiments, augmenter son parc automobile, créer ses infrastructures routières… Selon les statistiques officielles, la croissance économique de la Chine, amorcée en 2003, se serait emballée en 2004, puis poursuivie l'année dernière, avec une hausse de 12 % de son PIB (Produit Intérieur Brut). Cette croissance fulgurante a généré des réactions en chaîne et a surpris tout le monde. Le prix des matières premières a augmenté, celui du pétrole a flambé. La Chine n'étant pas autosuffisante en matières premières, elle s'est tournée vers les pays étrangers, et la carence subie par les chinois en électricité a favorisé l'utilisation de centrales fonctionnant au fioul. Devant ce gouffre, le monde a pris peur, craignant une pénurie et une hausse des coûts. La filière automobile, grande consommatrice d'acier (10 à 15 % du marché mondial) et de caoutchouc, ne fut pas épargnée, loin de là. La demande de la




FOCUS

Bénéfice record pour Nippon Steel

Nippon Steel, 3e sidérurgiste mondial derrière Mittal et Arcelor, vient d'annoncer un bénéfice en hausse de 83,6 % sur les neuf mois derniers et un bénéfice net consolidé de 2,3 milliards de dollars pour la période d'avril à décembre. Cependant, le marché commence à se détériorer et à rogner sur les bénéfices de l'aciériste japonais. Ce dernier s'est vu contraint de réduire ses prix à l'export et de diminuer sa production.
part des chinois fut tellement forte dans ce domaine que l'offre, à un moment donné, n'a plus suivi et la machine pourtant bien huilée s'est enrayée. Les prix de l'acier par exemple ont régulièrement augmenté, de 18 % en 2003 à 35 % en 2004. Arcelor a procédé à une hausse à deux chiffres du prix de ses aciers plats au 3e trimestre 2004. Peter Rosenfeld, responsable des achats de Chrysler, filiale de DaimlerChrysler, estimait lors du dernier Salon de Detroit, qu'il n'avait jamais observé une hausse des matières premières telle que celle de l'an passé. Selon Peter Rosenfeld, le prix de l'acier a atteint son maximum et ne reviendra sans doute pas aux niveaux rencontrés, mais "les prix pétroliers risquent de reprendre leur ascension en raison de l'instabilité politique du Proche-Orient. Ce qui devrait pousser à la hausse non seulement l'essence mais aussi les produits dérivés de l'or noir tels que les plastiques". Les conséquences sur l'activité des équipementiers sont évidentes. En 2004, ces derniers ont dû affronter la hausse la plus forte jamais enregistrée depuis 30 ans sur des matériaux tels que le cuivre, l'acier, l'aluminium et le plastique. Ceux qui travaillent avec le caoutchouc et l'acier ont vu les tarifs majorés de 30 à 50 %. Certains ont tenté de renégocier immédiatement leurs contrats avec les producteurs, sous peine de mettre la clé sous la porte. Il faut savoir que les coûts des matières premières d'une voiture, hors plastique, ont augmenté de 400 dollars, soit +62 % (sachant qu'il y a 700 kilos d'acier dans une voiture). En ce début d'année 2006, le cours de l'acier tend à se stabiliser, tout en restant haut, de 430 à 460 euros la tonne, selon les estimations. L'aluminium a augmenté de 25 % en 2005, atteignant son niveau le plus élevé depuis plus d'une décennie. Le cuivre a doublé l'an passé, terminant à un niveau record. La pression sur les prix est omniprésente et les équipementiers tels que Valeo et Faurecia ont vu leurs marges d'exploitation se réduire respectivement de 1,5 et 1,2 point (voir tableau). Les constructeurs n'ont pas ressenti le phénomène de la même manière, dans la mesure où leurs contrats avec leurs fournisseurs en matières premières sont pluriannuels. Le début de l'année 2006 a d'ailleurs dû être le témoin d'âpres discussions. Jean-Martin Folz, président de PSA Peugeot-Citroën, a récemment indiqué que son groupe venait d'achever les négociations avec ses fournisseurs d'acier sans vouloir en préciser l'impact sur les coûts de PSA. Les spécialistes prévoient de toute façon une période tendue entre équipementiers et constructeurs, car la renégociation des grands contrats liant ces derniers aux aciéristes pourrait rendre encore plus difficiles les relations avec les équipementiers. Parallèlement, les contrats pluriannuels liant les constructeurs aux sous-traitants portent sur un volume global avec intégration des gains de productivité liés à l'effet volume. Dans les faits, le rapport de force est favorable aux constructeurs qui orientent leurs choix en fonction des prix consentis. Les constructeurs maintiennent donc une forte pression sur les prix (5 % de baisse de prix constante en moyenne chaque année). Une pression qui affaiblit, d'année en année, la rentabilité des équipementiers : celle-ci est tombée de 7 à 5 % en l'espace de 5 ans.

Aux équipementiers de supporter les coûts

Les tarifs des matières premières ont plus que doublé. Cédric Vanbrugghe, responsable marketing Hutchinson Aftermarket, explique de quelle manière sa société a réagi. "Nous avons ressenti de manière assez sévère cette hausse, c'est vrai, mais nous avons absorbé ces variations. Cela nous a permis de ne pas répercuter la moindre hausse sur nos clients, principalement les distributeurs-stockistes, même s'il y a une incidence sur nos marges". Chez SKF, spécialisé dans les roulements et kits de distribution, on annonçait que les tarifs allaient être augmentés de 3 à 4 % au second semestre 2004 afin de compenser cette hausse. Tatiana Glattli, responsable de la communication et du marketing de l'équipementier, indique que la hausse fut partiellement répercutée en industrie, mais pas du tout en rechange automobile. "Le groupe a dû subir, de la part des fournisseurs, deux vagues de hausses consécutives en 2004, de 7 %, non négociables. Dans la mesure où nous ne souhaitions pas répercuter ces hausses sur nos clients et sur les services, nous avons considérablement réduit nos coûts ailleurs : nos frais de transport, notre budget communication et marketing… S'il est vrai que la situation s'est stabilisée depuis, il n'en demeure pas moins que nos marges se sont considérablement réduites". Toutes les entreprises sont entrées, bien avant 2004, dans une politique de réduction drastique des coûts. Mais, selon Tatiana Glattli, "il y a eu une accélération du processus, en France comme à l'international, à ce moment-là. Personne ne s'attendait à un phénomène aussi fort". D'autres équipementiers ont également réagi. Montupet et Le Bélier, spécialisés tous les deux dans les pièces de fonderie, roues, culasses et pièces de freins, ont répercuté la hausse ressentie dans l'aluminium sur leur prix de vente, mais ont en contrepartie supporté le coût de l'énergie, soit 25 % du prix de revient de leurs produits. Entre le 1er semestre 2004 et le 1er semestre 2005, les ventes de kits de roulements de roues ont baissé de 6 % (source Fiev), passant de 575 095 à 540 629 unités, en rechange indépendante. Ce secteur a subi une baisse de 5,1 %, sur la même période, dans le domaine des courroies et de - 11 % dans les kits de distribution. Aujourd'hui, à l'heure des bilans, certains équipementiers dénoncent, à mots couverts, un rapport de force inégal entre les constructeurs, "qui occultent délibérément le sujet", et eux-mêmes à qui "on laisse le soin de supporter les coûts qui s'ajoutent aux prix initiaux". Le sujet est extrêmement délicat.
Pour l'instant, la Chine devrait maintenir sa demande en matières premières à un niveau relativement haut. La consommation en aluminium devrait atteindre les 10 % en 2006, la demande d'étain devrait augmenter de 3,1 %. Enfin, la consommation en cuivre devrait elle aussi progresser de 3,2 % environ à 17,65 millions de tonnes. Globalement, les analystes prévoient une hausse globale de l'ordre de 8 à 10 % pour 2006. Hausse régulée par le gouvernement chinois qui met en place des mécanismes économiques afin d'éviter une surchauffe générale. Selon toute vraisemblance, deux à trois années vont être nécessaires avant de voir la situation se stabiliser véritablement.

Doit-on avoir peur de l'Inde et de la Russie ?

Certains ont les yeux rivés depuis des années sur la Chine et se tournent déjà vers la Russie et l'Inde. La Russie est le fournisseur principal de matières premières des pays occidentaux développés. C'est le pays européen qui connaît actuellement la plus forte croissance en profitant notamment de la flambée du prix du pétrole. Il devrait voir son PIB croître de 5,5 % en 2006. Quant à l'Inde, forte de ses 1,1 milliard d'habitants, elle voit sa croissance en plein essor depuis plusieurs années consécutives. Son PIB devrait augmenter de 6,8 % cette année. Alors comment lutter contre ces pays qui possèdent ce que les autres n'ont pas, à savoir des ressources inépuisables en matières premières et des coûts de main d'œuvre inférieurs aux pratiques européennes ? Carlos Ghosn, le dirigeant de Nissan Motor et de Renault, estime pour sa part que la nouvelle demande de ces deux pays ne fera qu'entretenir le renchérissement des matières premières. "Je ne sais pas si le pire est passé. Nous abordons une période à moyen terme durant laquelle il nous faudra adapter l'entreprise à des prix de l'énergie et des matières premières élevés". Et puis, tout ceci reste bien évidemment conditionné par la conjoncture géopolitique instable que l'on connaît. L'hégémonique Oncle Sam fait les yeux doux à une Inde en pleine croissance, seul pays capable de faire le contrepoids face à l'inexorable montée en puissance de la Chine. Quant à la Russie, elle se voit accéder cette année à la présidence du G8, le club fermé des pays les plus industrialisés. La donne change…


Muriel Blancheton





ZOOM

OPA hostile sur Arcelor

Mittal Steel, premier producteur mondial d'acier d'origine indienne, a lancé une OPA hostile contre Arcelor, premier producteur européen. Tollé général dans le petit monde politico-économique franco-européen. Quand certains parlent de véritable raid boursier scandaleux, d'autres estiment qu'il ne s'agit, après tout, que d'une opération financière et stratégique dans un monde libéral. Quand les plus réfractaires parlent de dépeçage de l'outil industriel européen, les plus diplomates rappellent qu'Arcelor venait, après tout, de faire la même chose en rachetant Dofasco, producteur d'acier canadien. Enfin, il reste les autres dont la seule préoccupation est d'avoir le choix en termes de concurrence entre producteurs d'acier. A l'instar de Jean-Martin Folz, président de PSA Peugeot-Citroën, "Arcelor est un fournisseur important pour nous et je pense un fournisseur important pour tous les constructeurs automobiles en Europe… mais ce n'est pas le seul". Lakshmi Mittal, à la tête du groupe indien, propose 18,6 milliards d'euros pour s'emparer d'Arcelor. Le président de l'aciériste européen, Guy Dollé, a refusé net. La direction d'Arcelor met tout en œuvre pour contrer Mittal. Si l'indien arrivait à ses fins, son nouveau groupe se verrait détenir 10 % du marché mondial de la production d'acier.

Vous devez activer le javacript et la gestion des cookies pour bénéficier de toutes les fonctionnalités.
Partager :

Sur le même sujet

Laisser un commentaire

cross-circle